Programme national des logements sociaux, 13 ans après ! : L’État face à l’exigence de justice et de dignité
Entre droit constitutionnel et impératifs sociaux, la politique nationale du logement social demeure un pilier essentiel de l’action de l’État en faveur des catégories vulnérables.
Si les efforts engagés depuis plus d’une décennie traduisent une volonté affirmée de garantir un habitat décent et de renforcer la justice sociale et territoriale, certains défis liés à la mise en œuvre et au traitement des dossiers continuent de susciter attentes et interrogations, appelant à une accélération des mécanismes d’exécution et de suivi.
La Presse — Depuis 2012, où le vent de la révolution ne cesse de souffler sur toutes les régions, fournir des logements aux plus démunis était perçu comme un droit acquis, voire un attribut de dignité humaine. Ainsi, l’expression d’une telle légitimité collective puisait, alors, dans des états d’âme plutôt impulsifs, suscitant un élan revendicatif, certes compréhensible, mais anarchique.
Encore fragilisé, sous l’emprise des caprices des uns et des autres, l’Etat n’avait d’autre choix que d’agir sur cette situation sociale, afin d’apaiser les tensions et désamorcer la crise de l’habitat. Et voilà qu’un programme de construction de logements sociaux destiné aux catégories à revenu limité a été ainsi lancé, dans l’improvisation et le sensationnel. L’effet émotionnel l’emporta !
5.000 logements prévus en 2026
A l’époque, y mettre son véto n’a pas été aussi facile qu’on le pensait. Car il n’était pas dans l’intérêt général du pays de reléguer au second plan cette demande accrue de logements sociaux. D’autant plus qu’il n’était pas aussi question de s’en passer, sans avoir donné réponse. En effet, tout un chantier avait déjà débuté au cours de ces dix dernières années dans la continuité de la stratégie d’éradication des habitations rudimentaires.
Pas plus tard que le mois écoulé, à l’ARP, la Cheffe du gouvernement a, alors, rappelé la mise à disposition de 13.400 unités de logements sociaux individuels et collectifs, avec un budget global de 1.093, 5 millions de dinars. Il s’agissait, certes, d’un programme «révolutionnaire», lancé en 2012, dont la première phase avait abouti à la réalisation de 8.400 logements et lots sociaux.
«La seconde verra la construction, en 2026, de 5.000 logements sociaux pour un coût de 505,5 millions de dinars», a-t-elle déclaré, devant un parterre de députés. A l’en croire, cela est de nature à marquer un tournant majeur dans la politique nationale de l’habitat à vocation sociale.
La preuve par deux !
Cela dit, tout se fait pour le grand bonheur des familles défavorisées, celles vivant dans la précarité et dont les moyens sont trop limités pour disposer d’un toit. Paradoxalement, les listes des ayants droit au logement n’ont pas été judicieusement établies et encore moins validées.
Leur finalisation a été, pas mal de fois, accusée de retards, bien que des lots de logements soient fin prêts, attendant la remise des clés. Longtemps voués à l’abandon, autant de biens immobiliers ont vu leur état quasiment dégradé.
D’autres ont été brutalement squattés, selon des sources autorisées. «J’ai dûment déposé une demande de logement, il y a une dizaine d’années, auprès de la délégation de Bab Bhar, gouvernorat de Tunis, sans voir, jusqu’ici, rien venir.
Aucune réponse favorable ! C’est que mon nom n’a pas été affiché sur la liste des bénéficiaires, alors qu’il figure, quand même, sur la fiche d’inscription des candidats éligibles», s’étonne Hichem Saidani, résident locataire à Lafayette depuis 25 ans. «Mon nom a été, tout bonnement, rayé de la liste finale, ce contre quoi j’ai fait un recours, mais en vain. Je ne sais pas pourquoi ?!», se plaint-il, inquiet.
