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Journées théâtrales de Carthage – Masterclasses d’Igor Yatsco et d’Harold David : Repenser l’art de jouer  et de diffuser

  • 26 novembre 19:45
  • 7 min de lecture
Journées théâtrales de Carthage – Masterclasses d’Igor Yatsco et d’Harold David : Repenser l’art de jouer  et de diffuser

Dans le cadre de sa section formations et rencontres, la 26e édition des Journées Théâtrales de Carthage a proposé, le 23 novembre, deux masterclasses données successivement par l’acteur, metteur en scène et pédagogue russe Igor Yatsco, et le Français Harold David, directeur délégué d’Avignon Festival et Compagnie (AF&C).

L’action comme essence du théâtre 

La Presse —Devant un petit groupe d’étudiants et autres professionnels et amateurs de théâtre, Igor Yatsco a exploré dans son cours la notion centrale du théâtre, articulée autour de l’action comme moteur vital qui donne vie à la scène. Il a proposé d’analyser et de maîtriser les trois canaux de mouvement qui structurent toute action théâtrale: le mouvement physique (gestes, plastique, mise en scène), le mouvement psychique (changements de situation, silences, atmosphère, héritage du théâtre psychologique russe) et le mouvement verbal (flux des mots et des sons, forme théâtrale la plus ancienne). «Le théâtre est orienté vers un mouvement qui, à l’instar d’un poisson pêché à la canne, peut s’exprimer, exister ou pas», explique-t-il.

La nature du théâtre se transforme, d’après lui, selon le canal dominant. L’acteur fait en sorte que la manière soit accompagnée par ce mouvement, le spectateur suit le mouvement dont le texte de l’auteur et dramaturge donne naissance.

En rapportant le contenu et la forme de différents exercices pratiques et autres jeux qu’il a réservés pour son atelier à l’Institut Supérieur d’Arts Dramatiques de Tunis (le 24 novembre), l’homme de théâtre russe a donné une idée de la manière d’appréhender ces trois canaux de mouvement.

Il a terminé par une admirable restitution d’un exercice, autour du théâtre verbal, construit sur une traduction russe du poème anglais «The House That Jack Built». Il a montré à son audience comment la représentation d’un texte change selon l’intonation et le son, guidés par les différents gestes des mains de l’acteur.

Formé à l’école de théâtre de Saratov puis au Gitis dans la classe d’Anatoly Vasilyev, Igor Vladimirovich Yatsko (né le 30 août 1964 à Saratov) a rejoint en 1990 l’«École d’art dramatique» de Moscou, où il devient acteur puis directeur artistique et responsable du laboratoire de mise en scène et d’interprétation.

Il est distingué «Artiste méritant de la Fédération de Russie» en 2001. Héritier du théâtre-laboratoire, il explore l’expérimentation, la recherche et la formation de l’acteur. Il met en scène Shakespeare, Wilde, des œuvres littéraires classiques comme Les Femmes savantes de Molière, Les Âmes mortes de Gogol, La Cerisaie de Tchekhov et La Dame de pique de Pouchkine, ainsi que des créations expérimentales, tout en enseignant dans plusieurs institutions russes.

L’homme de théâtre français Harold David donnera une masterclass sur «Comment participer au festival Off d’Avignon». Une rencontre est également prévue avec son compatriote Patrice Pavis, chercheur et critique éminent dans le domaine des études théâtrales et de la performance.

 

 

Quel chemin pour réussir sa participation à Avignon Off ?

Diplômé d’un DEA en arts du spectacle, Harold David a travaillé pendant dix ans à la Maison des écrivains et de la littérature comme chargé de programme pour les auteurs en milieu scolaire et universitaire (1997-2007). Il a été directeur du Théâtre de Die à partir de 2008, obtenant en 2014 le label Art en Territoire. Il a dirigé, de 2018 à 2022, l’association Prix du Jeune Écrivain, en développant en parallèle (entre 2013 et 2025) une activité d’entrepreneur de spectacles à Avignon, co-dirigeant plusieurs théâtres permanents (Gorge Rouge, Archipel, Théâtre Atypik).

De 2022 à 2025, Harold a été co-président d’AF&C (l’organisme qui coordonne le Festival Off d’Avignon). Depuis octobre 2025, il en est le directeur délégué.

Dans sa très instructive masterclass intitulée «Comment participer au festival Off Avignon ?», où il a éclairé les présents sur la démarche à suivre, Harold a commencé par présenter l’Avignon Off, qui est aujourd’hui un des plus grands festivals en open access au monde. Il a donné une idée de son ambiance à travers une courte vidéo restitutive.

Créé en 1966, le festival réunit plus de 1400 entreprises dans 139 lieux chaque juillet. En 2025, près de 1800 spectacles et 270 000 représentations ont été programmés durant les trois semaines de l’événement, avec 1,6 million de billets vendus, confirmant son rayonnement exceptionnel. «Le festival accueille chaque année un nombre important de programmateurs, ce qui fait de lui un grand marché du spectacle vivant », a-t-il noté, ajoutant que l’après-Covid a vu une explosion du Off due à l’augmentation de l’offre.

Il explique cela par le phénomène de crise de diffusion que vit la France depuis la fin des années 2000, à cause d’un marché saturé et de la difficulté de diffuser, accentuée par la pandémie. « Le marché ne pouvait plus absorber une offre pléthorique, ce qui a profité à Avignon Off, qui a vu une nette augmentation de ses spectacles et de ses spectateurs (15% de fréquentation en plus de 2024 à 2025)».

Concernant la participation au festival, Harold nous a indiqué que le festival est ouvert aux candidatures d’artistes, compagnies et producteurs souhaitant présenter un spectacle dans l’un des nombreux lieux partenaires. Étant un festival en open access, donc entièrement ouvert, il suffit de trouver un théâtre d’accueil, de signer un contrat de diffusion, puis d’inscrire son spectacle auprès d’AF&C, l’organisme qui coordonne le Off.

«En vrai, il ne s’agit pas d’un festival dans sa forme classique. Contrairement aux JTC, par exemple, l’Avignon Off repose sur des initiatives privées des 139 théâtres qui vont vendre leurs services et prestations pour accueillir des spectacles. Donc il s’agit d’un rapport purement commercial.

Ce qui fait des compagnies et autres productions des clients», indique-t-il. Il explique que les tarifs et autres modalités sont fixés indépendamment par les théâtres et qu’il faut que les compagnies aient les moyens de s’offrir leurs services (pour une salle de 50 places, il faut en moyenne 4 à 5 mille euros pour les trois semaines).

Il a souligné que le Off est le moyen pour des compagnies étrangères non intégrées dans un réseau de coopération internationale d’entrer dans le marché français. « Outre la rencontre avec le public et les professionnels du métier, le festival offre une grande possibilité de réseautage, avec une dimension existentielle, que je trouve assez désespérante, car il devient un passage obligé pour des pièces qui veulent exister».

Le directeur délégué d’AF&C a terminé sa masterclass en prodiguant des conseils et autres astuces pour réussir sa participation au festival, qu’il faut considérer, insiste-t-il, plus comme un investissement que comme un levier économique immédiat. Il a donné des conseils sur la démarche à suivre, soulignant la concurrence dans les admissions, et indiqué que les compagnies étrangères ont la possibilité d’être soutenues et accompagnées dans cette procédure par l’AF&C.

Auteur

Meysem MARROUKI