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Banque Mondiale : Rebond tunisien, signes d’espoir

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  • 27 novembre 11:03
  • 6 min de lecture
Banque Mondiale : Rebond tunisien, signes d’espoir

Après plusieurs années de croissance modérée, l’économie tunisienne montre des signes de reprise en 2025, portée par l’agriculture, le tourisme et la construction. Dans ce contexte fragile, le programme de protection sociale Amen demeure un levier crucial pour soutenir les ménages vulnérables et réduire la pauvreté.

La Presse —Lors d’une table ronde organisée mercredi 26 novembre 2025 et présidée par Alexandre Arrobbio, représentant résident de la Banque mondiale en Tunisie, l’institution financière internationale a dévoilé l’édition automne 2025 de son Bulletin de conjoncture économique. 

Intitulé “Renforcer les filets de sécurité sociale pour plus d’efficacité et d’équité”, ce rapport met en lumière les signes d’une reprise économique encore modérée en Tunisie ainsi que les efforts engagés pour renforcer et moderniser les filets de sécurité sociale.

Reprise modérée, mais fragile…

Selon le document présenté par Lodewijk Smets, économiste pays pour la Tunisie, la croissance économique a atteint 2,4% au cours des neuf premiers mois de 2025, portée par un rebond du secteur agricole et la reprise de la construction et du tourisme. Le secteur agricole a particulièrement bénéficié de conditions climatiques favorables, enregistrant une croissance de 9,5%, avec des performances remarquables de l’huile d’olive (+55%) et des céréales (+70%) pendant la récolte 2024–2025.

La construction a progressé de 5,7% après plusieurs années de stagnation, tandis que le tourisme a contribué modestement à la croissance grâce à l’augmentation du nombre de visiteurs.

Cependant, la reprise est inégale selon les secteurs. Le secteur financier a connu une contraction de –8,8%, conséquence d’un alourdissement fiscal pour les institutions financières, tandis que les hydrocarbures ont chuté de 10,5% en raison de la fermeture de champs et de l’absence de nouveaux investissements. La divergence de la croissance par rapport aux pays de la région persiste, accentuée par des obstacles à la concurrence, un accès limité au financement, des défis de gouvernance et la faible participation des femmes sur le marché du travail.

Sur un autre plan, le marché du travail montre des signes d’amélioration : le chômage est passé à 15,4% au troisième trimestre 2025, contre 16% en 2024, marquant la septième baisse trimestrielle consécutive. Néanmoins, les femmes restent fortement pénalisées, avec un taux de chômage de 22,4% et un taux d’activité de seulement 28,2%, contre 12,1% et 64,9% pour les hommes respectivement. L’économie a créé 94.100 emplois nets au troisième trimestre 2025, principalement dans l’agriculture et la construction.

De l’autre côté, la situation extérieure reste fragile. Le déficit commercial a atteint 9% du PIB, porté par une stagnation des exportations et une hausse des importations. Les exportations de services et les transferts de fonds n’ont pas suffi à compenser ce déficit, qui a entraîné un déficit courant de 2% du PIB au premier semestre 2025.

Les investissements directs étrangers ont augmenté de 41% sur les sept premiers mois de l’année, permettant de soutenir les réserves de change, tandis que le dinar est resté globalement stable. L’inflation, quant à elle, continue de ralentir, passant de 10,4 % en février 2023 à 4,9% en octobre 2025, permettant à la Banque centrale de réduire son taux directeur à 7,5%.

Sur le plan budgétaire, le déficit s’est réduit à 6,3 % du PIB en 2024 grâce à la maîtrise des dépenses et à une hausse des recettes fiscales, mais le niveau d’endettement reste élevé (84,5 % du PIB en août 2025). La dette intérieure représente désormais 77% de la dette totale, avec un recours croissant au financement national. Cette situation limite la disponibilité du crédit pour le secteur privé, malgré les mesures incitatives pour soutenir les PME.

À moyen terme, la Banque mondiale prévoit une croissance modérée de 2,4% en 2026–2027, sous l’effet de contraintes de financement et d’obstacles à l’entrée sur le marché, avec des risques principalement orientés à la baisse. Le déficit du compte courant devrait légèrement augmenter pour atteindre 3,1% du PIB en 2027, tandis que le déficit budgétaire pourrait se réduire à 4,4% du PIB, et la dette publique diminuer marginalement à 83,6% du PIB.

Commentant ces chiffres, Alexandre Arrobbio a indiqué que la réforme demeure avant tout une question de soutenabilité économique et que l’enjeu est de concevoir un modèle capable d’intégrer les capacités réelles des acteurs économiques. Il s’agit aussi de revoir la structure des prestations et des mécanismes de financement afin d’assurer un équilibre durable. 

Amen, un filet efficace, mais perfectible

La deuxième partie, présentée par Mohamed El Aziz Ben Ghachem, Spécialiste Senior Protection sociale et Travail, s’intéresse au programme de filet de sécurité sociale non contributif “Amen” qui joue un rôle central pour la protection des ménages vulnérables.

En effet, Amen fournit des transferts monétaires mensuels de 260 TND par ménage, couvre environ 1 million de ménages, et permet l’accès à des soins médicaux gratuits ou subventionnés, ainsi qu’à des allocations familiales. Le programme a fortement contribué à la réduction de la pauvreté et des inégalités : il a diminué le coefficient de Gini de 1,09 point et réduit la pauvreté de 2,14 points de pourcentage. Plus de 50 % des dépenses totales bénéficient aux 20 % des ménages les plus pauvres, tandis que moins de 7 % sont captés par les 30 % les plus riches.

Malgré ces progrès, le programme Amen fait face à plusieurs défis : ciblage imparfait, disparités régionales, capacités institutionnelles limitées, contraintes budgétaires (1% du PIB en 2025), et manque d’harmonisation avec le système contributif. Pour améliorer l’efficacité, il est recommandé de renforcer la précision du ciblage, moderniser les systèmes de mise en œuvre, étendre la couverture contributive aux travailleurs du secteur informel, et améliorer l’accès à l’emploi, en particulier pour les jeunes et les femmes.

“La réforme de la sécurité sociale demeure un volet essentiel et nécessite une réflexion approfondie sur le régime applicable aux travailleurs à faible revenu, qui représentent près de 50% de l’économie… L’objectif est d’étendre la protection sociale de manière soutenable, en révisant le régime actuel, les paniers de prestations, les pensions et l’assurance maladie, tout en envisageant des mécanismes innovants”, a encore précisé M. Arrobbio.

En somme, le rapport souligne que la Tunisie connaît une reprise économique modérée, soutenue par l’agriculture et la construction, mais confrontée à des défis financiers, structurels et sociaux. Quant au programme Amen, il constitue un outil stratégique de réduction de la pauvreté et de soutien aux ménages vulnérables, tout en posant les jalons pour une protection sociale plus équitable et durable.

La combinaison d’une politique économique prudente et d’une réforme sociale inclusive sera essentielle pour renforcer la résilience et la croissance du pays à moyen terme.

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Auteur

Meriem KHDIMALLAH