« El Sett », biopic d’Oum Kolthoum : La femme derrière la diva
Que l’on soit un fan inconditionnel d’Oum Kalthoum ou que l’on ait des goûts musicaux différents, on ne regardera plus ses œuvres de la même manière après avoir vu ce film.
La Presse — Surnommée l’Astre d’Orient ou encore la Quatrième Pyramide, Oum Kalthoum est incontestablement la chanteuse la plus célèbre du monde arabe.
Tout comme ses chansons ont séduit des générations entières, sa vie mouvementée continue encore à inspirer les cinéastes.
Cinquante ans après son décès, un long métrage égyptien est actuellement à l’affiche dans nos salles : « El Sett », avec, dans le rôle principal, la star Mona Zaki.
Une polémique précédant la sortie du film
Depuis le 11 décembre, cinéphiles et mélomanes pourront découvrir le nouveau biopic. Le scénario est écrit par Ahmad Mourad que l’on connaît essentiellement en romancier grâce à « Al Fil Al Azrak » (L’éléphant bleu) qui s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaires en parallèle avec son adaptation très réussie au cinéma.
Le réalisateur n’est autre que Marwan Hamed à qui l’on doit le célèbre « Imarat Yaâkoubian » (L’immeuble de Yaâkoubian) ainsi que de nombreuses collaborations au préalable avec Ahmad Mourad pour des films qui ont tous connu un énorme succès.
Avec un duo d’un aussi haut niveau, et vu le respect et la passion que l’on voue à la diva Oum Kalthoum, on pourrait penser à un produit artistique d’une qualité rare et que l’on attendrait impatiemment.
Or, le film a été contesté, même raillé dès l’annonce du tournage. Deux raisons essentielles ont été au centre de cette polémique.
D’abord, un feuilleton a déjà repris la vie et le parcours artistique d’Oum Kalthoum depuis ses débuts dans un milieu conservateur jusqu’à son ascension.
Il a été diffusé à la télé en 1999 avec, à l’affiche, la grande actrice Sabrine. Sa prestation a été à l’époque fortement applaudie par le public et la critique.
Une majorité se demande, alors, qu’est-ce qu’un film de 2 h pourrait apporter de nouveau par rapport à la série de 30 épisodes ? Tout est déjà dit, pense-t-on.
Mais, la principale raison pour laquelle des voix s’opposent à la création du film reste le choix de Mona Zaki pour le rôle principal.
En effet, la star a déjà endossé le rôle de Souad Hosni dans une série fortement critiquée.
Son jeu était loin d’être convaincant, pour ne pas dire même décevant pour certaines scènes, selon la plupart des avis.
De plus, cette actrice de 49 ans subit récemment une chute de sa popularité et une campagne d’attaques depuis son rôle jugé osé dans le film « On se connaît.. ou pas » (Ashab.. wella aazz). Il était donc difficile de l’imaginer dans la peau d’une femme aussi stricte et rigoureuse qu’était Oum Kalthoum.
Aucune ressemblance physique, pas de traits de caractère en commun selon ce que l’on sait des deux artistes.. Serait-elle à la hauteur de cette responsabilité énorme ?
Un parcours jalonné de périples
Le film s’ouvre avec une voix documentaire qui rapporte la guerre en Egypte en 1967.
En parallèle se tient le concert légendaire d’Oum Kalthoum à l’Olympia de Paris. Un succès fou, des fans venus de tous les horizons admirer la diva, dont de hauts diplomates et même le Roi de la Jordanie.
Mona Zaki se montre alors avec un maquillage et des effets spéciaux qui la rendent méconnaissable, empruntant l’allure de la chanteuse qu’elle incarne.
Un fan enthousiasmé s’est approché d’elle au point de la faire chuter sur scène.
La salle sombre alors dans le chaos. La star, étendue au sol, revoit sa jeunesse défiler devant ses yeux. Une petite fille du cheikh dans un village reculé devenue l’artiste la plus populaire de son époque.
