Implantations chinoise et turque : La Tunisie s’affirme comme terre d’investissements stratégiques
Deux projets, deux puissances et un même message ; la Tunisie est de nouveau visible. La vraie question n’est plus de séduire, mais de convaincre, et surtout de durer.
La Presse — La Tunisie confirme son retour progressif dans les radars des investisseurs internationaux. En l’espace de quelques jours, deux annonces majeures illustrent cette dynamique ; la multinationale chinoise Foxit, spécialiste du numérique, a choisi la Tunisie pour implanter sa future filiale africaine, tandis que le groupe textile turc Vantela a officialisé son intention d’investir dans l’industrie locale.
Ces décisions traduisent un regain de confiance dans le potentiel national et marquent une évolution stratégique du positionnement du pays.
Une porte d’entrée vers l’Afrique
L’implantation prochaine de Foxit en Tunisie confirme l’attractivité du pays pour les entreprises technologiques internationales. Leader mondial dans la gestion de documents numériques et des signatures électroniques, l’entreprise chinoise entend utiliser notre pays comme hub régional pour son déploiement en Afrique.
Lors d’une rencontre à Pékin entre l’ambassadeur de Tunisie et le directeur du développement international de Foxit, les responsables ont mis en avant deux atouts majeurs : la compétence des ingénieurs tunisiens et la position géographique stratégique du pays, au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du monde arabe.
Ce choix témoigne d’un changement d’image ; la Tunisie ne se limite plus à être une destination industrielle à faible coût, mais s’affirme comme une plateforme de services numériques capable d’attirer des entreprises à forte valeur ajoutée.
L’intérêt industriel pour la destination Tunisie
Parallèlement, la société turque Vantela, spécialisée dans l’industrie textile, a annoncé son intention d’investir en Tunisie après une rencontre officielle avec le directeur général de la Fipa. Conquise par les atouts structurels du pays — main-d’œuvre qualifiée, proximité avec l’Europe et cadre incitatif pour l’investissement — l’entreprise turque a déjà engagé les démarches administratives nécessaires avec l’accompagnement des autorités tunisiennes.
Cette implantation s’inscrit dans une dynamique positive du secteur textile, l’un des piliers de l’économie nationale. Les investissements directs étrangers (IDE) dans ce secteur ont progressé de près de 28 % à fin septembre 2025, signe d’un regain d’intérêt international pour un secteur en mutation vers plus de valeur ajoutée et de durabilité.
Pourquoi le pays attire de nouveau ?
Ces investissements ne sont pas le fruit du hasard. Ils résultent d’un faisceau de facteurs structurels qui redonnent progressivement à la Tunisie une place sur la carte des destinations attractives.
Le pays peut s’appuyer sur un capital humain reconnu dans l’ingénierie, le numérique et les métiers industriels, qui continue d’alimenter des entreprises en compétences qualifiées malgré les difficultés économiques.
À cela s’ajoute une position géographique stratégique, véritable trait d’union entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, faisant de la Tunisie une plateforme naturelle pour les entreprises cherchant à rayonner à l’échelle régionale.
Les coûts de production compétitifs et la qualité d’exécution constituent un autre levier d’attractivité. Par ailleurs, les accords commerciaux en vigueur permettent un accès privilégié à plusieurs marchés, renforçant la vocation exportatrice du pays.
Enfin, malgré certaines lenteurs, un environnement entrepreneurial en mutation est en train d’émerger, porté par des réformes progressives qui améliorent le climat des affaires et redonnent confiance aux investisseurs.
Les annonces chinoise et turque traduisent également une diversification stratégique des partenariats économiques, confirmant la capacité de la Tunisie à s’insérer dans plusieurs sphères d’influence sans dépendre d’un seul axe.
Les défis !
Si les signaux sont encourageants, le véritable défi ne réside plus dans la capacité à attirer des investisseurs, mais dans celle de les retenir et de les convaincre de s’inscrire dans la durée. Car séduire est une étape, fidéliser en est une autre, bien plus exigeante.
Cela passe par une stabilité juridique et réglementaire réelle, lisible et prévisible, seule à même de sécuriser les décisions à long terme. Aucun groupe international ne peut se projeter durablement dans un environnement où les règles évoluent sans visibilité ou leur interprétation varie d’une administration à l’autre.
À cela s’ajoute l’impératif d’une simplification administrative concrète, débarrassée des lourdeurs chroniques qui érodent la confiance et retardent la mise en œuvre des projets. La modernisation des infrastructures logistiques et numériques devient également un levier incontournable : zones industrielles connectées, ports performants, réseaux haut débit fiables sont désormais des prérequis.
La formation professionnelle doit se rapprocher davantage des besoins réels des entreprises, pour transformer le capital humain national en moteur de compétitivité. Par ailleurs, un obstacle persistant demeure pour les investisseurs étrangers ; le transfert de leurs gains hors du pays.
Les restrictions passées, la lenteur des procédures et l’incertitude dans l’application des règles ont souvent freiné l’implantation durable et la confiance des investisseurs.
Enfin, la diplomatie économique ne peut se limiter à des rencontres protocolaires, elle doit être ciblée, stratégique, orientée vers les secteurs porteurs et accompagnée d’un suivi après implantation. L’objectif n’est plus seulement d’attirer les entreprises, mais de les intégrer durablement afin qu’elles créent de l’emploi qualifié, transfèrent des compétences et contribuent à l’essor des exportations tunisiennes.
Vers un nouveau positionnement national
L’arrivée simultanée d’un acteur mondial du numérique chinois et d’un industriel turc n’est pas une coïncidence. Elle révèle une possibilité rare : celle pour la Tunisie de se réinventer en plateforme régionale, capable de compter dans les grandes dynamiques euroméditerranéennes et africaines.
Mais cette ambition se construit ; elle exige des choix clairs, assumés, portés par une vision qui dépasse les urgences conjoncturelles pour embrasser le long terme. Le pays se tient à la croisée des chemins : demeurer une destination d’opportunités passagères, choisie tant que les conditions restent favorables puis contournée à la première difficulté, ou engager la construction d’un modèle fondé sur la compétitivité, l’innovation, la fiabilité et la stabilité, seul capable d’ancrer durablement les investissements et de créer de la richesse réelle.
Ces implantations ne sont pas une fin en soi. Elles sont un signal, un test, un avertissement. Une responsabilité majeure incombe aux autorités tunisiennes de ne pas laisser passer cette occasion, ne pas décourager ces partenaires dès les premiers pas, ne pas transformer l’espoir en désillusion.
Les lourdeurs administratives, l’empilement des procédures, le millefeuille des autorisations et licences, ainsi que certaines pratiques qui ont longtemps terni l’image de l’administration tunisienne, ne doivent pas faire fuir ce que le pays peine tant à attirer.
C’est maintenant que tout se joue. Reste à savoir si notre pays saura transformer cette double opportunité en projet collectif et ces annonces en une trajectoire durable.