Dimanche après-midi, les Journées cinématographiques de Carthage ont ouvert la compétition officielle des longs métrages de fiction avec « My Father’s Shadow », premier long-métrage du Nigérian Akinola Davies Jr.
Un film habité, à hauteur d’enfant, où l’intime se frotte au politique dans Lagos en suspens.
La Presse — Après avoir marqué l’histoire en devenant le premier film nigérian sélectionné à Cannes et reçu la Caméra d’or, Akinola Davis Jr. livre ici une œuvre profondément personnelle, ancrée dans une mémoire familiale et nationale à vif.
Le film se déroule sur une seule journée, en été 1993, à Lagos, alors que le Nigéria traverse l’une des plus graves crises électorales de son histoire.
La junte militaire, au pouvoir depuis une décennie, refuse de reconnaître sa défaite. Le pays retient son souffle. L’avenir vacille.
C’est dans ce climat de tension sourde qu’un père entreprend de traverser la capitale avec ses deux jeunes fils désobéissant à une mère restée à la maison. Une échappée rare, presque clandestine, qui prend des allures d’initiation.
Road movie urbain, «My Father’s Shadow» capte la pulsation d’une ville grouillante, traversée par la colère, la peur, mais aussi par une obstination à espérer.
Les rencontres se succèdent, fortuites ou attendues, dessinant le portrait d’une société à la croisée des chemins.
Davies Jr “prend la température” d’un pays en crise sans jamais céder au didactisme, préférant la sensation à l’explication, le regard à la démonstration.
Mais la force du film réside avant tout dans son cœur intime.
Cette journée historique est aussi celle d’une redécouverte: celle d’un père souvent absent, accaparé par son travail et ses engagements politiques.
À travers les yeux de ses fils, la figure paternelle se fissure, s’humanise, se complexifie.
Les scènes de confidence, notamment celle où il évoque la mort de son frère aîné, ou son amour pour sa femme, comptent parmi les plus belles du film, tant par la justesse de l’écriture que par la sobriété de la mise en scène.
Une scène charnière, située dans un bar où les informations électorales défilent à la télévision, marque le basculement. L’atmosphère se charge, la désillusion gagne les visages, la menace devient palpable.
Akinola Davies Jr excelle à transmettre cette tension par la seule organisation de l’espace et des corps.
Porté par une photographie élégante, jamais surlignée, «My Father’s Shadow» est traversé par une mélancolie diffuse, persistante, qui s’insinue lentement jusqu’au cœur du spectateur.
L’idée d’un basculement vers la dictature, racontée à hauteur d’enfant s’avère particulièrement féconde, même si certaines séquences s’étirent au détriment du rythme et la fin peine à trouver l’exutoire émotionnel attendu.
Un premier long-métrage touchant, sincère, profondément incarné, «My Father’s Shadow» se tient à distance des nostalgies faciles et des reconstitutions fantasmées. Et mérite bien sa place dans la compétition.
