Alors que la transition énergétique s’accélère à l’échelle mondiale, la Tunisie doit agir de manière décisive pour protéger sa prospérité économique et faire un pas de géant vers un avenir plus durable en lançant une stratégie bas carbone ambitieuse, avec pour objectif ultime atteindre la neutralité carbone d’ici 2030.
Agir maintenant est essentiel en transformant les intentions en actions concrètes.
La Presse — La réduction de l’empreinte carbone devient un impératif pour l’industrie en Tunisie.
Optimiser l’efficacité énergétique et intégrer les énergies renouvelables permet non seulement de réduire les coûts d’exploitation, mais aussi de renforcer l’attractivité grâce aux labels durables.
Pourquoi agir maintenant ?
Le paysage réglementaire et commercial se durcit.
A l’export, l’Union européenne généralise le Cbam (Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières). Après une phase de reporting (2023–2025), les obligations financières commenceront en janvier 2026 pour les secteurs intensifs comme l’acier, le ciment, l’aluminium, les engrais, l’électricité et l’hydrogène.
Tout exportateur concerné devra déclarer les émissions contenues dans ses produits et acheter les certificats carbone correspondants, générant un coût direct si la chaîne de valeur n’est pas décarbonée.
La décarbonation engage donc une transformation systémique, à la fois technique, économique et culturelle.
Elle n’implique pas seulement des substitutions technologiques, mais aussi des changements de comportement, de gouvernance et de modèle de développement.
Elle suppose alors de repenser l’aménagement du territoire, les infrastructures publiques, les systèmes de financement et les filières industrielles.
Décarboner, c’est aussi optimiser. Améliorer son efficacité énergétique, limiter les déchets, rationaliser les flux logistiques ou réduire les coûts de production : autant de gains de performance et de résilience économique.
Dans un contexte où les prix de l’énergie ne peuvent rester stables, la décarbonation renforce aussi l’indépendance énergétique des entreprises et des territoires.
Une stratégie de décarbonation permet ainsi de concilier durabilité environnementale et rentabilité économique, en alignant les objectifs climatiques avec les intérêts économiques de long terme.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, chaque dollar investi dans l’efficacité énergétique peut générer jusqu’à deux dollars d’économies cumulées à long terme.
Plan ambitieux pour la Tunisie
La Tunisie s’est engagée à réduire l’intensité carbone de son économie de 45 % d’ici 2030 par rapport à 2010. Ce plan ambitieux inclut des initiatives pour renforcer la résilience aux changements climatiques et adopter un modèle de développement durable et inclusif.
La mise en œuvre de ce plan nécessitera une mobilisation de ressources financières importantes, évaluées à environ 19,4 milliards USD entre 2021 et 2030.
L’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie (Anme) a développé une plateforme digitale « DecarboAct », pour faciliter l’accès à l’information et l’adhésion des entreprises à la transition énergétique.
Dans ce contexte, les entreprises tunisiennes sont amenées à fournir un effort supplémentaire compte tenu du facteur d’émission carbone du secteur électrique (97% à partir du gaz naturel) et du faible recours de la chaîne d’approvisionnement aux énergies propres (transport, utilités thermiques, etc.).
La Tunisie affiche ainsi une volonté claire et un engagement politique matérialisé par un cadre institutionnel approprié, un cadre légal cohérent et des mécanismes de financement adossés au FTE (Fonds de transition énergétique), garantissant la pérennité de l’action et de la programmation.
En même temps, la Tunisie a développé un cadre légal et incitatif favorable à la promotion de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables ainsi qu’une offre étendue de services, d’équipements et de financements permettant de mener une transition bas-carbone plus rentable.
La Tunisie s’est engagée, aussi, à appuyer les exportateurs tunisiens à répondre aux exigences internationales, notamment en ce qui concerne le respect des exigences de transparence à travers la comptabilité carbone.
Les programmes de décarbonation notamment sectoriels peuvent bénéficier des appuis internationaux et nationaux à travers le financement climatique.
Celui-ci est crucial dans la lutte contre le changement climatique, en raison de l’échelle des investissements qui sont nécessaires pour passer à une économie à faibles émissions de carbone et aider les entreprises à renforcer leur résilience et à s’adapter aux impacts du changement climatique.
Les sources de ces financements peuvent être publiques ou privées, nationales ou internationales, bilatérales ou multilatérales, avec différents instruments utilisés : subventions et dons, obligations vertes, participations au capital, échanges de dette, garanties, prêts concessionnels, entre autres.
Tous ces moyens financiers peuvent appuyer différentes activités, notamment celles visant l’atténuation, l’adaptation et le renforcement de la résilience.
Investissements matériels et immatériels
Parmi les fonds multilatéraux auxquels les pays en développement peuvent accéder : le Fonds vert pour le climat (FVC), le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et le Fonds pour l’adaptation (FA).
Ces fonds ont été établis au fil des ans pour servir d’instruments financiers de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc) et offrir des ressources aux pays en développement.
Rappelons que pour la stratégie énergétique à l’horizon 2035, les besoins en investissement sur la période 2022-2035 ont été évalués à 83 milliards de DT dont environ 55 milliards de DT des investissements additionnels par rapport au scénario BaU.
L’Anme avec le FTE soutient le processus de décarbonation à travers les investissements matériels et immatériels.
Leurs interventions comprennent l’octroi de subventions pour la réalisation d’audits énergétiques et la mise en œuvre de projets d’efficacité énergétique et d’énergie renouvelable, la facilitation d’accès aux prêts à taux réduit pour financer l’achat d’équipements énergétiquement efficaces, et la mise en place d’incitations fiscales visant la réduction d’impôts et d’autres avantages fiscaux pour les entreprises qui investissent dans des technologies propres et des projets de maîtrise de l’énergie.
En intégrant ces éléments, les entreprises peuvent non seulement réduire leurs coûts énergétiques mais aussi améliorer leur compétitivité et leur conformité aux normes environnementales.
Maintenir la compétitivité sur des marchés exigeants
D’après Mohamed Aymen Kaldi, spécialiste de projet énergie et climat au Pnud Tunisie, « l’engagement fort de la Tunisie dans une transition vers une économie bas-carbone témoigne d’une volonté claire de faire de la lutte contre le changement climatique un axe central de la politique nationale, en misant sur le développement des énergies renouvelables, le renforcement de l’efficacité énergétique et la valorisation des déchets dans une logique d’économie circulaire.
La Tunisie reconnaît ainsi que la décarbonation du secteur énergétique constitue l’un des leviers les plus puissants pour concilier sécurité énergétique, compétitivité économique et durabilité environnementale ».
Et d’ajouter : « Cette transition ne peut réussir sans la participation active du secteur privé, moteur essentiel de l’économie nationale.
Les entreprises tunisiennes se trouvent aujourd’hui face à un défi majeur : comment réduire leur consommation d’énergie et leurs émissions de gaz à effet de serre tout en maintenant leur compétitivité sur des marchés de plus en plus exigeants en matière de durabilité.
Le coût de l’énergie, qu’il s’agisse de l’électricité, du gaz ou des carburants, représente une part importante de leurs charges et pèse sur leurs marges de production ».
Parallèlement, les marchés internationaux exigent désormais des engagements environnementaux concrets de la part des entreprises, tels que des bilans carbones ou des stratégies d’efficacité énergétique.
Les entreprises tunisiennes doivent ainsi anticiper les nouvelles exigences internationales pour préserver leur accès aux marchés extérieurs et renforcer leur attractivité auprès des investisseurs.
Dans ce contexte, « la décarbonation devient non seulement une responsabilité environnementale, mais aussi un impératif économique ».