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Marchés publics : Une modernisation urgente pour sortir de l’impasse

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  • 26 novembre 17:15
  • 7 min de lecture
Marchés publics : Une modernisation urgente pour sortir de l’impasse

La Tunisie s’attaque enfin à l’un de ses blocages les plus lourds, celui de son système de marchés publics devenu synonyme de lenteur, de centralisation et de formalités décourageantes. En lançant une révision profonde du cadre réglementaire, le gouvernement espère mettre fin à une bureaucratie qui étouffe les projets, multiplie les contrôles et freine l’investissement. 

La Presse —La Cheffe du Gouvernement, Sarra Zaâfrani Zenzri, a présidé, samedi 22 novembre 2025, un Conseil ministériel consacré à l’examen d’un dossier devenu critique ; la réforme du système des marchés publics. Elle a rappelé, d’emblée, que cette révision constitue l’une des priorités absolues de l’Etat et représente l’une des réformes législatives les plus structurantes actuellement en chantier. L’objectif annoncé est clair : stimuler l’investissement, accélérer la croissance et remettre en marche une machine administrative paralysante.

Un système trop lourd, trop lent, trop centralisé

La Cheffe du Gouvernement a souligné, à ce titre, la nécessité d’une révision profonde du décret encadrant les marchés publics, afin de garantir l’efficacité, la transparence, la concurrence loyale et l’égalité d’accès aux appels d’offres. Cette réforme ne se présente pas comme une simple mise à jour technique, mais répond à une réalité connue de tous.

Dans le pays, la moindre intervention publique, même minime — refaire un muret dans une école, réparer une salle de classe, acheter du matériel de base — se transforme en un parcours administratif interminable, impliquant plusieurs niveaux de validation et une multitude d’intervenants. 

Ce modèle bureaucratique entraîne une perte de temps considérable, un retard chronique dans la réalisation des projets et un découragement généralisé parmi les acteurs concernés. En effet, comment prétendre attirer des investisseurs locaux ou étrangers lorsque les procédures internes elles-mêmes dissuadent les opérateurs les plus patients ?

De nombreuses entreprises, lassées par les délais, les blocages et les interprétations contradictoires, finissent par renoncer.

Un autre problème structurel réside dans le fait que le système national repose largement sur le principe du «moins-disant», c’est-à-dire l’attribution systématique du marché à l’offre la moins chère. 

Non seulement cette logique est réductrice—elle privilégie le coût immédiat au détriment de la qualité, de la durabilité et de la performance — mais elle ouvre également la porte à des pratiques douteuses. En communiquant les montants plafonds aux soumissionnaires, certains décideurs facilitaient, par le passé, des arrangements occultes et des commissions illicites. Ce mécanisme, pensé à l’origine pour garantir l’équité, s’est progressivement transformé en un terrain favorable à la corruption, tout en produisant des ouvrages médiocres et des projets qui se dégradent rapidement.

Sortir d’un modèle qui freine la croissance

Mme Zaâfrani Zenzri a insisté, en outre, sur la nécessité de rompre avec les approches antérieures, devenues inadaptées aux mutations économiques et sociales du pays. Les lourdeurs administratives, la centralisation excessive et les incertitudes réglementaires ont provoqué l’arrêt ou le ralentissement de nombreux projets publics, retardant des chantiers pourtant vitaux pour les régions et pour la population. 

À ces difficultés structurelles viennent s’ajouter d’autres dysfonctionnements qui aggravent encore la paralysie du système. Le manque de coordination entre les administrations crée des allers-retours incessants et des interprétations contradictoires, allongeant artificiellement les délais.

Le système de contrôle, conçu pour garantir la rigueur, se révèle souvent plus punitif qu’opérationnel, générant de la frilosité chez les agents publics et ralentissant les décisions. S’y ajoute une bureaucratie qui tend à se protéger elle-même, préférant multiplier les formalités plutôt que d’assumer des responsabilités clairement définies. 

