Transition énergétique : La Tunisie face au défi du hub méditerranéen
Dans un contexte de fortes tensions énergétiques mondiales et régionales, la Tunisie dispose d’atouts géographiques et stratégiques susceptibles de la repositionner comme hub énergétique en Méditerranée.
Encore faut-il transformer ce potentiel en vision structurée et en projets concrets.
La Presse — Défis énergétiques à l’échelle mondiale et régionale, atouts de la Tunisie pour devenir un hub énergétique dans la région Méditerranée, c’est autour de ces axes et bien d’autres que s’est articulée l’intervention par Nidhal Ouerfelli, ancien ministre, expert international en transition énergétique et directeur des partenariats stratégiques au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, en marge de la 39e édition des journées de l’Entreprise, tenue du 11 au 13 décembre à Sousse.
Une inégalité palpable et à plusieurs niveaux
Revenant sur le paysage énergétique en Tunisie, l’expert a fait état d’une indépendance énergétique dégradée et d’un taux de couverture inquiétant soulignant que le rapport entre la production nationale incluant toutes les sources d’énergie et la consommation d’énergie primaire s’est considérablement dégradé passant de 124 % en 1990, à 56 % en 2015 et à 42 % en 2024 (33 % sans la redevance du gaz algérien) engendrant aussi un déficit commercial énergétique record, s’élevant à près de 9 milliards de dinars à fin octobre 2024.
S’agissant du paysage énergétique en Méditerranée, Ouerfelli évoque une inégalité palpable à plusieurs niveaux notamment entre les pays du nord, plus riches et fortement énergétisés et ceux du sud ; une inégalité dans la dotation en ressources énergétiques très fortement concentrée sur trois pays du sud qui sont l’Algérie, la Libye et l’Egypte et une inégalité d’accès à l’énergie.
L’expert fait, en outre, état de fortes disparités entre le Nord où la demande d’énergie a diminué de 4 % depuis 2010 avec une politique volontariste de maîtrise de l’énergie appuyée par une faible croissance démographique (+0,5 %) et un ralentissement de la croissance économique dans ces pays (réduction du PIB de -2 %) et le Sud caractérisé par une croissance démographique importante (doublée) couplée à des phénomènes d’urbanisation intense dans certaines régions et à la généralisation de l’accès à l’énergie qui se traduit par une augmentation de la demande d’énergie de plus de 6 % depuis 2010.
La région Méditerranée se caractérise, par ailleurs, par une insécurité en approvisionnement énergétique provoquée par une augmentation de la demande d’énergie et une croissance spectaculaire de la demande d’électricité fondées principalement sur les ressources fossiles (80 %), instabilité et volatilité des prix, inquiétudes géopolitiques.
Ce n’est plus un choix !
Se penchant sur la question de transition et de souveraineté énergétique en Tunisie, l’expert affirme de prime abord que la transition énergétique n’est plus un choix parmi d’autres mais « un impératif stratégique, au croisement de trois enjeux majeurs à savoir la sécurité énergétique, la compétitivité économique et la souveraineté nationale », a-t-il précisé. « Pour la Tunisie, cette transition représente à la fois un défi et une opportunité historique. Une opportunité de repositionnement économique, industriel et géopolitique », a-t-il ajouté.
Relevant que « le monde énergétique a profondément basculé. Le modèle historique fondé sur l’axe Est-Ouest, reposant sur l’interdépendance énergétique entre l’Europe et la Russie, s’est désintégré ». Ouerfelli souligne « que ce bouleversement a ouvert un espace stratégique inédit pour l’émergence d’un nouvel axe vertical Sud–Nord, reliant l’Afrique, riche en ressources énergétiques, à l’Europe, fortement consommatrice et engagée dans la transition bas carbone ».
« Dans ce nouveau paysage, la question n’est plus de savoir si la Tunisie peut jouer un rôle, mais quel rôle elle choisit de jouer ? », estime encore l’ancien ministre soulignant que la Tunisie bénéficie d’un « atout fondamental : sa position géographique au cœur de la Méditerranée. A moins de 140 kilomètres des côtes européennes, et en lien naturel avec l’Afrique, elle est idéalement placée pour devenir une plateforme énergétique, industrielle et logistique euro-méditerranéenne ».
« Cette position permet à la Tunisie de rapprocher production et consommation, de sécuriser les corridors énergétiques, et de réduire les risques géopolitiques pour ses partenaires. Dans un monde en quête de stabilité et de fiabilité, la géographie devient un facteur de compétitivité. Mais la géographie, à elle seule, ne suffit pas.
Elle doit être portée par une vision stratégique claire : La Tunisie ne doit pas être un pays de transit mais un Hub énergétique », affirme le spécialiste.
Se référant à une récente étude, Ouerfelli rapporte qu’un Hub énergétique est un pays qui exporte de l’énergie vers d’autres pays, investit dans de grands projets d’infrastructures, signe des accords énergétiques de long terme, maintient un contrôle politique et économique sur les flux d’énergie, et tire des bénéfices économiques et géopolitiques durables avant de conclure que la Tunisie « possède les leviers pour répondre à cette définition : un potentiel en énergies renouvelables, interconnexions électriques et gazières avec l’Europe, infrastructures portuaires et logistiques , bref devenir un acteur clé de la sécurité énergétique régionale ».