À la lisière de la forêt profonde d’El Feija, à Ghardimaou, une harde de Cerfs de Barbarie surgit soudain dans une clairière soigneusement aménagée. Les visiteurs retiennent leur souffle devant ce spectacle qui semblait impossible il y a encore quelques décennies. Ce cervidé mythique, aussi appelé Cerf de l’Atlas, était considéré comme disparu du Maghreb, victime de la déforestation, des changements climatiques et de la chasse incontrôlée. Dans les années 1960, son territoire s’était réduit jusqu’à un mince rectangle forestier entre Ghardimaou, Tabarka, Annaba et Souk-Ahras, en Algérie.
La Tunisie, pionnière dans la restauration du Cerf de l’Atlas
Aujourd’hui, grâce à des efforts coordonnés depuis l’indépendance, l’espèce réapparaît dans son habitat originel. En 2016, la Tunisie a accueilli 23 cerfs et biches venus d’Espagne dans le cadre d’un ambitieux programme de réintroduction. Ce chantier écologique, piloté par la Direction générale des forêts et soutenu par plusieurs partenaires internationaux, a permis de créer des parcs spécialisés, notamment à El Feija (Ghardimaou) et à Aïn Baccouche (Tabarka).
Les autorités forestières estiment que les populations en captivité progressent régulièrement, plaçant la Tunisie en tête des pays du Maghreb en matière de protection du Cerf de Barbarie. Classée “faible risque” par l’UICN en 2000, l’espèce reste toutefois fragile, nécessitant un suivi rigoureux.
Une formation au cœur de la forêt d’El Feija
Le samedi 6 décembre 2025, le silence de la forêt a laissé place au murmure des échanges entre journalistes, cadres forestiers, ouvriers et conservateurs du Parc national d’El Feija. Leur visite s’inscrivait dans une formation sur la biodiversité et la gouvernance des ressources naturelles, organisée par le Programme d’Appui aux Médias Tunisiens (PAMT2), la GIZ Tunisie via son programme PAGECTE, le ministère de l’Environnement et Tunisian Campers.
Un cervidé aux secrets multiples
Le Cerf de Barbarie séduit autant par sa stature que par ses adaptations subtiles. Son pelage change au fil des saisons, oscillant entre un roux lumineux l’été et un gris-brun tissé d’ombres l’hiver. Les faons portent des taches blanches, parfois persistantes à l’âge adulte, une signature unique qui le distingue de son cousin européen.
Selon l’expert Faouzi Maâmouri, “les bois des mâles tombent chaque année, repoussent, se ramifient, et racontent l’âge, la santé et les conditions de vie de l’animal”. Durant la brame, la forêt devient une scène où s’entrelacent appels rauques, rivalités et conquêtes. Le mâle dominant forme un harem et s’accouple avec huit à dix biches. Après huit mois de gestation, les faons passent leurs premières semaines immobiles, camouflés dans la végétation pour échapper aux prédateurs.
Le bois de cerf: une ressource naturelle sous-valorisée
À la Maison forestière d’El Feija, construite en 1908, une collection remarquable de bois de cerfs témoigne de ce patrimoine vivant. La DGF détient par ailleurs un stock unique au monde, encore inexploité. Pourtant, ces bois tombés naturellement sont une mine d’informations scientifiques: âge des animaux, état du milieu, pressions climatiques.
Ils pourraient aussi nourrir une filière artisanale durable: manches de couteaux, bijoux, sculptures, objets décoratifs. Leur décomposition enrichit le sol et participe au cycle minéral de la forêt.
Mais l’accès à cette ressource reste limité par le Code forestier de 1988, qui interdit aux familles vivant au cœur d’El Feija d’en bénéficier. Forestiers et habitants appellent désormais à une réforme pour aligner la loi sur les ambitions écologiques du pays.
Une forêt qui veille sur ses habitants
À El Feija, forestiers, ouvriers et habitants œuvrent ensemble pour préserver ce sanctuaire naturel. Leur attachement est presque rituel. “Cuisiner du cerf? Jamais. C’est interdit, et la prison nous attendrait”, lance avec humour “Nakhla”, une septuagénaire du village, piquée par la plaisanterie d’un visiteur.
Malgré les menaces persistantes, le Cerf de Barbarie continue de se régénérer en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Une preuve vivante de la résilience des écosystèmes lorsque la protection, la volonté politique et la science avancent dans la même direction.
