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Economie

Billet – Accord Tunisie-UE : Tout est à réécrire

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  • 25 novembre 18:30
  • 4 min de lecture
Billet – Accord Tunisie-UE : Tout est à réécrire

La Presse — Il devient difficile d’ignorer l’évidence : l’accord d’association signé en 1995 entre la Tunisie et l’Union européenne ne correspond plus aux dynamiques économiques contemporaines. Conçu à une époque où la globalisation semblait linéaire, où les chaînes de valeur s’étendaient sans rupture et où la transition écologique n’était encore qu’une nuance technocratique, cet accord n’offre plus les mécanismes nécessaires pour répondre aux défis auxquels l’économie tunisienne est aujourd’hui confrontée.

Pendant de longues années, la Tunisie a accepté, parfois avec discipline, le cadre défini par cet accord. Un cadre qui, tout en facilitant l’accès au marché européen, a aussi limité la capacité du pays à diversifier ses débouchés et à monter réellement en gamme. Or, dans un monde où les crises géopolitiques redessinent les flux commerciaux et où la compétitivité industrielle dépend autant des normes que des coûts, la Tunisie ne peut plus se permettre d’être enfermée dans un dispositif qui n’intègre ni ses ambitions ni ses contraintes structurelles.

La modernisation de l’accord n’est donc pas une revendication symbolique : c’est une nécessité économique urgente. L’Union européenne elle-même reconnaît désormais la pertinence d’une révision en profondeur. Mais pour la Tunisie, l’enjeu est plus fondamental encore : il s’agit de corriger un déséquilibre qui s’est creusé au fil du temps.

Prenons le secteur du textile et de l’habillement. Ce pilier industriel, employant des dizaines de milliers de travailleurs, se trouve aujourd’hui fragilisé non pas par un déficit de compétitivité intrinsèque, mais parce que l’Union européenne multiplie les accords commerciaux avec des pays concurrents bénéficiant de coûts énergétiques plus bas, de subventions massives ou de régimes réglementaires bien plus souples. Résultat : les préférences tarifaires dont la Tunisie disposait perdent progressivement de leur valeur. Ce qui devait constituer un avantage comparatif devient un cadre presque neutre, parfois même défavorable !

Autre exemple : l’huile d’olive. La Tunisie, parmi les premiers producteurs mondiaux et régulièrement saluée pour la qualité de ses huiles, reste contrainte par des quotas qui ne reflètent ni son potentiel ni la demande européenne réelle. Un marché ouvert, sans contingents quantitatifs, serait cohérent avec la logique économique autant qu’avec la réalité climatique.

Mais l’illustration la plus criante de la nécessité d’un accord modernisé concerne la transition écologique. L’entrée en vigueur du mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières (Macf), dès 2026, introduira un coût additionnel pour les produits à forte intensité carbone exportés vers l’UE.

Ce mécanisme, justifié du point de vue climatique, pourrait néanmoins pénaliser lourdement les industries tunisiennes, à savoir le ciment, l’acier ou les matériaux de base, si aucun accompagnement technologique et financier n’est prévu. La Tunisie n’a pas, seule, les moyens d’engager une transformation industrielle profonde pour réduire rapidement son empreinte carbone.

Sans un volet spécifique dans un nouveau cadre bilatéral, le Macf pourrait réduire la compétitivité de secteurs déjà sous pression. Et au-delà de ce mécanisme, la Tunisie doit impérativement intégrer les standards techniques et environnementaux internationaux si elle veut sécuriser et renforcer ses exportations.

Ignorer cette dimension reviendrait à fragiliser durablement son industrie. La question n’est donc pas seulement de « réviser » l’accord de 1995 : il s’agit d’en construire un nouveau, fondé sur les réalités économiques contemporaines. Un accord qui reconnaisse le rôle de la Tunisie dans la stabilité des chaînes de valeur euro-méditerranéennes, qui encourage la montée en gamme, qui ouvre la voie à un financement vert juste et accessible et qui protège les secteurs stratégiques au lieu de les exposer à une concurrence asymétrique.

La Tunisie n’est plus le pays des années 1990. Elle ne cherche plus seulement un accès au marché : elle réclame un partenariat équitable, fondé sur la compétitivité réelle, la durabilité et une intégration intelligente dans les chaînes de valeur régionales. 

L’Europe le sait. Reste à savoir si elle est prête à traduire cette prise de conscience en engagements concrets. Car moderniser l’accord n’est pas un cadeau : c’est un investissement dans une relation stratégique que la Méditerranée rend, plus que jamais, indispensable.

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Auteur

Saoussen BOULEKBACHE