JCC – Exposition « Printing Memory » au MACAM : Le cinéma arménien, fragments d’une identité
On y découvre une riche collection de photographies documentaires et d’affiches de films arméniens, couvrant une période allant des années 1930 à nos jours.
En grande partie restaurées, ces affiches sont accompagnées d’une projection vidéo consacrée à l’un des cinéastes arméniens les plus emblématiques : Sergueï Paradjanov.
La Presse — Le Musée national d’art moderne et contemporain (Macam), à la Cité de la culture Chedly Klibi, accueille, dans le cadre de la 36e édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), une exposition consacrée au cinéma arménien intitulée « Printing Memory » (Mémoire imprimée).
Imaginée par l’artiste visuel et créateur pluridisciplinaire Amen Okja, l’exposition a été inaugurée en présence de Mohamed Tarek Ben Chaabane, directeur de la 36e édition des JCC et président du comité d’organisation, de la cinéaste arménienne Inna Mkhitaryan, ainsi que de plusieurs invités du festival.
Le cinéma fait son apparition en Arménie en 1923, sous l’impulsion du pouvoir soviétique, avec la création des premiers studios de la République socialiste soviétique d’Arménie à Erevan.
La production demeure alors limitée à quelques films par an et répond essentiellement à des objectifs de propagande communiste.
Cette période a néanmoins laissé des documentaires d’un grand intérêt historique, dont un film consacré à la collectivisation chez les Yézidis, tourné en 1932.
Daniel Dzuni et Amo Bek-Nazarov participent alors à l’émergence de films innovants, explorant des genres variés, encore populaires aujourd’hui.
Une figure majeure se détache dans les années 1920 et 1930 : Hamo Bek-Nazarian (1891-1965). En pleine période de combat idéologique, le cinéma arménien bénéficie paradoxalement d’une certaine liberté formelle.
Bek-Nazarian puise dans la veine satirique stambouliote des dramaturges Baronian et Odian. Par ses choix d’acteurs expressionnistes, il développe une œuvre comique puissante, prenant pour cibles privilégiées les patrons et les militants nationalistes.
Il adapte à l’écran les textes d’auteurs dits « progressistes » tels que Toumanian ou Spandarian, et suscite même, dit-on, l’intérêt de Staline avec « Pepo », satire mordante de la bourgeoisie de Tbilissi.
Dans le même esprit, « Les Diplomates mexicains » de Levon Kalantar atteint en 1931 un sommet de satire politique, mettant en scène un duo d’escrocs abusant d’un peuple en quête de reconnaissance internationale.
C’est avec le dégel des années 1960 que le cinéma arménien retrouve de véritables ambitions artistiques, porté par des cinéastes aux sensibilités diverses et aux rapports contrastés avec le pouvoir.
Mais l’effondrement de l’Union soviétique entraîne un brutal tarissement de la production cinématographique : pendant plus d’une décennie, aucun film n’est réalisé. I
l faut attendre le milieu des années 2000 pour voir émerger une nouvelle vague de films indépendants.
L’exposition « Printing Memory » propose une riche collection de photographies documentaires et d’affiches de films arméniens, couvrant une période allant des années 1930 à nos jours.
En grande partie restaurées, ces affiches sont accompagnées d’une projection vidéo consacrée à l’un des cinéastes arméniens les plus emblématiques : Sergueï Paradjanov.
Le public peut notamment y découvrir des images de son chef-d’œuvre médiéval « Sayat Nova » (1969), également connu sous le titre « La Couleur de la grenade », qui invente une topologie visuelle singulière faite d’images statiques et symboliques, rompant radicalement avec le réalisme socialiste au profit d’une poésie pure.
Né en 1924 à Tbilissi de parents arméniens, formé au VGIK, la prestigieuse école de cinéma russe, et longtemps employé au studio Dovjenko de Kiev, Sergueï Paradjanov demeure le grand cinéaste surréaliste de l’Union soviétique.
Artiste total, il a exploré l’écriture, la mise en scène, la chorégraphie, le dessin, et, lorsqu’il lui était impossible de filmer, il s’est tourné vers des collages et assemblages dadaïstes, à la manière de Joseph Cornell.
Mais c’est surtout son cinéma-poésie, fait de tableaux animés minutieusement composés et d’une narration fragmentée, presque « staccato », qui a marqué durablement l’histoire du cinéma.
À travers l’ensemble des affiches exposées, le Macam offre un panorama à la fois dense et accessible de l’évolution du cinéma arménien.
De Amo Bek-Nazarov, considéré comme le père du cinéma arménien (auteur du premier film de fiction « Namous » (1925) et du premier film parlant « Pepo » (1935)) aux figures majeures de l’âge d’or poétique des années 1960 à 1990), l’exposition met en lumière une cinématographie oscillant entre satire sociale, lutte contre le patriarcat et affirmation de l’identité soviétique arménienne.
Artavazd Pelechian, maître du « montage à distance », a profondément renouvelé le cinéma documentaire par une approche symphonique du réel, influençant de nombreux cinéastes contemporains.
Plus largement, l’histoire du cinéma arménien demeure indissociable de celle du pays, marquée par le génocide de 1915 et l’expérience de l’exil.
Ces thématiques traversent l’œuvre de réalisateurs tels qu’Atom Egoyan, installé au Canada, qui interroge l’identité arménienne à travers la perte et le déracinement.
Aujourd’hui, le cinéma arménien tente de se réinventer face aux défis économiques et à l’émergence de nouveaux formats, privilégiant des récits à la fois intimes et universels, abordant les droits humains, la résilience et les enjeux géopolitiques contemporains.
Le Festival international Golden Apricot, à Erevan, demeure le principal carrefour des cinéastes de la région et de la diaspora, tandis que le National Cinema Center of Armenia joue un rôle central dans la restauration du patrimoine et le soutien aux nouvelles productions.
Le Focus Arménie proposé par cette édition des JCC, à travers une sélection de films arméniens, a également été ponctué par une master class animée, le 17 décembre, par la réalisatrice Tamara Stepanyan, consacrée au cinéma arménien et aux questions d’identité.
« On nous a dit que le cinéma n’était pas pour les femmes. Pourtant, non sans difficulté mais avec fierté, nous, collectif de femmes, avons brisé les tabous et les portes de fer pour passer à la réalisation de films », note-t-elle, offrant au public un véritable voyage cinématographique à la découverte de l’identité d’un pays riche d’une histoire et d’un patrimoine à transmettre, où le cinéma arménien soviétique dialogue avec celui né après l’indépendance.