Le film s’articule sur une alternance d’analepses et de scènes au présent qui la montrent à l’automne de l’âge.
Loin d’être une simple histoire d’ascension, les paradigmes politique et musical se sont naturellement mêlés dans cette œuvre, tout en creusant dans l’intimité du personnage.
Oum Kalthoum était une diva, mais avant tout une femme sensible, fragile, forte et déterminée, tout à la fois.
Une combinaison de traits oxymoriques qui font la singularité de son parcours..
Quand elle chantait la passion, on la croyait tout avoir, l’argent, la gloire..
Pourtant, son cœur a été brisé plus d’une fois et elle s’est trouvée longtemps condamnée à la solitude et la maladie.
C’est ce qui explique certainement le choix de Mona Zaki pour le rôle. Il fallait montrer la féminité et le charme naturel d’Oum Kalthoum qui captivait son entourage par son intelligence et son sens de l’humour.
Un regard candide, des échanges de sourires avec l’homme aimé et cet élan de jeunesse incarnés par l’actrice esquissent un autre portrait de la diva que l’on voit rarement sourire et que l’on croyait rigide à l’excès.
De nombreuses scènes fortement émouvantes ont même réussi à tirer quelques larmes aux plus sensibles.
Le long métrage a également souligné son côté fortement engagé, même en dehors de son soutien inconditionnel à son pays en guerre.
Elle fut en effet la première artiste femme à être élue à la tête du Syndicat des musiciens en Egypte.
Après avoir retracé sa vie mouvementée, les dernières scènes montrent ses funérailles auxquelles ont assisté quatre millions et demi de personnes.
Le public est ensuite resté jusqu’au bout du générique du film, à finir la chanson, ce qui arrive rarement au cinéma.
Un film émouvant, mais surtout impressionnant
Afin de rendre hommage à « El Sett », il fallait que l’œuvre soit à la hauteur de l’artiste, donc grandiose et innovante.
Pour cela, le metteur en scène a reconstruit chaque décennie qu’elle a vécue depuis les années 20.
Un concert à l’Olympia, un ballet donné dans un cabaret somptueux, la gare avec ses innombrables passagers, le palais royal..
Tout a été reproduit avec un travail minutieux sur les détails entre décors externes, costumes, coiffures et mobilier d’époque.
Certaines scènes ont pu être simplement citées.
Or, les créateurs du film ont choisi de nous les faire revivre en dépit du budget énorme et de la complexité du travail nécessaire.
Entre passages en couleur et autres en noir et blanc, tout semblait authentique, dans un enchaînement captivant.
Et, pour séduire davantage le public, certains rôles secondaires ont été attribués à des stars confirmées.
En plus de Sayed Ragab, qui incarne le père protecteur, et de Mohamad Farrag dans le rôle d’Ahmad Ramy, on retrouve Amina Khalil, Karim Abdelaziz, Nelly Karim et même le comédien Ahmad Helmy dans une prestation où l’humour prend le dessus.
Toutefois, la bande sonore aurait peut-être été plus appropriée si les notes avaient été orientales.
Dans certaines scènes, on a l’impression qu’elle brusque plutôt qu’elle ne souligne l’intensité dramatique de ces moments.
Dans ce long métrage de 160 min, il ne s’agissait donc pas de brosser un portrait documentaire de l’artiste intemporelle.
Ses créateurs ont surtout tenu à mettre en avant sa sensibilité de femme qui a tant sacrifié et qui se relève à chaque fois plus forte de ses chutes au sens figuré, comme elle s’est relevée sur scène au début du film.
Une chose est sûre, que l’on soit un fan inconditionnel d’Oum Kalthoum ou que l’on ait des goûts musicaux différents, on ne regardera plus ses œuvres de la même manière après avoir vu ce film.
Ses chansons n’auront certainement plus le même impact. Elle nous est désormais plus proche grâce au lien intime que ce biopic a su tisser.