Nous connaissons tous l’image des syllogomanes (ou syndrome de Diogène): ces personnes qui entassent des montagnes de vieux journaux et d’objets inutiles chez elles jusqu’à ne plus pouvoir circuler. C’est une pathologie visible, encombrante et odorante.
Mais il existe aujourd’hui une version silencieuse, invisible et beaucoup plus répandue de ce trouble : le Diogène Numérique (Digital Hoarding).
Regardez votre téléphone. Avez-vous 15.000 photos dont 50 floues? Des centaines d’emails non lus datant de 2018? Des dizaines d’onglets ouverts «à lire plus tard» depuis six mois ? Des fichiers PDF «au cas où»?
Si oui, bienvenue au club. Nous sommes devenus des accumulateurs compulsifs de données. Mais pourquoi cette peur panique de la touche «Supprimer» ? Et quel est le coût réel de ce désordre virtuel ?
L’illusion de l’espace infini
La grande différence entre entasser de vieux magazines dans son salon et entasser des emails, c’est la contrainte physique. Dans le monde réel, quand le placard est plein, on doit jeter. Le désordre nous agresse visuellement. Dans le monde numérique, cette limite a disparu.
Le «Cloud» nous promet un stockage quasi-infini. Les disques durs font des Téraoctets. Comme la place ne manque jamais vraiment, nous repoussons indéfiniment le moment du tri. C’est le piège de la dématérialisation: parce que cela ne pèse rien et ne prend pas de place visible, nous pensons que cela n’existe pas.
Pourtant, ce désordre existe. Et il pèse lourd sur notre charge mentale.
Psychologie du «Au cas où»: L’anxiété derrière le stockage
Selon les psychologues spécialisés dans les comportements numériques, cette accumulation n’est pas de la paresse, c’est de l’anxiété.
Garder des milliers de fichiers répond à plusieurs peurs fondamentales :
La peur de l’oubli : Nous externalisons notre mémoire. «Si je supprime cette photo de mon déjeuner de 2019, est-ce que ce souvenir disparaît ?». Nous confondons la donnée et le souvenir.
L’anxiété de l’avenir (le «Au cas où») : «Je garde ce vieux document administratif ou ce manuel d’utilisation d’un appareil que je n’ai plus… on ne sait jamais». C’est un besoin de contrôle et de sécurité face à l’incertitude.
L’attachement émotionnel : Garder les conversations WhatsApp d’une relation terminée ou d’un ami perdu de vue. Supprimer les données, c’est faire le deuil, et c’est douloureux.
Le paradoxe, c’est que cette accumulation censée nous rassurer finit par créer du stress. Naviguer dans un bureau d’ordinateur rempli d’icônes ou une boîte mail saturée (le fameux «Inbox Zero» inatteignable) augmente le cortisol, l’hormone du stress. On se sent dépassé par sa propre vie numérique.
Le coût caché: Votre Cloud pollue plus que votre voiture ?
Si l’aspect psychologique ne suffit pas à vous convaincre de faire le ménage, l’argument écologique le fera peut-être. Car le «Nuage» n’a rien de vaporeux. C’est du béton, du métal et de l’électricité.
Toutes ces photos en double, ces vidéos 4K que vous ne regarderez plus jamais et ces newsletters non lues sont stockées dans des Data Centers (Centres de données).
Ces hangars géants, remplis de serveurs, tournent 24h/24. Il faut les alimenter en électricité et, surtout, les refroidir avec des millions de litres d’eau. Garder des données inutiles, c’est faire tourner des usines à vide. Selon certaines études (notamment du Shift Project), la pollution numérique (dont le stockage) représente environ 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit plus que l’aviation civile. Supprimer 50 emails, c’est éteindre une ampoule pour la journée. Votre ménage de printemps numérique est donc un geste écologique direct.
Comment se soigner ?
L’art du minimalisme digital
Guérir du Diogène Numérique demande un changement d’état d’esprit. Il faut passer de la logique de «Stockage» (garder tout) à la logique de «Curation» (garder le meilleur).
Voici trois étapes pour commencer :
La règle des doublons : Commencez par le facile. Les captures d’écran, les photos floues, les images reçues sur WhatsApp («Bonne fête», «Bonjour»). Supprimez sans pitié. Le désabonnement massif : Utilisez des outils pour vous désinscrire des newsletters que vous n’ouvrez jamais. Elles polluent votre esprit et la planète.
La méthode «Marie Kondo» numérique : Pour les fichiers sentimentaux, posez-vous la question : «Est-ce que ce fichier me sert ou me rend heureux ?». Si vous n’avez pas ouvert ce PDF depuis 3 ans, vous n’en aurez probablement jamais besoin.
Le stockage illimité était une promesse de liberté, c’est devenu une chaîne. Nous traînons notre passé numérique comme un boulet invisible.
Apprendre à supprimer, c’est apprendre à lâcher prise. C’est accepter que l’on ne peut pas tout garder, tout contrôler, tout retenir. Faire le vide dans son téléphone, c’est souvent, par extension, faire un peu de place dans sa tête.
Alors, prêt à vider la corbeille ?