La Théorie de l’Internet Mort : Et si nous étions déjà seuls face aux machines ?
Avez-vous déjà eu cette impression étrange en scrollant sur Facebook ou X (Twitter) ? Cette sensation de lire des commentaires qui se ressemblent tous, de voir des images bizarres likées par des milliers de profils sans visage, ou de débattre avec des interlocuteurs qui ne semblent pas tout à fait… humains ?
Si c’est le cas, vous n’êtes pas seul. Une hypothèse, née dans les bas-fonds des forums de discussion et longtemps moquée, revient aujourd’hui en force : la «Dead Internet Theory» (la Théorie de l’Internet Mort). Son postulat est glaçant : la majorité du trafic web ne proviendrait plus d’êtres humains, mais de bots discutant avec d’autres bots, créant une illusion de vie dans un cimetière numérique.
Science-fiction paranoïaque ou prophétie réalisée? Enquête sur un web qui se vide de son humanité.
Du complot à la statistique: Le basculement
Au départ, vers 2016, cette théorie circulait sur des forums comme 4 chan. L’idée était conspirationniste : des gouvernements ou des corporations auraient remplacé les internautes par des IA pour manipuler l’opinion et contrôler la culture. On en riait.
Sauf qu’en 2024, les chiffres ne font plus rire personne. Selon le rapport annuel d’Imperva, près de 50 % du trafic internet mondial est généré par des bots (automates). Pire encore, la part des «bad bots» (ceux conçus pour nuire, spammer ou frauder) ne cesse d’augmenter.
La réalité a rattrapé la fiction. Internet n’est pas «mort» au sens technique, mais il est «zombifié». L’interaction humaine authentique – celle d’une personne réelle partageant une émotion réelle – est en train de devenir minoritaire, noyée sous un déluge de contenu synthétique.
L’ère du «Slop» : Quand l’IA parle à l’IA
Le phénomène le plus visible de cet «Internet Mort» est ce que les experts appellent le «Slop» (bouillie numérique).
Ouvrez Facebook. Vous y verrez peut-être des images générées par IA : des enfants africains construisant des châteaux en bouteilles plastique, ou des maisons impossibles. Ces images sont grotesques. Pourtant, elles cumulent des centaines de milliers de «Likes» et des commentaires du type «Beautiful», «Great job».
Qui commente ? Des humains ? Peu probable. Ce sont majoritairement d’autres bots, programmés pour simuler de l’engagement afin de faire monter la valeur des pages et générer des revenus publicitaires. Nous assistons à une boucle fermée, absurde et vertigineuse : des machines créent du contenu pour que d’autres machines le consomment, pendant que les algorithmes de recommandation (Meta, TikTok) propulsent ce vide sidéral en haut de nos fils d’actualité.
La fin de la vérité ? L’impact sur l’opinion publique
Si l’Internet Mort se limitait à des images de chats générées par IA, ce serait juste agaçant. Mais le danger est politique et sociétal. Avec l’avènement des LLM (Large Language Models) comme ChatGPT, les bots ne se contentent plus de cliquer. Ils écrivent. Ils argumentent. Ils s’indignent.
Sur X (ex-Twitter), il est désormais impossible de distinguer, lors d’une polémique politique ou d’un événement tragique, si la vague d’indignation est réelle ou artificielle. Une armée de bots peut «gonfler» un sujet artificiellement pour créer un mouvement de foule. C’est l’astroturfing (la simulation de mouvement populaire) à l’échelle industrielle.
En Tunisie, comme ailleurs, cela pose une question cruciale pour la démocratie. Quand une publication politique reçoit
5 000 commentaires élogieux ou haineux, combien proviennent de citoyens réels ? L’opinion publique en ligne est-elle devenue une hallucination collective pilotée par des scripts informatiques ?
Le syndrome de l’Ouroboros : Le web se mange la queue
Le risque ultime de l’Internet Mort est technique. Les Intelligences Artificielles actuelles (comme celle qui écrit ces lignes) ont besoin de données humaines pour apprendre. Elles ont «lu» tout Internet pour savoir écrire. Mais si Internet se remplit de contenu généré par des IA, les futures IA s’entraîneront sur du contenu… d’IA. C’est le serpent qui se mord la queue (l’Ouroboros). Les chercheurs alertent sur un possible «effondrement du modèle» (Model Collapse). À force de se copier-coller entre machines, la qualité de l’information risque de se dégrader, devenant de plus en plus lisse, répétitive et déconnectée de la réalité humaine complexe. Le web deviendrait une photocopie de photocopie, de plus en plus floue.’
Conclusion : La quête de l’authenticité
La théorie de l’Internet Mort n’est pas une fin, c’est un avertissement. Le web «sauvage» et humain des années 2000, celui des forums passionnés et des blogs personnels, est en train de s’effacer au profit d’un flux algorithmique aseptisé et automatisé. Face à cela, la valeur refuge de demain sera l’Authenticité. On verra probablement un retour vers des espaces plus fermés, plus humains (groupes privés, messageries cryptées, rencontres physiques), loin du bruit des bots. La prochaine fois que vous lirez un commentaire parfait, trop lisse, trop rapide, posez-vous la question : est-ce une personne qui partage une pensée, ou un écho synthétique dans la grande chambre vide du web ?
Et d’ailleurs… êtes-vous bien sûr que l’auteur de cet article est humain ?