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Sécurité routière : Les routes tunisiennes, miroir d’un civisme en crise

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  • 24 décembre 17:15
  • 7 min de lecture
Sécurité routière : Les routes tunisiennes, miroir d’un civisme en crise

Chaque recul du nombre d’accidents devrait être une bonne nouvelle. Pourtant, cette amélioration apparente masque une réalité plus profonde, les comportements routiers traduisent un déficit de civisme et de respect des règles collectives.

Au-delà des statistiques, c’est notre rapport à la loi, à l’autre et à la sécurité qui est en jeu, révélant une société où la transgression de la loi se normalise et met des vies en danger.

La Presse — Malgré une diminution notable du nombre d’accidents de la circulation, la Tunisie continue d’enregistrer une hausse inquiétante du nombre de décès sur les routes.

Selon les données publiées par l’Observatoire national de la sécurité routière (Onsr), une augmentation de 6,27 % des morts a été enregistrée depuis le début de l’année jusqu’au 18 décembre, comparativement à la même période de l’année précédente.

Au total, 1.186 personnes ont perdu la vie dans des accidents de la route en 2025, contre 1.116 en 2024, alors même que le nombre d’accidents a reculé de 9,37 %, passant de 5.601 à 5 076.

Le dernier bilan hebdomadaire, arrêté au jeudi 18 décembre, fait état de 11 accidents, ayant causé 3 morts et 12 blessés, illustrant la persistance d’une violence routière disproportionnée au regard du nombre d’incidents.

Les causes persistantes de l’insécurité routière

Les chiffres de l’Onsr révèlent que les motocyclistes constituent la catégorie la plus touchée, suivis des piétons, puis des usagers de véhicules légers.

Ces profils traduisent une vulnérabilité accrue des usagers les moins protégés, souvent exposés à des comportements dangereux et à des infrastructures inadaptées.

L’analyse des causes confirme des tendances connues mais toujours meurtrières. L’inattention et le manque de vigilance ont provoqué 2 078 accidents, entraînant 367 décès et 2.374 blessés.

L’excès de vitesse a été à l’origine de 786 accidents, causant 311 morts et 1.177 blessés. Le non-respect de la priorité a provoqué 431 accidents, faisant 37 morts et 592 blessés. Ces chiffres traduisent moins une fatalité qu’un déficit persistant de comportements responsables sur la route.

Vers un durcissement du Code de la route

Face à cette situation, les autorités annoncent un renforcement du cadre répressif. Le directeur de la Police de la circulation, Sami Rachikou, a indiqué que des amendements au Code de la route, élaborés avec le ministère des Transports, ont été approuvés par le Conseil des ministres et seront prochainement soumis à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Parmi les mesures envisagées figurent l’élargissement du retrait du permis de conduire pour les infractions graves telles que l’excès de vitesse, le non-respect des feux de signalisation ou panneaux d’arrêt, ou encore la conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants.

Le projet prévoit également l’activation du système de retrait de points, ainsi que le constat automatique des infractions grâce à des radars et autres technologies.

Le ministère de l’Intérieur a par ailleurs annoncé l’utilisation de dispositifs intelligents de dépistage de l’alcool et le lancement d’un projet d’acquisition d’appareils de détection de drogues, avec des sanctions immédiates en cas d’infraction.

Au-delà des lois, un problème culturel

Pour autant, les chiffres et les sanctions ne suffiront pas à sortir le pays de son triste palmarès international. Certes, les causes structurelles sont nombreuses : routes en mauvais état, éclairage insuffisant, parc automobile vieillissant et mal entretenu. 

Mais une dimension plus profonde, souvent passée sous silence, explique en grande partie la persistance du problème et qui n’est autre que le rapport culturel à la loi et à l’espace public.

Le non-respect du Code de la route est encore trop souvent perçu comme une forme d’habileté sociale ou d’intelligence pratique.

Braver le feu rouge, doubler par la droite, forcer le passage ou refuser d’accorder la priorité suscite parfois une reconnaissance tacite.

Dans l’imaginaire collectif, celui qui passe avant les autres n’est pas fautif, il est habile. Cette impatience chronique, caractéristique, notamment, des sociétés en développement, se traduit par une incapacité à attendre son tour, à respecter la file ou à accepter la contrainte du temps.

La route devient alors un espace de compétition, plutôt qu’un lieu de coexistence.

Quand l’exemple international inspire

L’expérience de plusieurs pays montre pourtant que l’insécurité routière n’est ni une fatalité ni une simple question de moyens financiers.

Des États aux profils économiques et culturels variés ont réussi à réduire le nombre de morts grâce à des stratégies globales et cohérentes, combinant sanctions efficaces, sensibilisation itérative et infrastructures sécurisées.

Ces stratégies reposent sur quelques principes universels comme anticiper l’erreur humaine, sécuriser les infrastructures, appliquer rigoureusement la loi et responsabiliser tous les usagers.

Dans des pays comme l’Espagne ou le Portugal, le durcissement des amendes, le retrait effectif du permis et l’usagemassif des radars automatiques, accompagnés de campagnes de prévention ciblant les jeunes conducteurs et les usagers vulnérables, ont mené à des résultats tangibles. 

Plus près de la Tunisie, certains pays émergents ont misé sur la certitude de la sanction plutôt que sur sa sévérité.

Là où la règle est systématiquement appliquée, la transgression cesse progressivement d’être perçue comme un acte malin pour devenir un risque inutile.

Ces expériences convergent vers un constat : la sécurité routière est un projet de société, qui exige constance, crédibilité institutionnelle et temps.

Les lois seules ne changent pas les comportements, mais lorsqu’elles sont justes, appliquées sans exception et accompagnées d’un discours public cohérent, elles finissent par transformer durablement les pratiques et les mentalités.

Changer les mentalités, un défi de long terme

Au bout du compte, la sécurité routière ne se joue pas uniquement dans les textes de loi ou les radars.

Elle se joue dans des gestes quotidiens, souvent banals, répétés des milliers de fois, comme céder le passage, ralentir, attendre son tour ou renoncer à quelques secondes de gain de temps. Changer la donne suppose bien plus qu’un arsenal répressif.

Cela implique de réhabiliter le civisme comme valeur centrale, de remettre en question ce qui est socialement applaudi ou toléré, et de considérer que le respect de la règle n’est pas un signe de faiblesse, mais de maturité collective.

Une route sécurisée et apaisée n’est pas une route où l’on obéit par peur de la sanction, mais une route où chacun reconnaît l’existence de l’autre et se force à le respecter, car ce respect mutuel empêche que chaque infraction, même banalisée, ne se transforme en drame.

Les chiffres l’attestent : derrière chaque geste imprudent, voire arrogant envers un autre usager, se cache une trajectoire brisée et une famille endeuillée.

Et tant que la transgression est vue comme un acte d’habileté, la violence routière persistera.

La question n’est donc pas seulement de savoir combien d’accidents nous enregistrons, mais quel type de société nous voulons construire une société pressée, où l’on gagne du temps au détriment des vies, ou une société qui choisit, lucide, responsable et exigeante, de ralentir et de reconstruire pour mieux se préserver et préserver l’essentiel.

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Auteur

Hella Lahbib