
Comment est née l’idée de faire une suite au premier «Sahbek Rajel» ?
L’idée est venue à la demande du producteur. Avec les deux scénaristes, Zinelabidine Mastouri et Ahmed Essid, nous avions commencé à travailler sur un tout nouveau film, jusqu’à une rencontre avec le producteur. Alors que je m’apprêtais à lui présenter les grandes lignes du scénario en cours d’écriture, il m’a annoncé qu’il souhaitait réaliser une suite à «Sahbek Rajel».
Au début, je n’étais pas vraiment enthousiaste. Le succès du premier film était tel que nous ressentions fortement le poids de la responsabilité. Cela signifiait en effet devenir nos propres concurrents, puisque ce nouveau projet serait forcément comparé au précédent. M. Goubantini tenait à être le premier producteur tunisien à proposer une suite à son film. Pour ma part, ainsi que pour les scénaristes, l’idée d’être les premiers à réaliser une deuxième partie dans l’histoire du cinéma tunisien représentait un défi majeur. Une telle décision marquait le passage d’une expérience cinématographique à une véritable industrie.
Après de nombreuses réunions, nous sommes finalement parvenus à ce que je considère aujourd’hui comme une idée de génie. C’est un scénario capable de préserver l’ADN de «Sahbek Rajel», de garder les mêmes personnages tout en ouvrant une nouvelle voie pour la suite.
Nous avons tout mis en œuvre pour maintenir le même niveau d’exigence, voire pour repousser nos propres limites tant sur le plan artistique que technique. J’avoue d’ailleurs avoir été beaucoup plus exigeant cette fois-ci avec toute l’équipe.
Est-ce une suite indépendante ou faut-il voir le premier film pour comprendre le nouveau ?
C’est une continuité de l’histoire du premier film. Je pense que la majorité des Tunisiens ont déjà vu «Sahbek Rajel», que ce soit au cinéma, à la télévision ou même à travers des extraits disponibles sur Internet. Nous avons quand même anticipé cela et intégré des indices dans les dialogues pour que ceux qui n’ont pas vu le premier puissent comprendre ce qui s’est passé.
Le succès du premier film a créé une véritable tendance et a généré des entrées au cinéma sans précédent. Vous qui êtes au cœur du projet, à quoi attribuez-vous ce succès ?
C’est le fruit de beaucoup de travail. C’est aussi ce que j’appelle le film de la maturité. On apprend en travaillant et c’est ainsi que l’on corrige les défauts. Cela vaut pour tous les métiers de la création: l’expérience permet de progresser et de s’améliorer.
Même la chanson du générique a battu des records de vues avec des chorégraphies spécialement conçues pour elle. Le succès tient également aux personnages que le public peut reconnaître dans la vie quotidienne et aux décors qui s’éloignent du luxe. Le film se déroule dans un milieu populaire qui ressemble à beaucoup de nos quartiers. C’est en quelque sorte un miroir de notre réalité.
J’ai aussi remarqué que le public du cinéma a beaucoup changé. La période du Covid et le confinement ont forcé les spectateurs à passer beaucoup de temps à regarder films et séries. Aujourd’hui, le spectateur est plus averti. Il ne suffit plus de proposer un produit moyen pour que ça marche.
Il compare, connaît la qualité de l’image, critique l’intrigue et repère les similitudes avec ce qu’il a déjà vu. Il faut tenir compte de tout cela pour offrir un produit de qualité.
Nous avons vu dans le premier film des scènes d’action au niveau technique inédit pour le cinéma tunisien, avec notamment un vrai cirque et un incendie. Le nouveau film comportera-t-il des scènes de ce type ?
Oui, et même mieux ! Le film reste dans le genre comédie-action. Nous avons fait appel à un designer de combats égyptien, un véritable professionnel.
D’ailleurs, c’est le seul collaborateur étranger du film, tous les autres étant Tunisiens. Nous avons également une équipe de cascadeurs entièrement tunisienne, ce dont je suis très fier. Aujourd’hui, nous avons fait de grands progrès dans ce domaine, avec même des spécialistes tunisiens en effets spéciaux. Le cinéma tunisien, de manière générale, est en train de rattraper le retard accumulé, chacun dans sa spécialité. Nous disposons de techniciens dont nous pouvons être fiers même lorsqu’ils sont sollicités pour collaborer à l’international.
Karim Gharbi est en tête d’affiche dans ce film. Vous avez toujours misé sur lui pour les rôles principaux dans vos films précédents. Pourquoi ce choix ?
Comme le dit le proverbe, «on ne change pas une équipe qui gagne». Ma première collaboration avec Karim Gharbi remonte à 2017, sur la série «Denya Okhra». Même si je conserve certains acteurs, c’est le genre du film qui change complètement. Alors que nous avions exploré la comédie fantaisie avec super-héros et quête du trésor, nous sommes maintenant dans le réalisme. Les personnages sont crédibles et les événements pourraient se dérouler ici, en Tunisie.
Karim Gharbi a un vrai sens du travail en équipe et excelle dans les rôles comiques. De plus, il est diplômé en théâtre et a beaucoup appris de ses expériences passées. Il reconnaît ses erreurs et a su les transformer en apprentissages. C’est un acteur généreux et compétent, tant sur le plan professionnel que créatif.
Pour ce film, nous avons travaillé non seulement sur ses points forts, mais aussi sur ses points faibles afin de les dépasser. Aujourd’hui, on me dit qu’on découvre Karim Gharbi dans «Sahbek Rajel» en acteur accompli, au-delà de ses performances comiques précédentes. Dans cette suite, il a fait un véritable bond en avant dans son jeu. Nous avons accordé une attention particulière à la direction des acteurs pour faire ressortir leur plein potentiel.
Un autre atout du film réside dans les duos d’acteurs : Karim Gharbi avec Sofiene Dahech et Karim Gharbi avec Yassine Ben Gamra. Le contraste entre ces personnages a donné un excellent résultat et enrichi la dynamique du film.
Y aura-t-il une version pour la télévision comme l’année précédente ?
Pour le moment, notre concentration est entièrement sur le film. Cette année, le feuilleton sera différent du film, même dans son intrigue. L’an dernier, Sahbek Rajel s’est placé en tête des audiences à la télévision avec un chiffre doublant celui du deuxième feuilleton. Bien sûr, on ne peut pas plaire à tout le monde. Je peux pourtant dire que j’ai gagné un nouveau public, ceux qui trouvaient auparavant les comédies tunisiennes superficielles et ridicules, comme de simples sketchs. Cela pourrait les encourager à découvrir le prochain film à sa sortie au cinéma.
Quelle est la recette pour faire de la comédie sans tomber dans la superficialité ?
Il y a une grande différence entre simplement faire rire et créer une histoire complète avec du suspense. À mes débuts, j’ai fait des expériences qui ont été fortement critiquées à ce niveau et j’avais du mal à accepter ces critiques. Aujourd’hui, avec du recul et de la maturité, je reconnais que certaines choses qui avaient beaucoup de succès auprès du public n’étaient pas parfaites. Une chose est sûre : j’ai évolué et ce que je produis aujourd’hui dépasse nettement ce que j’ai fait précédemment.

