« Lâchez tout. Lâchez Dada. Lâchez votre femme, lâchez vos espérances et vos craintes. Semez vos enfants au coin d’un bois. Lâchez la proie pour l’ombre. Lâchez au besoin une vie aisée, ce qu’on vous donne pour une situation d’avenir.
Partez sur les routes ! », cette maxime d’André Breton était le leitmotiv d’un voyage au cœur des montagnes kairouaniases, à Oueslatia, là où l’avenir prend le temps de pousser.
La Presse — Quitter les routes sûres pour atteindre ces montagnes où la terre ne se livre qu’aux obstinés, c’est accepter la poussière et le silence. À mesure que l’on s’éloigne de Kairouan, la Tunisie change de rythme. Le plat cède à la pente, le bruit à l’espace. Sous un ciel vaste, apparaît Oueslatia : une terre que l’on ne traverse pas par hasard, mais que l’on rejoint comme on honore un rendez-vous ancien. Ici, la montagne impose sa loi.
Elle ne se donne pas, elle se mérite. Après une heure de route en partance de Kairouan, on arrive à Oueslatia comme on entre dans un royaume enseveli dans l’oubli. Les routes se resserrent, l’asphalte hésite, puis les oliviers prennent le relais. Noueux, tordus, enracinés jusqu’au cœur de la roche, ils semblent tenir la terre à bout de bras. Rien n’est décoratif. Chaque arbre est une victoire arrachée à la pente, chaque muret de pierre sèche un pacte ancien entre l’homme et le relief.
Le vent descend des crêtes avec une âpreté sèche. Il charrie l’odeur du thym écrasé, de la poussière chaude et de la feuille d’olive froissée. Dans ces montagnes, on n’hérite pas de la terre : on la conquiert à nouveau chaque saison.
Une variété qui raconte la terre et l’histoire
La variété d’oliviers « Oueslati » ne ressemble à aucune autre. Son tronc porte les cicatrices du temps, son fruit concentre la rudesse du climat. L’huile qui en naît est franche, puissante, presque ardente. Elle surprend, parfois déroute, puis s’impose. Elle dit le sol, la sécheresse, l’effort. Elle parle mieux que de longs discours de ce territoire longtemps tenu à l’écart.
Au cœur de cette oliveraie monumentale, Sonia Amira avance sans emphase. Elle connaît chaque parcelle, chaque patience. Pour elle, « l’huile d’olive n’est pas une marchandise : c’est un langage ». « Chaque bouteille est un récit, chaque goutte une invitation à comprendre la montagne. En valorisant l’olive Oueslati, on ne défend bien plus qu’un produit : on réhabilite un territoire », dit-elle, fière de son exploit.
Son projet est simple dans son principe, ambitieux dans sa portée : faire de l’olive la clé d’un tourisme écologique respectueux, à taille humaine. Chez-elle, « le voyageur n’est pas un spectateur. Il devient un hôte temporaire de la terre. Il marche, observe, participe. La récolte devient un rite partagé, le moulin un lieu de transmission, la table un espace de dialogue ».
Des sentiers et des rêveries…
A Oueslatia, on ne visite pas, on chemine. Les sentiers serpentent entre oliveraies suspendues et massifs calcaires. La randonnée devient un acte de lecture. Sous les pas, la terre raconte des siècles d’adaptation. Autour, les parfums de romarin, de thym et d’olive mêlent leurs promesses. La montagne imprime sa mémoire au marcheur avant de le laisser repartir.
Au terme de ces chemins apparaît « Dar Henchir », un gîte rural sans ostentation, fondu dans son environnement. Murs épais, fraîcheur naturelle, sobriété des lieux: ici, rien ne rompt avec le paysage. On s’y arrête pour reprendre souffle, pour écouter, pour partager. Ce gîte dont le propriétaire a enduré d’incessants va et vient avant d’obtenir son autorisation attend encore le feu vert des autorités concernées pour démarrer son activité dans les règles de l’art.
De l’autre côté de la bourgade, sur les hauteurs, les pierres du « Ksar Lemsa » veillent. Cette forteresse byzantine, massive et silencieuse, rappelle que ces montagnes furent autrefois un centre stratégique. Les empires passent, les routes se déplacent, mais la montagne demeure. Et l’olivier avec elle.
Redonner sens au travail de la terre
Longtemps marginalisée, Oueslatia a payé le prix de son relief et de son isolement. L’exode rural y a laissé des traces profondes. Pourtant, c’est dans cette fragilité que s’invente aujourd’hui une alternative. En misant sur un produit du terroir non « standardisable » et sur un écotourisme exigeant, la région esquisse une voie discrète mais solide.
L’huile « Oueslati » devient un levier économique autant qu’un marqueur identitaire. Elle permet de maintenir l’activité agricole, de valoriser la transformation locale et de redonner sens au travail de la terre. Le modèle reste modeste, mais il repose sur une conviction forte : l’avenir ne se construira pas contre la montagne, mais avec elle.
Quand le soleil progresse dans sa chute à « Oueslatia », la montagne ne s’éteint pas, elle se recueille. Les ombres s’allongent entre les oliviers, la pierre restitue lentement la chaleur du jour. Autour d’une table simple, un pain se rompt, une huile brille doucement. Elle a traversé la roche, la sécheresse, les saisons incertaines. Elle porte en elle la montagne tout entière.
Oueslatia ne promet pas l’évasion. Elle propose mieux: l’ancrage. Dans un monde pressé d’oublier d’où il vient, ces oliviers obstinés rappellent une vérité ancienne : rien de durable ne se construit sans racines. Ici, l’olive n’est pas une fin. Elle est un. Ici, l’huile Oueslati circule comme un lien sacré. Elle lie les plats, relie les convives, prolonge le paysage jusque dans l’assiette et privilégie le retour à la pureté des origines.