Mufti de la République : « l’intelligence artificielle impose un nouvel effort de réflexion pour la fatwa islamique »
Le mufti de la République tunisienne a présenté une vision intellectuelle profonde.
Son discours tisse un lien entre l’Ijtihad (effort d’interprétation), les Maqasid (finalités de la Loi) et une réalité humaine en constante mutation, dans ce qu’il a qualifié de « moment charnière » de l’histoire de la Nation.
Condition humaine et défis de l’Ijtihad Son Éminence a débuté son allocution en soulignant la symbolique du lieu et du moment, saluant l’Égypte comme une terre d’histoire, de civilisation et de science.
Il a ensuite dressé un diagnostic sombre de la réalité mondiale, où l’humanité traverse des épreuves cruelles.
Il a notamment évoqué les peuples et civilisations pris pour cibles, en premier lieu le peuple palestinien, une situation qui appelle à renouveler l’engagement envers les valeurs fondamentales de l’Islam.
Il a déclaré à ce sujet : « les défis majeurs auxquels nous faisons face aujourd’hui sont sans limites, ce qui rend impérieuse la nécessité d’un ijtihad capable de marcher avec son temps, sans pour autant renoncer aux constantes et aux finalités de la Charia ».
Le mufti a souligné que les transformations fulgurantes — de la révolution numérique à l’intelligence artificielle en passant par les mondes virtuels — ont imposé une nouvelle réalité où l’homme est passé « de l’imaginaire au possible, et de l’impossible au réel ».
Dans ce cadre, il a rappelé l’avant-gardisme intellectuel des savants de la Zitouna et d’Al-Azhar Al-Sharif.
Ces derniers avaient alerté très tôt sur le risque de voir s’élargir le fossé entre la Nation et la marche du progrès humain, mettant en garde contre l’enlisement dans des « divergences jurisprudentielles superficielles » au détriment d’un Ijtihad axé sur les finalités.
S’appuyant sur la sentence de l’illustre savant Al-Suyûtî, selon laquelle « l’Ijtihad est une obligation à chaque époque », il a appelé à privilégier la dimension téléologique de la Fatwa pour en faire un outil d’interaction vivante avec le réel.
Proposant une approche profonde de la fonction de la Fatwa, Son Éminence a expliqué que celle-ci n’est pas une simple « notification d’une règle juridique », mais une réponse à des problématiques humaines complexes.
Cela exige aujourd’hui d’écouter les experts dans divers domaines : scientifique, médical et social.
« La complexité des questions contemporaines impose d’élever la Fatwa vers des horizons plus larges, la rendant capable de dialoguer avec la réalité de l’homme moderne, tout en confirmant la capacité de la Loi islamique à communiquer et à se renouveler », a-t-il affirmé.
Un appel au « fiqh » de la miséricorde et de la facilité En conclusion, le Mufti a réaffirmé que l’essence de l’Islam réside dans la tolérance et la tempérance.
Il a rappelé les valeurs instaurées par le Prophète Mohammed : la diffusion de principes nobles, la primauté de la miséricorde et le choix de la voie la plus aisée, loin de tout fanatisme, repli sur soi ou instrumentalisation de la religion dans les conflits.
L’intervention du Cheikh Hichem Ben Mahmoud ouvre de vastes perspectives pour un débat de fond sur le rôle de la Fatwa dans un monde changeant.
Elle place la responsabilité sur les savants et les institutions religieuses pour produire un Ijtihad rationnel, qui concilie authenticité et renouveau, redonnant à la Fatwa son rôle de pont entre la Charia et la réalité humaine.
C’est un appel explicite à une jurisprudence (fiqh) porteuse de sens, et non une jurisprudence de rupture ; un Ijtihad qui accompagne le futur sans jamais perdre ses racines.