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Culture

Compétition officielle JCC — « Gharaq » (Sink) de Zain Duraie : Ode à la mère

  • 18 décembre 19:45
  • 6 min de lecture
Compétition officielle JCC — « Gharaq » (Sink) de Zain Duraie : Ode à la mère

Et c’est là, dans ce recul nécessaire, dans cette distance que l’on ne peut toujours s’accorder, dans cette pudeur que l’on s’impose par respect pour l’autre, que tout se joue, et rien n’est jamais gagné d’avance.

Nadia devient alors le reflet de la mère de la réalisatrice, mais aussi de toutes ces femmes courageuses confrontées aux troubles psychologiques de leurs enfants. 

La Presse — Un film arabe, et c’est un fait rare de nos jours malheureusement, qui n’obéit pas au regard occidental et ne se plie pas aux narratifs attendus par certaines subventions étrangères.

Celles-ci ont d’ailleurs estimé qu’il ne « représentait pas vraiment la Jordanie », du moins pas celle qui correspond à leur imaginaire collectif… Il s’agit du long métrage Gharaq (Sink) de Zain Duraie, une coproduction entre la Jordanie, le Qatar et l’Arabie saoudite, sélectionné en compétition officielle de la 36e édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC).

Scénariste et réalisatrice jordanienne, cette dernière s’est faite connaître avec son court métrage Salam, présenté en première mondiale dans la section Orizzonti–Courts métrages à la Mostra de Venise en 2019.

Le film a remporté plusieurs distinctions, dont le prix du meilleur court métrage arabe au Festival du film d’El Gouna et le Vimeo Staff Pick au Festival international du court métrage de Palm Springs.

En 2024, Zain a été sélectionnée par Berlinale Talents dans le cadre du Festival international du film de Berlin. La même année, le magazine international Screen Daily l’a désignée parmi les étoiles arabes de demain, faisant d’elle la seule réalisatrice arabe figurant sur cette liste.

« Gharaq », qui est le premier long métrage de la réalisatrice, raconte l’histoire de Bassel, un adolescent en dernière année de lycée dont il est exclu après un épisode comportemental inquiétant.

Convaincue qu’il n’a besoin que de repères et de soutien, sa mère Nadia s’obstine à le défendre et à rester à ses côtés. Mais à mesure que l’état psychologique du jeune garçon se détériore, elle s’enfonce dans un déni de plus en plus profond, sans mesurer la gravité de la situation, jusqu’à se retrouver au seuil d’une catastrophe inévitable.

« Je dédie ce film à ma mère présente dans le public », lance la réalisatrice avec beaucoup d’émotion lors de la première projection JCCienne de son opus, le 15 décembre, au Théâtre de l’Opéra à la Cité de la culture Chedi Klibi.

On comprend dès lors qu’il s’agit d’une histoire personnelle…

Et il n’est guère aisé pour une cinéaste d’avoir le recul nécessaire pour aborder des faits intimes et profondément personnels, d’autant plus lorsqu’ils touchent à la sphère familiale.

La difficulté est accrue lorsque le film s’empare de la santé mentale, un thème encore trop rarement traité comme un sujet à part entière dans les cinématographies arabes.

Et c’est là, dans ce recul nécessaire, dans cette distance que l’on ne peut toujours s’accorder, dans cette pudeur que l’on s’impose par respect pour l’autre, que tout se joue, et rien n’est jamais gagné d’avance.

Nadia devient alors le reflet de la mère de la réalisatrice, mais aussi de toutes ces femmes courageuses confrontées aux troubles psychologiques de leurs enfants.

Le film se transforme ainsi en une expérience cathartique, réconciliant non seulement la famille avec elle-même, mais aussi chacun avec cette réalité délicate.

Car oui, il s’agit d’un film sur la santé mentale, sur la différence mais surtout sur l’amour d’une mère qui, jusqu’au bout, tentera de retenir son fils aîné, Bassel, qui, emporté de plus en plus dans les flots de sa maladie, perd de plus en plus de son humanité.

Elle essayera de le retenir jusqu’au bout hors de l’eau, faire en sorte qu’il ne se noie pas dans cette maladie qu’elle a depuis trop longtemps niée, au risque de se noyer elle-même.

Prise en étau entre son rôle de mère (elle a deux autres enfants) et d’épouse, la vie de Nadia va lentement basculer en se rapprochant chaque jour davantage de ce fils dont elle nie la maladie mentale depuis trop longtemps.

Cinq années ont été nécessaires pour préparer ce film profondément intime, qui la touche au plus haut point, comme le confie Zain Duraie.

Il s’agissait pour elle surtout de dompter la peur liée à ce thème, à ce personnage complexe qu’est Bassel.

L’image, en plus de la direction d’acteurs, dans ce genre d’exercice est décisive : elle est ce personnage discret qui accompagne tous les autres : Nadia campée par Clara Khoury (La Voix de Hind Rajab), Bassel joué par Mohammad Nizar.

Le casting comprend également Wissam Tbeileh (le père), connu pour ses rôles comiques, qui fait avec ce film sa première incursion dans le registre dramatique au cinéma.

Un pari plutôt réussi pour le directeur de la photographie tunisien Farouk El Arayadh, reconnu notamment pour son travail sur Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania, qui parvient, grâce à un jeu de contrastes appuyés et à des tonalités bleutées, à traduire l’atmosphère tendue du film.

On aurait néanmoins souhaité davantage de plans serrés, voire très serrés, capables de rendre palpables les tensions qui traversent les personnages.

Pari tout aussi réussi pour Clara Khoury, dont le jeu naturel et tout en finesse restitue avec justesse la complexité des émotions de la mère, et pour Mohammad Nizar, remarquable dans son premier rôle principal.

L’acteur parvient à incarner le combat intérieur d’un adolescent tiraillé entre sa part lucide et profondément humaine et une dérive plus sombre, presque animale, capable de basculer dans une violence extrême.

Mais comme on l’a souligné plus haut, l’autofiction demeure un exercice délicat. Cela se ressent dans le film qui, par moments, peine à nous emporter, retenu par un certain blocage émotionnel.

Quelques longueurs finissent également par nous en détacher, nous empêchant d’accompagner pleinement les personnages jusqu’au bout de leur trajectoire.

Zain Duraie livre ici une histoire familiale sincère et s’attaque avec courage à un sujet complexe, celui de la maladie mentale.

Porté par une photographie suggestive, un casting brillant et de beaux moments d’échange (on pense notamment à la scène des masques), le film peine toutefois, malheureusement, à aller pleinement au bout des émotions. 

Auteur

Meysem MARROUKI