Il y a Soixante-cinq ans : Les premiers Casques bleus tunisiens de l’Histoire (3e partie)
Il a fallu, à la Brigade tunisienne, après les pertes subies par les Congolais ( plusieurs morts dont le Colonel Kokolo, le responsable militaire de Léopoldville et blessés), et un mort et sept blessés dans nos rangs (dont notre camarade le Lieutenant Mahmoud Gannouni qui reçut plusieurs balles à l’estomac, ce qui a nécessité son évacuation sur la Tunisie dès que son état de santé l’eut permis) beaucoup de diplomatie, du sang-froid et assez de retenue pour calmer le jeu et gagner de nouveau la confiance de la population congolaise qui vivait dans une ambiance surchauffée…
Afin de mettre un terme à ces fâcheux incidents qui ne contribuaient qu’à compliquer davantage une situation qui n’était déjà que trop confuse, le Commandant de la Brigade avait décidé de décréter, certains secteurs de la Ville de Léopoldville «Zones sûres»-«Zones non sûres» et «Zones dangereuses».
Tous les personnels de toutes les nationalités, civils et militaires, travaillant sous l’égide des Nations unies au Congo, sous quelque forme que ce fût, en ont été avisés par une note officielle.
Il y a lieu de préciser qu’en plus des missions opérationnelles, l’ONU employait plusieurs contingents dans les tâches administratives, logistiques, de communications, de santé et de police militaire et on trouvait des contingents suédois, canadiens, pakistanais, indiens, norvégiens, malaisiens, indonésiens, libériens, irlandais, éthiopiens, égyptiens, marocains, nigériens, maliens (sénégalais et soudanais), des tunisiens et des ghanéens entre autres.
Les incidents se multiplièrent et les accrochages, plus ou moins graves, étaient de plus en plus nombreux.
C’est dans cette ambiance de méfiance, d’incertitude et de crainte des uns par rapport aux autres qu’au mois de janvier 1961 et alors que les officiers tunisiens se trouvaient au mess de Binza en train de déjeuner que notre camarade le Lieutenant Khelifa Dimassi, officier des transmissions du 9°Bataillon , a reçu une communication de l’une de nos unités implantées en dehors de la ville de Léopoldville , à l’Université de Luvanium.
Il a été avisé que le poste radio de l’unité était en panne et qu’elle ne pouvait, par conséquent, communiquer avec le Poste de Commandement. Dans le souci de ne pas laisser nos hommes sans moyen de liaison, il termina rapidement son repas et sans avoir pris d’escorte ni de chauffeur, sauta dans sa jeep et fonça aussitôt vers cette unité.
En quittant la ville de Léopoldville, on est tout de suite plongé dans la brousse avec sa forêt très dense et sa végétation luxuriante. Quelques kilomètres plus loin, il tomba dans une embuscade tendue, d’après des informations non confirmées, par des militaires de l’ANC (Armée Nationale Congolaise) qui l’auraient arrêté et emmené avec eux.
Nous n’avons jamais eu de ses nouvelles. Le Commandement de l’ANC, répondant aux énergiques injonctions de l’ONU et de la Brigade tunisienne, nia totalement l’implication de ses hommes dans cette affaire.
Nous avons déduit qu’il aurait été victime d’une vengeance après la mort du Colonel Kokolo, tué lors de la fusillade de l’ambassade du Ghana. Notre camarade de promotion Khelifa Dimassi, porté disparu, a été le premier martyr de la promotion.
Le régiment soudanais qui était mis sous contrôle opérationnel de la Brigade Tunisienne et qui en faisait partie devant être relevé pour rentrer au Soudan, le Commandant de la Brigade demanda à la Tunisie l’envoi de deux compagnies en renfort en vue de lui permettre de créer un troisième bataillon.
En effet, celles-ci arrivèrent début mars 1961 et permirent la création, grâce au prélèvement de deux autres compagnies des 9° et 10° bataillons, le 11° bataillon qui sera commandé par le Capitaine Ben Saïd qui recevra, le même mois, sa quatrième étoile et sera nommé commandant.
La Base aéronavale de Kitona, à l’embouchure du fleuve Congo, une base ultra-moderne pouvant recevoir tout type d’avion à réaction, et qui était mise par la Belgique, avant l’indépendance du Congo, à la disposition de l’Otan, était tenue par un régiment indonésien.
Comme ce régiment devait quitter le pays et rentrer en Indonésie pour fin de mission, le Commandement de l’Onuc chargea la Brigade tunisienne de cette base.
Le Commandant de la Brigade désigna les deux compagnies du 11°Bataillon, fraîchement arrivées de Tunisie, pour se rendre à Kitona le 22 avril en vue de remplir cette mission à compter du 1er mai 1961.
Ce détachement était commandé au début par le Commandant Ben Saïd. Il le sera, un mois et demi plus tard, par le Lieutenant Benkraiem, le Commandant Ben Saïd ayant été rappelé à Léopoldville pour assurer le commandement de son bataillon.
La mission du détachement de Kitona a été explicitement définie, le 1er mai 1961, par le Commandant de la Brigade, par les instructions suivantes :
1- Protéger par la force, si besoin est, toutes armes, munitions et autre matériel militaire entreposés dans la base;
2- Interdire à toute personne non autorisée, l’accès de la base;
3- Fouiller tout appareil utilisant la base;
4- Saisir sur-le-champ, tout matériel de guerre introduit dans la base et en rendre compte immédiatement à l’Etat-Major (3° Bureau);
5- Maintenir l’ordre et la légalité dans la région de la base;
6- Empêcher les dommages et les vols des biens de la base;
7- Prendre toute disposition pour protéger tout appareil de ONU utilisant le terrain d’atterrissage.
