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Culture

Lectures de l’ouvrage «Dans la pensée de Farhat Hached» : Une voix retrouvée, un héritage réhabilité

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  • 9 décembre 20:00
  • 6 min de lecture
Lectures de l’ouvrage «Dans la pensée de Farhat Hached» : Une voix retrouvée, un héritage réhabilité

Les chercheurs universitaires et auteurs, Mokhtar Khalfaoui et Ridha Makni, ont présenté leurs lectures respectives du nouvel ouvrage en arabe «Dans la pensée de Farhat Hached-Articles de 1949» de l’académicien Lassâad El Waer, lors de sa présentation, samedi à la salle Le Rio à Tunis, en présence de l’auteur.

Le vendredi 5 décembre 2025, la Tunisie a commémoré le 73e anniversaire de l’assassinat de Farhat Hached. Né le 2 février 1914 à El Abbassia, dans l’île de Kerkennah (Sfax), et assassiné le 5 décembre 1952 près de Radès, dans la banlieue sud de Tunis, Hached reste l’une des figures les plus emblématiques de la lutte pour l’indépendance de la Tunisie et des droits des travailleurs.

Fondateur de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) en 1946, Hached a marqué profondément l’histoire politique et sociale du pays.

Son parcours et son assassinat par la Main Ruge, émanation des services secrets français durant la période coloniale (1881-1956), font l’objet de plusieurs ouvrages et documentaires.

L’image méconnue d’un leader syndical 

L’universitaire et auteur Mokhtar Khalfaoui a souligné que l’image traditionnelle de Farhat Hached, celle du leader syndical et du militant nationaliste, est en train d’évoluer avec la parution de ce nouveau livre, publié en novembre 2025 aux éditions Mohamed Ali.

«Ce que ce livre dévoile, c’est l’image d’un Hached journaliste, écrivain et penseur social et politique», a-t-il affirmé, ajoutant que «ce que nous découvrons dans cette série d’articles nous permet de passer de l’image de Hached que l’on connaît à celle d’un Hached qui nous parle directement».

Khalfaoui a précisé que cet ouvrage s’inscrit dans un ambitieux projet de recherche visant à réunir les articles de Hached publiés dans la presse tunisienne et française entre le milieu des années 1930 et le début des années 1950.

À ce jour, la série comprend trois volumes couvrant les années 1935, 1948 et 1949, un quatrième étant prévu pour documenter les écrits de Hached de 1950 à 1951.

Il a également salué l’effort considérable de l’auteur de cette série, Lassâad El Waer, qui, selon lui, a mené un travail minutieux de suivi, de tri, de comparaison et de traduction. Ce travail, mené sur plusieurs années, dépasse souvent les capacités des institutions de recherche.

Khalfaoui a révélé que les trois premiers volumes comprennent environ 650 articles, dont 80% sont rédigés en français. «Ce grand nombre d’articles témoigne de la diversité des modes d’expression de Hached et de la large portée de son lectorat sous le régime colonial», a-t-il ajouté.

Cette série «modifie l’image traditionnelle du leader syndical et révèle un Hached, brillant journaliste et penseur social et politique, abordant des sujets tels que les travailleurs, l’éducation, les libertés publiques et analysant les transformations mondiales ainsi que les mouvements de libération».

Malgré ses lourdes responsabilités syndicales, Hached écrivait presque quotidiennement, publiant parfois jusqu’à deux articles ou plus par jour, en arabe ou en français.

«Ce travail de terrain n’a pas empêché Hached de produire une œuvre intellectuelle abondante, témoignant d’une prise de conscience politique précoce et d’une vision sociale et économique large», a précisé Khalfaoui.  

Il a aussi abordé l’évolution de la pensée de Hached, notant que ses premiers articles, écrits à la fin des années 1930, montrent un jeune homme de 24 ans, réfléchissant en profondeur sur l’identité, le travail syndical et l’unité ouvrière.

Après 1946, ses idées évoluent vers un soutien accru à l’indépendance nationale et à l’autonomie du mouvement syndical.

Khalfaoui a rappelé que, dans ses premières années, Hached voyait la création de syndicats indépendants comme une menace pour l’unité syndicale. Mais il a rapidement révisé cette opinion à mesure que la situation évoluait, et que la lutte nationale prenait de l’ampleur.

Ce changement prouve que «Hached n’était pas une personnalité figée, mais bien un acteur historique en constante évolution», a conclu Khalfaoui.

Farhat Hached : «Une pensée sociale, syndicale et politique»

L’écrivain et professeur d’histoire à l’université tunisienne, Ridha Makni, a qualifié le nouvel ouvrage sur la pensée de Hached de «source essentielle pour quiconque souhaite comprendre la véritable histoire sociale et syndicale de la Tunisie».

Selon lui, ces articles et discours permettent de redécouvrir la voix de Hached «telle qu’elle était, loin des images réductrices qui circulent habituellement».

Makni a noté que les textes de Hached offrent un éclairage détaillé sur les syndicats sectoriels de l’époque, tels que les syndicats agricoles et ceux du transport et de la poste.

Ils révèlent également l’évolution du travail syndical, la montée en puissance du mouvement régional et la nature des relations entre l’Ugtt et les organisations locales et internationales.

Il a également souligné les tensions internes au sein de la scène syndicale, notamment les désaccords avec la Fédération générale du travail (CGT) française, active en Afrique du Nord à l’époque.

En évoquant l’apport de l’auteur du livre, Makni a rappelé la tentative de l’universitaire Omar Saïdane, dans les années 1960, de collecter les écrits de Hached, en précisant que l’œuvre d’El Waer dépasse largement cette tentative en termes d’étendue et de précision.

Grâce à un classement rigoureux et l’ajout de centaines d’articles inédits, ce travail offre une vision beaucoup plus complète de la pensée de Hached, a-t-il estimé. 

Une analyse statistique des écrits de Hached révèle que l’aspect social prédomine largement dans ses écrits.

De nombreux articles portent sur des thèmes comme les salaires, les contrats collectifs, les allocations, le chômage et les conditions de travail, illustrant son héritage syndical et son engagement intellectuel.

Ce focus social reflète son passé au sein de la CGT avant 1944, et se traduit par un lexique marqué par des termes comme «capitaliste», «prolétaire» et «réactionnaire», soulignant son engagement pour la justice sociale.  

Makni a aussi relevé la dimension économique dans les écrits de Hached, notamment ses réflexions sur les prix, la structure des salaires, les disparités régionales entre le nord et le sud du pays, ainsi que les inégalités entre les travailleurs tunisiens et français dans les administrations, les mines et les industries.

Ces textes révèlent une pensée claire de Farhat Hached, articulant un lien constant entre lutte sociale et lutte politique, une vision qui, selon Makni, était en avance sur son époque.

Il a cité la célèbre déclaration de Hached en 1952 : «La politique détermine le destin du peuple».

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La Presse