Enfin, dans les interstices laissés par ces lourdeurs, la corruption trouve un terrain fertile, alimentée par l’opacité et les zones grises des procédures. Tout cet ensemble compose un environnement peu propice à l’efficacité et encore moins à l’attractivité économique. Et le résultat est sans appel : la Tunisie se pénalise elle-même, perd du temps, perd de l’argent et perd en compétitivité, alors même que des pays comparables ont su moderniser leurs procédures et fluidifier leurs circuits décisionnels.

Un nouveau décret pour simplifier, accélérer et sécuriser

Un nouveau décret est en cours de finalisation, élaboré à partir d’un diagnostic approfondi du système actuel. Celui-ci a mis en lumière les obstacles récurrents qui entravent aussi bien la conclusion que l’exécution des contrats publics, ainsi que les limites structurelles du décret n°1039 du 13 mars 2014, désormais dépassé par les réalités économiques et administratives.

La réforme ne se limite donc pas à un toilettage juridique, mais ambitionne de repenser complètement la chaîne du marché public.

Elle vise à simplifier les procédures, souvent trop complexes et redondantes, accélérer la prise de décision pour réduire les délais qui freinent la réalisation des projets, et éliminer les blocages inutiles qui pénalisent l’Etat comme les opérateurs économiques. Elle cherche également à renforcer la transparence et l’intégrité des processus, conditions indispensables pour restaurer la confiance des entreprises et des citoyens. 

En parallèle, ce nouveau cadre devrait stimuler les investissements publics et privés, encourager l’émergence de secteurs à forte valeur ajoutée, et garantir une gestion plus rigoureuse et plus efficiente des deniers publics. Autant d’objectifs qui, une fois atteints, permettront de transformer les marchés publics en un véritable levier de développement plutôt qu’en un frein systémique.

La Cheffe du Gouvernement a affirmé que toutes les problématiques soulevées durant le Conseil seront intégrées et que l’élaboration du nouveau décret sera accélérée, conformément aux orientations du Président de la République, Kaïs Saïed.

Redonner au marché public son rôle moteur

Les marchés publics doivent, in fine, redevenir un véritable levier stratégique au service du développement économique et social. Réformé en profondeur, ce système pourrait améliorer la qualité des services publics, santé, transports, éducation, tout en fluidifiant l’investissement, en renforçant la confiance des entreprises et en accélérant la transition numérique et énergétique. 

Mais l’enjeu va bien au-delà de l’ajustement administratif. Il s’agit de corriger un mode de fonctionnement devenu contre-productif, dans un pays où l’excès de contrôle, la multiplication des autorisations, licences et validations, ont transformé la gestion publique en parcours d’obstacles. À force de vouloir tout surveiller, on finit par tout bloquer. La Tunisie s’est construite, au fil des décennies, comme un pays de contrôleurs plus que de facilitateurs, ce qui a fini par étouffer l’initiative, ralentir les projets et décourager les investisseurs.

Dans ce contexte, restaurer la confiance, alléger les procédures et redonner de la fluidité à l’action publique sont des impératifs pour hisser notre pays au niveau des standards internationaux. 

Dans un monde où la rapidité, la lisibilité et l’efficacité sont devenues des critères décisifs d’attractivité, la Tunisie ne peut plus s’autoriser un système qui ralentit tout, complique beaucoup et finit par décourager les plus déterminés. De plus, ces changements ne sont pas uniquement techniques, ils nécessitent un véritable changement d’état d’esprit, impliquant les décideurs, les agents publics et l’ensemble des démarches administratives.

Il ne s’agit pas seulement de modifier des procédures, mais de repenser le modèle même de gestion publique, en plaçant la facilitation, la transparence et l’efficacité au cœur de l’action de l’Etat. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons, nous Tunisiens, nous targuer d’avoir mis en œuvre une réforme déterminante et d’avoir accompli quelque chose de véritablement fondamental pour le fonctionnement du pays.

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Auteur

Hella Lahbib