La situation semblait s’améliorer jour après jour et les tentatives de rapprochement de toutes les factions et de tous les partis politiques congolais étaient encouragées par l’ONU dans le but de promouvoir des discussions sérieuses et responsables en vue d’arriver à un compromis permettant de régler sérieusement le problème congolais.
Je voudrais, pour l’Histoire, citer le nom de quelques camarades de promotion qui me reviennent à l’esprit et qui, n’ayant que près de vingt-cinq ans d’âge, et une très mince expérience, ont fait un travail remarquable dans cette Afrique profonde, dans cette brousse inhospitalière et dans ces contrées éloignées de toute civilisation.
Ils étaient implantés comme suit: Lt Mohamed Sadok Chebbi à Port Franqui, Lts Mohamed Louerghi et Abderahmane Belhadj Yahia à Mweka, Lt Moncef Materi au lac Makamba, Lt Hamida Ferchichi à Tshikapa, Lt Ismaêl Bey à Bakwanga, Lt Youssef Barket à Luputa, Lt Mustapha Mokadem à Mwene Ditu, les Lts Mohamed Gzara, Azzeddine Bettaieb, Hamadi Ben Cheikh, Ammar Abdelkader, Zia Ben Cheikh, Kamel ben Bader, Mustapha Dargouth, Mohamed Ben Guiza, Habib Azzabi,Turki Romdane,Lotfi Loghmari, Salem Hamzaoui, Mohamed Makhlouf, Mahmoud Gannouni, Abderrazak Essaied à Luluabourg et/ou à Leopoldville, le Lt Salem Sabbagh remplissant la fonction d’officier de liaison avec l’Etat-Major de l’Onuc. Parmi les officiers anciens qui encadraient la Brigade, je citerais entre autres et outre le Colonel Lasmar, les Commandants Ahmed el Abed, Ali Charchad, Mohamed Limam, Sadok ben Said, les Capitaines Moncef Essid, Hedi Abdelkader, Abdelmalek Allani, Hassouna ben Bader chef de la clique et musique.
Alors que nous étions à plusieurs milliers de kilomètres de notre pays en train d’aider le peuple congolais à retrouver ses repères, et ses représentants à s’asseoir autour d’une table pour discuter de l’avenir de leur pays, tracer les règles fondamentales d’un Congo uni et souverain et se mettre d’accord sur une formule d’entente définitive et permanente, des informations graves et pénibles, concernant notre pays, nous étaient parvenues le 19 Juillet 1961 au soir.
En effet, des bribes d’informations radio nous signalaient le début d’une guerre déséquilibrée et meurtrière entre l’armée tunisienne et l’armée d’occupation française dans la région de Bizerte.
Le gouvernement tunisien, ayant besoin de toutes ses Unités pour faire face à cet affrontement inégal, demanda à l’ONU le rapatriement de sa Brigade.
Celui-ci commença le 24 Juillet 1961 pour se terminer vers le 1er août. A l’arrivée de la Brigade en Tunisie, les combats ont, suite à l’appel de l’Assemblée générale des Nations unies et aux résolutions du Conseil de Sécurité, cessé depuis quelques jours.
La Brigade a été positionnée autour de la capitale et dans la région de Bizerte.
Trois mois après notre retour du Congo, la situation dans ce pays n’a pas évolué positivement et les mêmes problèmes ont, par ailleurs, empiré. La bataille de Bizerte ayant cessé pour céder la place à la négociation, l’ONU, satisfaite du rendement du premier contingent, demanda à la Tunisie l’envoi d’un deuxième.
Celui-ci, de l’ordre d’un bataillon, avec des effectifs de huit cents hommes, commençait à se mettre sur pied à partir du 15 décembre 1961.
Cette Unité prit l’appellation de 14° bataillon et son commandement a été confié au Commandant Hassine Remiza avec comme officier adjoint le capitaine Boubaker Benkraiem.
Notre mouvement pour le Congo qui commença le 28 décembre 1961, par avions *Hercules*, prit fin le 4 janvier 1962.
Après les formalités d’usage et la perception des équipements, nous avons été affectés, à compter du 7 février 1962, au Katanga, cette province qui fit sécession depuis plus d’un an sous la présidence de M. Moïse Tshombé.
C’est la province la plus méridionale du Congo et certainement la plus riche, par ses minerais et surtout par son cuivre.
Le Katanga est, d’après un professeur universitaire, un scandale géologique, tellement son sous-sol ne répondant à aucune logique. L’Etat du Katanga, c’était son appellation officielle, avait constitué une armée dénommée « gendarmerie Katangaise » encadrée et entraînée par les « affreux » ou mercenaires venus d’Europe et de l’Afrique du Sud blanche.
La capitale Elisabethville, aujourd’hui Lubumbashi, est à près de mille cinq cents Kilomètres de Léopoldville (Kinshasa), la capitale du pays. Bénéficiant d’un climat exceptionnel, situé à mille mètres d’altitude, ayant une température de vingt à vingt-deux degrés toute l’année, une végétation luxuriante et en fleurs pérennes, c’est un pays féerique. (A suivre).
B.B.K.
(*) Ancien sous-chef d’état-major de l’Armée de terre, ancien Casque bleu au Congo et au Katanga,ancien gouverneur