Grâce aux mesures prévues par la loi de finances 2025, la Tunisie a enregistré une amélioration de la mobilisation des recettes fiscales.
Toutefois, au-delà des résultats budgétaires, la question de l’équité fiscale demeure posée, notamment face aux déséquilibres entre économie formelle et informelle.
La Presse — Dans le projet de loi de finances 2025, la Tunisie avait prévu une augmentation des ressources fiscales. Cette orientation s’est traduite, dans la pratique, par plusieurs mesures, notamment la hausse du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) et la révision du barème de l’Irpp, comme l’a souligné Hafedh Zribi, expert-comptable et enseignant universitaire.
A ces mesures s’est ajoutée l’amnistie fiscale, qui a également joué un rôle positif dans la mobilisation des ressources budgétaires, tout en rappelant que l’évaluation globale reste partielle à ce stade. En effet, au 31 décembre 2025, il demeure difficile d’établir un bilan fiscal définitif, les chiffres réels de réalisation par rapport aux prévisions budgétaires n’étaient pas encore disponibles, l’année civile n’était pas totalement clôturée et le ministère des Finances n’a pas communiqué de données actualisées.
L’équité et de la justice fiscale demeure centrale
La dernière communication officielle remonte au mois d’août 2025. Elle faisait état d’une légère hausse des ressources fiscales par rapport aux montants budgétisés, laissant entendre qu’à cette date, la trajectoire était globalement conforme aux objectifs fixés, explique l’enseignant universitaire.
Cette évolution était d’ailleurs attendue dans la mesure où, au cours des huit premiers mois de l’année, l’État a encaissé les principales échéances fiscales, notamment celles relatives à l’impôt sur les personnes physiques, ainsi que la première échéance de l’amnistie fiscale, arrivée à terme le 30 juin 2025. Il est donc logique, selon lui, d’avoir observé une progression et un taux de réalisation proche des prévisions.
Sur ce volet, Hafedh Zribi estime que la Tunisie a, dans l’ensemble, atteint son objectif en matière de mobilisation des ressources fiscales, avec l’espoir que cela se traduise, en parallèle, par une meilleure maîtrise du déficit budgétaire. La question de l’équité et de la justice fiscale demeure toutefois centrale.
La Tunisie cherche depuis plusieurs années à instaurer un système plus équitable, mais cet objectif se heurte à des contraintes structurelles majeures, au premier rang desquelles figure la non-maîtrise de l’économie informelle, observe l’expert-comptable. Pour illustrer cette problématique en 2025, il s’appuie sur un indicateur clé : l’évolution de la masse monétaire fiduciaire.
Selon les données communiquées par la Banque centrale de Tunisie en fin d’année, la monnaie fiduciaire en circulation a dépassé les 26,5 milliards de dinars, contre environ 22 milliards de dinars à fin 2024, soit une hausse de plus de 4,5 milliards de dinars en une seule année. Cela représente une croissance proche de 20 %, traduisant un recours accru aux transactions en espèces.
L’Irpp pose problème ?
Hafedh Zribi rappelle que l’augmentation de l’usage du cash est généralement associée à l’expansion de l’économie informelle, laquelle concerne, par définition, des activités échappant en grande partie à l’impôt. Dans ce contexte, il devient difficile de parler d’équité fiscale, puisque les contribuables opérant dans l’économie formelle supportent l’essentiel de la charge fiscale, tandis qu’une part importante des revenus échappe à toute imposition.
Cette situation est d’autant plus problématique que certaines mesures, comme la révision du barème de l’Irpp, sont perçues par une partie de la population comme injustes. Le nouveau barème a notamment pénalisé les contribuables dont le revenu annuel dépasse environ 40.000 dinars. Or, dans le contexte tunisien actuel, un tel niveau de revenu ne correspond pas nécessairement à une situation de richesse élevée, ajoute Zribi.
Il cite l’exemple d’un salarié, comme un banquier, percevant un revenu brut imposable de 40.000 dinars. En tant que salarié, ce dernier est soumis à l’impôt et se retrouve à payer davantage qu’auparavant. À l’inverse, d’autres personnes, opérant dans l’économie informelle et générant parfois des revenus bien supérieurs, échappent largement à l’imposition. Cette situation alimente un sentiment d’injustice fiscale, où les revenus déclarés sont davantage taxés que des revenus parfois plus élevés mais non déclarés.
Dans ces conditions, malgré les efforts engagés, Hafedh Zribi considère que l’objectif d’équité et de justice fiscale ne peut être considéré comme atteint en 2025.
Deux événements marquants !
L’année 2025 a par ailleurs été particulièrement exceptionnelle, marquée par deux événements majeurs ayant pesé sur l’activité économique, souligne l’expert-comptable. Le premier concerne l’adoption de la nouvelle loi sur les chèques. Malgré ses objectifs de moralisation, cette réforme a eu des effets négatifs à court terme sur l’activité de nombreuses entreprises. Le chèque, bien qu’imparfait, constituait auparavant un instrument de sécurité des transactions commerciales.
Avec l’interdiction des chèques antidatés et l’entrée en vigueur du nouveau dispositif à partir de février, de nombreuses entreprises se sont retrouvées contraintes de recourir soit au cash, soit aux virements bancaires, soit aux effets de commerce. Or, la législation encadrant ces derniers n’ayant pas été mise à jour, ils n’offrent pas le même niveau de sécurité juridique que les chèques auparavant.
Cette situation a fortement perturbé les échanges commerciaux et entraîné, pour de nombreuses entreprises, une baisse significative du chiffre d’affaires, les six premiers mois de l’année ayant été particulièrement difficiles pour le tissu productif.
Le second facteur tient à l’alourdissement de la pression fiscale. Celle-ci s’est manifestée à la fois par la hausse de certains taux, notamment l’impôt sur les sociétés, passé de 15 % à 20 %, et par le renforcement des contrôles fiscaux. Ces derniers, devenus plus fréquents et plus intensifs, ont concerné aussi bien les entreprises individuelles que les sociétés, générant des charges supplémentaires et un climat d’incertitude peu favorable à la croissance et à l’investissement, analyse Hafedh Zribi.
L’investissement 2025 pourrait néanmoins enregistrer une hausse du nombre de créations d’entreprises, en raison de l’exonération fiscale accordée aux sociétés créées, qui ne paieront pas d’impôt pendant les quatre premières années. Toutefois, cet avantage, à lui seul, ne suffit pas à rendre le climat d’investissement réellement attractif.
Plusieurs facteurs continuent de freiner l’investissement, au premier rang desquels figure l’instabilité fiscale. Les taux d’imposition sur les sociétés ont changé à plusieurs reprises ces dernières années, rendant difficile toute projection à moyen terme. A titre d’exemple, les bénéfices réalisés en 2024 ont été imposés à 23 %, avec l’annonce d’un retour à 21 % en 2025.
Finalement, le taux de 23 % a été maintenu, pour renforcer le sentiment d’imprévisibilité. A cela s’ajoute la rigidité de la législation du travail, perçue comme contraignante par les entreprises, en particulier dans un contexte où l’investissement direct étranger reste crucial. Ces éléments combinés risquent, selon Zribi, de freiner durablement le rythme de l’investissement en Tunisie, non seulement en 2025, mais également en 2026, en l’absence de réformes structurelles plus profondes.