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De Beijing à Tunis : Redonner aux femmes leur rôle dans la stabilité africaine

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  • 9 décembre 17:15
  • 7 min de lecture
De Beijing à Tunis : Redonner aux femmes leur rôle dans la stabilité africaine

Pour la première fois hors du siège de l’Union africaine, Tunis accueille le Forum africain sur les femmes, la paix et la sécurité.

À l’heure où, vingt-cinq ans après la résolution 1325 et trente ans après Beijing, les droits des femmes restent menacés, ce rendez-vous continental rappelle que la stabilité des sociétés africaines passe par l’émancipation et le rôle actif des femmes.

La Presse —La sixième session ordinaire du Forum africain de haut niveau sur les Femmes, la Paix et la Sécurité se tiendra les 9 et 10 décembre au siège de l’Académie diplomatique internationale de Tunis.

Pour la première fois depuis sa création, ce rendez-vous stratégique quitte le siège de l’Union africaine pour s’installer dans un pays membre, marquant la confiance accordée à la Tunisie et à sa diplomatie.

Selon le ministère des Affaires étrangères, cette édition réunira des personnalités africaines et internationales autour du thème : «Vingt-cinq ans après la résolution 1325 : renforcer la diplomatie multilatérale pour consolider l’agenda Femmes, Paix et Sécurité en Afrique dans un ordre mondial en mutation».

Participeront à ce Forum des représentants d’États membres de l’Union africaine, de pays partenaires, d’organisations internationales, de think tanks, d’ONG et d’associations œuvrant pour les droits des femmes dans les domaines de la paix et de la sécurité.

Un double anniversaire pour un agenda encore inachevé

La tenue de ce Forum coïncide avec deux jalons majeurs : le 25e anniversaire de l’adoption de la résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations unies et le 30e anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing.

Créé en 2019, le Forum africain Femmes, Paix et Sécurité constitue aujourd’hui une plateforme continentale stratégique, dédiée à la réflexion, au suivi des engagements et à la planification conjointe.

Son ambition : renforcer la mise en œuvre effective de l’agenda international et africain en matière de participation des femmes, de prévention des conflits, de protection et de consolidation de la paix.

La femme, première cible en temps de guerre

Malgré un arsenal juridique international dense, la réalité reste implacable : la femme demeure le maillon le plus vulnérable, en temps de conflit comme en temps de paix.

Dans les zones de guerre, elle devient souvent la première cible. Le viol y est utilisé comme arme de terreur et de domination, un instrument pour briser les communautés, semer la peur et détruire les liens sociaux.

Cette vulnérabilité est particulièrement visible dans les régions pauvres d’Afrique, d’Asie du Sud ou du Sud-Est.

Le retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan en sont des illustrations douloureuses ; ce sont les femmes qui paient aujourd’hui le prix le plus lourd, privées d’instruction, de mobilité, de protection et parfois même de leur simple existence dans l’espace public.

Un fardeau invisible mais constant

En dehors des conflits armés, la charge qui pèse sur les femmes reste considérable. Elles élèvent les enfants, portent le foyer, assument les tâches domestiques et travaillent souvent pour assurer les besoins de la famille.

Dans nombre de pays en développement, cette responsabilité est aggravée par la pauvreté, l’absence de services publics, la précarité économique et les normes sociales qui restreignent leur autonomie.

Même ici, en Tunisie, où la femme est considérée comme relativement privilégiée grâce à un arsenal de lois qui protègent ses droits, ses acquis, son égalité avec l’homme et son intégrité physique, elle souffre.

Les mentalités, les reculs ponctuels des acquis et une société parfois pesante continuent de l’accabler et de l’acculer, révélant que la législation seule ne suffit pas à garantir la liberté et la dignité.

L’histoire contemporaine le montre avec constance, quand un régime se sent menacé, la première liberté sacrifiée est celle des femmes. L’exemple de l’Iran est emblématique : restreindre les droits des femmes devient un instrument politique pour reprendre le contrôle d’une société turbulente.

Les contextes de crise révèlent ainsi cette mécanique brutale ; ce sont les femmes qui sont les premières pénalisées, les premières réduites au silence.

La paix portée par les femmes

Ce que l’on oublie souvent, c’est que la paix ne naît pas uniquement des résolutions internationales ou des signatures apposées sur des accords.

Elle prend forme d’abord sur le terrain, dans la vie quotidienne des femmes, très loin des tribunes officielles.

Dans les villages isolés, ce sont elles qui désamorcent les tensions familiales, maintiennent les liens entre communautés et protègent les enfants des spirales de violence.

Dans les quartiers urbains fragilisés, elles organisent la solidarité, créent des réseaux de soutien, surveillent les dérives et maintiennent un équilibre là où les institutions faiblissent. Leur action est souvent silencieuse, jamais spectaculaire, mais elle est essentielle.

C’est une diplomatie de proximité, patiente, enracinée dans le réel. Reconnaître ce rôle, le valoriser et le soutenir, c’est admettre que la stabilité d’un pays repose autant sur ces médiations invisibles que sur les décisions prises dans les capitales.

La paix se construit, d’abord, dans les mains de celles qui portent la société au quotidien.

Pour une stratégie au service de l’autonomisation

Parce que la femme demeure la colonne vertébrale de toute société, il devient urgent que les États cessent de se contenter de déclarations de principe pour passer à de véritables politiques publiques, ambitieuses et appliquées.

La priorité absolue reste l’instruction. Une société qui renonce à éduquer ses filles compromet non seulement son avenir, mais réduit aussi sa capacité à bâtir une citoyenneté éclairée. 

Garantir l’accès à l’école, coûte que coûte, quelles que soient les crises traversées, demeure le premier acte de résistance contre l’obscurantisme, la pauvreté et les cycles de marginalisation.

Cette instruction doit s’accompagner d’une autonomisation économique réelle. Tant qu’une femme ne possède ni revenus stables ni opportunités professionnelles ni accès équitable au marché du travail, elle reste enfermée dans un cycle de dépendance qui limite sa capacité à se protéger, à se projeter et à influencer les choix qui façonnent la société.

L’indépendance économique n’est pas un luxe, c’est une condition de dignité. À cela s’ajoute un impératif moral et politique, lutter fermement contre toutes les formes de violence, y compris celles qui s’installent dans le silence des foyers.

Trop souvent, ces violences demeurent invisibles ou tolérées, alors qu’elles constituent l’un des principaux freins à l’émancipation féminine et l’une des plus grandes atteintes à l’intégrité humaine. C’est pourquoi protéger les femmes, c’est protéger le socle même de la cohésion sociale.

Enfin, dans les processus de paix comme dans les négociations diplomatiques, la place des femmes doit cesser d’être symbolique. Toutes les études montrent que leur participation rend les accords plus durables, plus inclusifs et plus légitimes. 

Pourtant, elles restent encore largement écartées des tables où se décide l’avenir des nations. Les inclure, ce n’est pas un geste de représentation, c’est un choix stratégique.

Car lorsqu’une femme s’effondre, ce n’est jamais elle seule qui tombe: ce sont ses enfants, sa famille et parfois toute une communauté qui vacillent.

À l’inverse, lorsqu’une femme avance, tout un pays avance avec elle. Le Forum de Tunis offre précisément cette occasion. 

Après vingt-cinq ans de promesses, le véritable défi est de mettre enfin en mouvement le pouvoir des femmes, pour qu’elles soient au cœur des décisions et des transformations qui façonnent l’Afrique.

Dans chaque village, chaque ville et chaque institution, leur action construit la paix, la stabilité et la prospérité que le continent mérite.

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Auteur

Hella Lahbib