gradient blue
gradient blue
Economie

Tribune – L’absence de débat autour de la loi de finances 2026 : Quel coût pour le pays ?

Avatar photo
  • 7 décembre 18:15
  • 5 min de lecture
Tribune – L’absence de débat autour de la loi de finances 2026 : Quel coût pour le pays ?

Par Skander SALLEMI (Conseiller fiscal)

La discussion parlementaire de la loi de finances 2026 a révélé, une fois encore, les failles profondes du processus budgétaire tunisien : documents transmis en retard, absence de concertation, données manquantes, tensions politiques et improvisations législatives. Au-delà du spectacle, cette situation a un prix. Et c’est toujours le citoyen qui le paie.

Un débat sous haute tension

Les premières séances consacrées à l’examen de la loi de finances 2026 ont montré un climat électrique : échanges d’accusations, reproches en cascade, incompréhension totale entre l’exécutif et les députés.

La raison est simple : le gouvernement a transmis avec retard les documents prévus par l’article 46 de la loi organique du budget. La qualité des rapports fournis a également été critiquée. A cela s’ajoute l’absence de concertation préalable, tant sur l’exécution de la loi de finances 2025 que sur la préparation du projet pour 2026.

Les députés estiment ainsi être empêchés de remplir leurs responsabilités constitutionnelles : contrôler la légitimité des dépenses engagées et l’usage des ressources publiques. Sans données, sans rapports, sans échanges, ce contrôle devient matériellement impossible.

Une transparence encore empêchée

L’administration tunisienne reste prisonnière d’une culture de l’opacité. Les demandes d’accès à l’information — y compris celles émanant des députés — obtiennent souvent des réponses vagues, tardives ou restent sans suite. 

Le non-respect des délais de publication des documents relatifs à la loi de finances, que ce soit sur le site du ministère des Finances ou sur celui de l’ARP, illustre un manque de rigueur partagé.

Même l’exposé des motifs, remis en retard, ne constitue qu’une reformulation sommaire des articles proposés, sans véritable analyse, justification ou évaluation d’impact.

Une débâcle législative évitable

Dans ce climat de frustration, les députés ont présenté un grand nombre d’amendements que le gouvernement n’a pas eu le temps d’examiner convenablement. Faute de délais suffisants et de concertation, le ministère des Finances n’a pu ni en mesurer le coût, ni en vérifier la cohérence juridique et constitutionnelle. Certaines propositions, selon ses propres déclarations, étaient même inapplicables.

Cette situation aurait pu être évitée par une simple vérité : un débat préparé, anticipé et nourri d’informations fiables. Aujourd’hui, les institutions légifèrent «sous pression », sans données, sans études et sans coordination. Cela fragilise la qualité de la loi, et donc celle de la gouvernance financière.

Un dysfonctionnement coûteux pour le pays

Le manque de coordination entre le gouvernement et le parlement n’est pas seulement un problème institutionnel : il a un coût direct pour le citoyen.

Une mauvaise évaluation peut conduire à des dépenses non maîtrisées, à des ressources gaspillées ou à des dispositifs inefficaces. 

Les citoyens, impressionnés par des promesses débattues dans l’émotion, risquent d’être rapidement déçus si ces mesures précipitées ne produisent aucun effet.

Les grandes institutions du pays ne peuvent relever les défis économiques sans rompre avec des habitudes inefficaces,  sans instaurer un débat structuré, permanent et public. La démocratie budgétaire ne peut exister sans transparence.

Le précédent de la loi de finances 2025

Le manque de données et l’absence d’études d’impact ont déjà coûté cher en 2025. Plusieurs mesures à vocation sociale ont été votées sans statistiques fiables, sans définitions claires et sans calendrier de mise en œuvre. 

Elles ont alourdi les charges des salariés et des entreprises par des cotisations supplémentaires.

Le projet 2026 semble reproduire les mêmes erreurs. L’incitation à l’emploi des jeunes diplômés — via la prise en charge des cotisations sociales — ne précise pas si elle cible des catégories réellement en difficulté. Or, ce dispositif existe déjà dans le cadre des avantages accordés aux investissements dans les zones de développement régional, sans qu’aucune évaluation de son efficacité, de son coût ou de son impact sur les équilibres des caisses sociales n’ait été publiée.

Il est temps d’installer un débat budgétaire réel

La Tunisie ne peut plus se permettre de légiférer dans le brouillard.

Une loi de finances doit être discutée sur la base de données complètes, de rapports transmis dans les délais, d’une transparence totale et d’un dialogue continu entre l’exécutif, le parlement et la société civile. 

La société ne peut s’exprimer ni contribuer aux solutions que dans le cadre d’un débat public reflétant les priorités des différentes catégories de la population. L’absence de débat a un coût. Et ce coût, c’est toujours le citoyen qui le supporte.

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.

Avatar photo
Auteur

La Presse