Simple serveur dans un café de la place, ayant à sa charge deux enfants et une femme au foyer, Hichem a du mal à joindre les deux bouts. «Je m’occupe, également, de deux frères en situation de handicap vivant à Boussalem (Jendouba)», ajoute-t-il. Sa brève rencontre avec le Président Kaïs Saïed, lors de son passage, le 11 août dernier, du côté du Belvédère, lui a redonné espoir.
«Cela m’était fort rassurant, car les promesses que m’avait faites Monsieur le Président m’ont remonté le moral et m’ont mis encore du baume au cœur», s’exprime-t-il. Suite à quoi, il a repris de plus belle et refait les mêmes procédures, adressant, cette fois-ci, une nouvelle demande à la présidence de la République, à Carthage, qui l’a transférée au gouvernorat de Tunis pour information.
Hichem n’est pas le seul à se voir sombrer dans le flou persistant. Les cas similaires sont légion. Locatrice déjà à Ksar Saïd 2, Akri Taâmallah s’enlise encore dans la même situation : «Etant inscrite au programme national des logements sociaux, dès son lancement en 2012, j’ai reçu, dix ans après, une réponse favorable à ma demande.
J’étais, ce alors, emplie de joie et de bonheur de voir mon nom affiché sur la liste des bénéficiaires au siège de la délégation du Bardo (Tunis), arrondissement territorialement compétent. Mais, cette nouvelle tant attendue ne fut qu’éphémère. Car, le lendemain, j’ai été désagréablement surprise de ne pas voir mon nom figurer parmi les ayants droit, faute de points cumulés pour bénéficier d’un logement», désespère-t-elle.
Droit à un logement décent
Son dossier a connu le même sort que celui de Hichem. Il y a un hic : la déléguée, contactée à son bureau, lui avait livré une information encore surprenante : «Madame, votre dossier n’a pas été, certes, refusé, mais vous êtes encore sur la liste d’attente», nous rapporte Taâmallah, poussant un cri plaintif. «Femme de ménage dans le besoin, je n’arrive pas à arrondir mes fins de mois.
Mon modique salaire ne couvre même pas des frais fixes : le coût du loyer, le transport et les dépenses que je fais au quotidien. D’autant plus que j’ai à ma charge deux enfants, un au secondaire, l’autre à l’université, et un mari malade à la maison», poursuit-elle, émue jusqu’aux larmes. Elle défend son droit inaliénable à un logement digne et décent.
Notons, ici, qu’un deuxième lot prévoit la réalisation, en 2026, de 5.000 logements sociaux d’un coût estimé à 505 millions de dinars. «Nous espérons y trouver notre compte, car nos demandes répondent parfaitement aux conditions d’éligibilité exigées pour bénéficier d’un logement», estiment nombre de candidats inscrits sur une longue liste d’attente. Profitent de ce programme les catégories sociales occupant un logement rudimentaire ne répondant pas aux normes sanitaires et techniques minimales d’habitabilité, lit-on sur le site du ministère de l’Equipement.
Somme toute, le programme national de logements sociaux demeure l’une des expressions les plus concrètes du retour assumé de l’État social et de son engagement en faveur des catégories vulnérables, dans l’esprit de justice sociale, d’équité territoriale et de dignité humaine constamment réaffirmé par le Président de la République, Kaïs Saïed. Les efforts consentis, tant sur le plan budgétaire que programmatique, témoignent d’une volonté politique claire de garantir le droit constitutionnel à un logement décent.
Les situations rapportées mettent en lumière des dysfonctionnements persistants au niveau de certaines procédures d’exécution, notamment en matière de traitement des dossiers, de transparence des listes et de coordination entre les structures concernées. Ces insuffisances, qui relèvent davantage des mécanismes administratifs que de l’orientation générale de la politique publique, appellent aujourd’hui à une action correctrice ferme, rigoureuse et coordonnée.
Car au-delà des chiffres et des annonces, il s’agit avant tout de restaurer la confiance des citoyens dans l’action publique et de faire du droit au logement non pas une promesse différée, mais une réalité vécue, à la hauteur des attentes légitimes des Tunisiennes et des Tunisiens.