Comptes en devises pour tous les Tunisiens : bombe à retardement pour le dinar…
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L’expert économique Larbi Benbouhali a alerté sur les risques liés à l’ouverture de comptes bancaires en devises pour les Tunisiens résidant en Tunisie sans autorisation de la Banque Centrale, dans le cadre du budget 2026.
Dans un post publié sur sa page Facebook officielle, Benbouhali a clairement exprimé son opposition aux nouvelles lois qui permettraient cette mesure, estimant qu’elles mettraient en danger la stabilité économique du pays. L’expert se dit en revanche favorable à la réforme des lois de 1976 qui régissent les comptes en devises et à l’introduction de solutions modernes de paiement, notamment le « Mobile Banking » pour les 12 millions de Tunisiens. Selon lui, le pays pourrait tirer des leçons de nombreux pays africains qui disposent déjà de services bancaires mobiles performants.
Benbouhali recommande aussi aux jeunes Tunisiens souhaitant ouvrir un compte en devises de s’inspirer d’entreprises comme Instadeep, Vermeg ou Telnet, qui opèrent depuis la Tunisie et ont connu le succès grâce aux lois sur les changes de 1976. Il souligne que 65% des Tunisiens n’ont pas de compte bancaire, et que le ministère des Finances pourrait attribuer un numéro d’identification fiscale unique à chaque citoyen. La Banque centrale (BCT) pourrait ensuite introduire des applications de Mobile Banking pour intégrer l’économie informelle, représentant 35% de l’économie nationale, dans le système bancaire.
Parmi les risques identifiés par l’expert, le premier concerne l’expérience de la Chine, où les comptes en devises étrangères sont strictement réglementés. Les citoyens chinois ne peuvent convertir le yuan en dollars ou en euros qu’avec des limites annuelles et des justificatifs spécifiques. Selon Benbouhali, la Tunisie devrait éviter d’ouvrir le compte de capital de l’économie nationale à tous les citoyens, car cela permettrait à chacun d’acheter, vendre et spéculer sur n’importe quelle devise étrangère sans contrôle de la BCT, mettant en péril la valeur du dinar.
L’expert rappelle que la Tunisie souffre déjà d’un déficit commercial chronique, d’un déficit énergétique et budgétaire, et que le dinar est confronté à une inflation monétaire plus élevée que celle de ses partenaires commerciaux. L’ouverture généralisée des comptes en devises pourrait accentuer la dépréciation du dinar, augmenter l’inflation importée et obliger la BCT à maintenir des taux d’intérêt élevés, nuisant à l’économie.
Benbouhali cite également l’impact de la politique budgétaire actuelle. La BCT a déjà injecté d’importantes sommes pour couvrir le déficit (7 + 7 + 11 milliards de dinars), ce qui a affaibli le dinar. En 2025, la monnaie tunisienne a perdu 3,5% de sa valeur par rapport à l’euro, et la dépréciation du dinar alourdit le coût de la dette extérieure, détériore le compte courant et pourrait affecter la notation de crédit du pays.
Pour illustrer les risques, l’expert imagine 200 000 jeunes Tunisiens disposant d’un compte en devises désirant acheter simultanément des produits importés, comme le dernier modèle d’iPhone, tandis que d’autres importateurs achètent du blé, du gaz ou des médicaments. Selon lui, cette situation ferait s’effondrer la valeur du dinar, comme ce fut le cas pour la livre libanaise et le dinar libyen, dépréciés respectivement de 11% et 30%, malgré des réserves de change importantes.
Benbouhali précise sur un autre plan que 77% de l’économie tunisienne repose sur la consommation, ce qui signifie que la société dépense plus qu’elle ne produit, laissant libre cours à la spéculation en devises et au déplacement des capitaux à l’étranger. L’ouverture généralisée de comptes en devises pourrait générer des mouvements d’argent chaud, à l’instar de l’Égypte et de la Turquie, entraînant une volatilité importante du dinar et maintenant une inflation élevée.
Selon l’expert, la Tunisie n’est pas encore prête pour un tel dispositif. Le système bancaire est ancien et l’économie n’est pas assez solide. La présence de plus de 700 000 Tunisiens à double nationalité et 1,2 million d’expatriés rendrait la situation encore plus complexe si tous commençaient à spéculer sur le dinar. Même si l’argent provient de l’étranger, il passe par la BCT et influe sur les réserves et le compte de capital national.
Benbouhali cite en outre les expériences régionales : la livre libanaise (-11%), le dinar algérien (-30%) et la livre égyptienne (-55% en deux ans) ont toutes été affectées par des déficits commerciaux et budgétaires, malgré une supervision de leurs banques centrales. Il conclut que l’ouverture d’un compte en devises pourrait être bénéfique uniquement dans certains cas précis, pour les transactions internationales ou l’exportation de produits tunisiens.
Enfin, il recommande de reporter l’ouverture généralisée des comptes en devises à cinq ans, le temps que l’économie et le système financier tunisien se renforcent. Selon lui, lorsque les réserves de devises atteindront 200 jours, le gouvernement pourra envisager de permettre aux citoyens de dépenser jusqu’à 10 000 dollars par an en devises à l’étranger, tout en maintenant le contrôle de la BCT pour protéger le dinar et la stabilité des prix.