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Economie

Trois questions à … Olfa Mahjoub, chercheure à l’Institut national de recherche en génie rural, eaux et forêts : « Les eaux usées, une source disponible que nous devons valoriser »

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  • 2 décembre 19:15
  • 5 min de lecture
Trois questions à …  Olfa Mahjoub, chercheure à l’Institut national de recherche en génie rural, eaux et forêts : « Les eaux usées, une source  disponible que nous devons valoriser »

La Tunisie produit chaque année d’importants volumes d’eaux usées traitées, encore peu valorisées. Cette ressource disponible pourrait pourtant soutenir de nouveaux usages agricoles et environnementaux. C’est pourquoi la stratégie « Reuse 2050 » entend en faire un pilier de la gestion future de l’eau dans le pays.

Rencontrée en marge de la journée, organisée récemment par le Centre des Changements climatiques de l’Iace, autour du thème « Réseau d’opportunités : Résilience et eau, les clés de demain », Olfa Mahjoub, chercheure à l’Inrgef, apporte son éclairage.

La Presse — Quel état des lieux faites-vous du traitement des eaux usées aujourd’hui en Tunisie ?

Actuellement, nous disposons d’environ 300 millions de mètres cubes d’eaux usées produites qui sont traitées. C’est un potentiel qu’il faut exploiter. Aujourd’hui, seulement 4 % sont réutilisées en agriculture, un taux très faible alors qu’auparavant il variait entre 7 et 10 %. 

Nous avons tout intérêt à valoriser ces eaux, non seulement pour l’agriculture mais aussi pour d’autres usages, notamment environnementaux, comme la recharge artificielle des nappes. Il est essentiel de trouver une adéquation entre la qualité de l’eau produite et l’usage auquel elle est destinée, car le traitement coûte de l’argent et de l’énergie. L’enjeu est donc de concilier l’ensemble de ces facteurs.

Peut-on considérer le recours aux eaux usées traitées comme une nécessité dans le contexte tunisien qui est marqué par la pénurie des ressources hydriques ?

Nous avons mobilisé toutes nos ressources en eau. Les eaux usées apparaissent comme une ressource sûre, car elles sont produites de manière continue. C’est une source disponible, donc nous devons en faire usage. Contrairement aux pluies qui sont soumises à une forte variabilité, accentuée ces dernières années.

Les eaux usées traitées représentent ainsi une ressource permanente pour l’agriculture, à condition d’adapter le traitement à l’usage. Il est également recommandé de diversifier les secteurs afin de couvrir différents types d’applications, notamment agricoles ou environnementales.

La vision de la Tunisie pour 2050 inclut même l’usage potable. Il faut donc travailler sur tous ces aspects-là. Actuellement, nous élargissons l’éventail des cultures irriguées avec des eaux usées, en les adaptant aux exigences d’usage. 

Par exemple, pour les cultures maraîchères, un traitement tertiaire accompagné d’un traitement complémentaire est nécessaire. Ces usages répondent à une réglementation qui est aujourd’hui en cours de révision. La nouvelle version sera bientôt dévoilée par le ministère de l’Agriculture.

Par ailleurs, la mise en œuvre de la stratégie « Reuse 2050 » (le plan national visant à développer la réutilisation des eaux usées traitées) repose sur une gouvernance efficace du secteur.

Car il faut intégrer toutes les ressources en eau, en combinant notamment l’eau conventionnelle et l’eau usée traitée. La qualité apparaît également comme un enjeu crucial, car elle influe sur les rendements. Enfin, la transparence au niveau des analyses comme des données, ainsi que la sensibilisation des agriculteurs et des consommateurs sont aujourd’hui indispensables.

C’est pourquoi le ministère de l’Agriculture mettra en place une stratégie de communication solide. Sensibiliser est, plus que jamais, le maître mot.

Vous avez évoqué la révision de la réglementation liée à la réutilisation des eaux usées. Quels en sont les objectifs ?

Il faut rappeler que la norme NT106-03 remonte à 1989. Elle est aujourd’hui en cours de révision dans le cadre de la stratégie « Reuse 2050 ».  

En passant d’une norme à un décret, le cadre réglementaire deviendra plus contraignant, et toutes les parties prenantes devront s’y conformer. Réviser la norme ne signifie pas nécessairement améliorer la qualité, mais établir des garde-fous. 

L’objectif est d’encadrer l’usage : en associant usage et qualité, nous pourrons économiser sur les investissements et l’énergie consacrés au traitement. 

Plusieurs qualités d’eaux usées traitées pourront exister selon l’usage final. Il ne faut pas gaspiller des ressources en investissant dans un traitement inutile ou inadéquat. Par exemple, pour un usage écologique, un traitement très poussé n’est pas nécessaire. Nous travaillons ainsi selon le principe du « fit for purpose ».

La nouvelle réglementation devra répondre à ces exigences et renforcer la communication entre les différents acteurs, notamment les producteurs et les utilisateurs en aval. 

Il est également important de développer des solutions décentralisées. Le traitement dans de grandes stations nécessite des investissements lourds et beaucoup d’énergie. Nous avons donc intérêt à traiter l’eau sur place et à l’utiliser localement. 

La séparation des sources de pollution à l’amont est aussi essentielle : une eau trop polluée est difficile à traiter. Le contrôle des rejets industriels, qui peuvent altérer la qualité de l’eau et par conséquent perturber le processus de traitement, est plus que jamais indispensable.

La qualité constitue ainsi un pilier fondamental de la stratégie « Reuse 2050 ».

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Auteur

Marwa Saidi