Rétrospective – Bilan fiscal 2025 : Un soutien limité à l’investissement, à la croissance et à la compétitivité
Le bilan fiscal tunisien de l’année 2025 apparaît comme un révélateur des choix stratégiques opérés par l’Etat en matière de gestion des finances publiques.
Pour les experts, dont Anis Ben Saïd, conseiller fiscal agréé, expert judiciaire et enseignant universitaire, cette séquence traduit avant tout une logique de gestion défensive, largement dictée par l’urgence financière.
La Presse — L’évaluation du bilan fiscal de 2025 nécessite d’analyser la trajectoire de réduction du déficit budgétaire dans un environnement marqué par des contraintes financières, des pressions persistantes et un accès limité aux sources de financement.
Selon Anis Ben Saïd, conseiller fiscal agréé, expert judiciaire et enseignant universitaire, cette approche permet de distinguer clairement les avancées conjoncturelles des limites structurelles du système fiscal tunisien.
En 2025, les ressources budgétaires de l’Etat ont enregistré une progression en valeur nominale. Toutefois, cette évolution reste principalement imputable à l’effet de l’inflation et demeure insuffisante pour absorber la hausse des dépenses incompressibles, notamment les salaires, le service de la dette et certaines subventions ciblées.
Ben Saïd souligne que la fiscalité tunisienne reste déséquilibrée, marquée par une dépendance aux impôts indirects tels que la TVA et les droits de consommation tandis que la contribution des impôts directs, notamment l’Irpp et l’IS, demeure relativement limitée. Ainsi, malgré une collecte accrue, le gain en matière de soutenabilité budgétaire reste marginal.
Une gestion défensive imposée
Parallèlement, l’administration fiscale a poursuivi plusieurs axes d’amélioration, notamment le renforcement de la digitalisation à travers la généralisation progressive de la facturation électronique et l’interconnexion des bases de données, l’intensification de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, ainsi qu’une pression accrue sur les secteurs à faible conformité, tels que certaines professions libérales et des segments du commerce informel partiellement structuré.
Cependant, malgré ces efforts, une large part de l’économie informelle demeure en dehors du champ fiscal. Selon Ben Saïd, le déficit budgétaire a connu une réduction modérée, principalement grâce à la compression de certaines dépenses d’investissement, à un ciblage plus strict de certaines subventions et à une mobilisation accrue des ressources à court terme.
Toutefois, cette amélioration reste fragile, reposant sur des mesures ponctuelles, peu soutenables à long terme et fortement exposées aux chocs exogènes, notamment les fluctuations des prix de l’énergie et des taux d’intérêt. En somme, le déficit a été contenu, mais sans être résorbé de manière structurelle.
L’année 2025 s’est ainsi déroulée dans un contexte caractérisé par un accès restreint aux financements extérieurs, un niveau élevé de la dette publique et une pression sociale soutenue. Cette configuration a conduit l’Etat à privilégier des mesures à rendement immédiat, souvent au détriment de réformes structurelles de fond, telles que la refonte du système fiscal, la réforme des entreprises publiques ou l’intégration effective de l’économie informelle.
Dans ces conditions, l’amélioration globale demeure limitée et insuffisante pour renforcer durablement la soutenabilité budgétaire. Le bilan fiscal de 2025 traduit ainsi davantage une gestion défensive imposée par l’urgence financière qu’une réforme fiscale offensive.
Sur le plan de l’équité, les mesures adoptées ont principalement visé l’amélioration du rendement fiscal à court terme, la réduction de certaines niches jugées excessives et le renforcement des mécanismes de contrôle et de traçabilité. Toutefois, elles n’ont pas profondément transformé le système fiscal, et la question de l’équité reste largement inachevée.
Les salariés du secteur formel continuent de supporter l’essentiel de la charge de l’Irpp à travers la retenue à la source. L’absence de révision du barème pour tenir compte de l’inflation a contribué à l’érosion de leur pouvoir d’achat et au renforcement du sentiment d’injustice fiscale, sans pour autant rétablir l’équité horizontale vis-à-vis des autres catégories de contribuables.
Les salariés et le sentiment de « payer pour tous » !
De leur côté, les grandes entreprises structurées ont vu leur contribution augmenter sous l’effet du renforcement des contrôles fiscaux et douaniers. En revanche, les PME et TPE, plus vulnérables face à la complexité du système fiscal, ont bénéficié d’un soutien.
Malgré des initiatives volontaristes et l’introduction d’outils numériques destinés à améliorer la traçabilité, la contribution fiscale de l’économie informelle demeure marginale et la concurrence déloyale persiste, mettant en évidence les limites structurelles des réformes engagées.
Dans ce contexte, les salariés ont le sentiment de «payer pour tous», les entreprises formelles se sentent pénalisées et la confiance envers l’administration fiscale reste fragile. Cette perception négative freine l’adhésion citoyenne à l’impôt, pourtant indispensable à toute réforme fiscale durable.
Sur le volet économique, la politique fiscale tunisienne en 2025 a été guidée avant tout par les impératifs de financement du budget, dans un cadre marqué par des marges budgétaires réduites, une dette publique élevée et un accès limité aux financements extérieurs. Anis Ben Saïd précise que la fiscalité a ainsi privilégié le rendement à court terme, souvent au détriment de la compétitivité et de l’investissement.
La charge fiscale pesant sur les entreprises formelles est restée élevée et peu lisible. La multiplicité des taxes, l’instabilité des règles et l’incertitude fiscale ont freiné les décisions d’investissement, limitant la capacité des PME et des acteurs productifs à se développer. En l’absence d’incitations fiscales ciblées en faveur de l’investissement, de l’innovation ou de l’export, la contribution de la fiscalité à la croissance est demeurée faible et indirecte.
Les PME ont été particulièrement affectées par des coûts de conformité élevés et un accès restreint aux avantages fiscaux, tandis que les secteurs productifs n’ont pas bénéficié d’une fiscalité différenciée ou clairement orientée vers la création de valeur.
En définitive, la fiscalité tunisienne en 2025 a permis de stabiliser les équilibres budgétaires à court terme, mais n’a pas constitué un levier significatif pour l’investissement, la croissance ou la compétitivité. Comme le souligne Ben Saïd, sans relance de la croissance, intégration réelle de l’économie informelle et refonte en profondeur du système fiscal, les améliorations observées resteront temporaires.