Arts visuels : Une belle effervescence créative malgré les défis
Malgré des contraintes structurelles persistantes, la scène des arts visuels en Tunisie a fait preuve en 2025 d’une remarquable vitalité.
Expositions, festivals, salons et initiatives indépendantes ont dessiné une cartographie dense et plurielle, entre Tunis, Gabès et d’autres régions, révélant une création contemporaine en dialogue constant avec la mémoire, le territoire et les mutations du monde.
La Presse — L’année 2025 aura été plutôt riche pour les arts visuels en Tunisie, une scène qui a vibré d’une énergie collective et pluridisciplinaire, mêlant expositions institutionnelles, salons nationaux et festivals emblématiques. Tunis, Gabès et d’autres villes ont servi de toile vivante à de nouveaux projets, explorant l’identité, la mémoire et la transformation dans un contexte de dialogues locaux et internationaux.
Outre la panoplie d’expositions dans les galeries, centrée surtout entre Tunis et la banlieue nord et qui a rythmé le début de l’année, l’Union des artistes plasticiens tunisiens (Uapt) a lancé, du 17 mars au 15 avril 2025, le mois national des arts plastiques avec sa 14e exposition au Palais Kheireddine dans la Médina de Tunis.
L’événement a mis en lumière la vitalité et la diversité de la scène plastique tunisienne, réunissant des centaines d’artistes autour d’un large éventail de pratiques : peinture, sculpture, photographie, installations et techniques mixtes. Cette manifestation a confirmé la force d’une scène en pleine mutation, où les artistes explorent des formes innovantes et des récits multiples.
Au même moment, le 5e Forum international des arts plastiques à Mareth a élargi la réflexion en associant art et conscience écologique, invitant créateurs tunisiens et internationaux à interroger la nature comme laboratoire de création.
Le Salon tunisien du Lettrisme à l’espace Sainte-Croix, ainsi que d’autres accrochages à la galerie Yahia ou à Ben Arous, ont prolongé cet élan. Il y a eu également le Salon National à la Maison des Arts du Belvédère, qui s’est étiré jusqu’au 5 juillet.
Printemps à Gabès
Du 26 avril au 1er mai 2025, Gabès Cinéma Fen a proposé sa 7e édition, ancrée dans une exploration transversale des images contemporaines, du cinéma à l’art vidéo, en passant par la réalité virtuelle. Le festival, organisé par l’association Focus Gabès, offrait un espace de réflexion sur les enjeux sociaux et environnementaux à travers le prisme de l’image.
Sous une gouvernance renouvelée, avec Sarra Maali et Sofian El Fani à la direction artistique, Gabès Cinéma Fen a misé sur la réflexion et le dialogue, abandonnant le concours pour privilégier les échanges entre cinéastes, artistes visuels et publics autour d’œuvres singulières.
La section Art Vidéo, pilotée par Fatma Kilani avec Malek Gnaoui, ainsi que la programmation immersive en réalité étendue (XR), ont été au cœur des propositions artistiques, offrant une plateforme où créateurs et spectateurs se rencontrent et interrogent le monde contemporain à travers l’image.
Conférences, ateliers et un nouveau salon
L’été a vu l’émergence d’un nouveau projet institutionnel avec le lancement de la première édition du Salon national des arts plastiques à la Maison des Arts du Belvédère. Rassemblant des artistes de toutes les régions, cette manifestation a illustré une volonté de décentralisation culturelle, offrant une visibilité accrue aux pratiques artistiques régionales souvent éloignées des circuits traditionnels. On y a vu des œuvres de céramique, de gravure, de photographie, de peinture et de sculpture, témoignant d’une pluralité de voix artistiques.
Parallèlement, des initiatives ouvertes au public proposant des ateliers plastiques, rencontres dans des espaces culturels et collaborations avec des institutions étrangers, ont renforcé les liens entre artistes et citoyens, faisant de la création visuelle un lieu de rencontre et d’expérimentation.
Expositions phares
Septembre a vu, entre autres événements, la tenue de l’exposition temporaire inaugurale du Musée national d’art moderne et contemporain (Macam), la seule en dehors de deux petites expositions organisées durant les Journées Cinématographiques de Carthage (du 13 au 20 décembre 2025). Intitulée «Illuminations Contemporaines», l’exposition rassemblait 54 œuvres issues du Fonds national des arts plastiques, signées par des artistes tunisiens de tous bords. Malgré la richesse de cette collection, l’ensemble manquait de direction curatoriale, aucun commissaire n’ayant été mentionné, et la scénographie donnait davantage l’impression d’une vitrine que d’un projet pensé et cohérent.
La TGM Gallery à La Marsa a présenté «90’s Reloaded», une exposition issue du Prix des Jeunes Artistes 2025, qui explore l’esthétique des années 1990 à travers les travaux de talents émergents, révélant les enjeux générationnels et les nouvelles écritures visuelles.
Après une très belle exposition dédiée au photographe français Nicolas Henry nommée «Arbres de Vie», Yosr Ben Ammar Gallery (Bhar Lazreg, La Marsa) a présenté «Echoes & Tides», une exposition collective poétique qui interroge les résonances du vivant et de l’invisible, accentuant le caractère introspectif et sensoriel de la création contemporaine tunisienne; et récemment « Diary of the originator», une exposition personnelle du Tunisien Hamza Sellmy.
«Bound Narratives : Photobook Festival», déployé entre 32 Bis, B7L9 et Mouhit Space, a mis en perspective la photographie éditoriale comme médium artistique à part entière. Cette série d’expositions autour des livres photographiques a inspiré de nouvelles manières de raconter visuellement, mêlant récit intime et engagement formel.
A la Galerie Archivart, le peintre Wahib Zannad a offert une immersion contemplative à travers son exposition «Dans l’intimité de la contemplation», où la lumière et la couleur deviennent des forces expressives autonomes. Les œuvres de Hela Lamine ont ensuite investi les lieux avec une exposition très intimiste baptisée «Les jardins de mon père», offrant une belle occasion de plonger dans son univers poétique, où souvenirs et mémoire s’entrelacent dans des dessins et autres créations plastiques, évoquant les jardins « secrets » de son père.
La Galerie A. Gorgi a proposé l’exposition collective «Automne 2025» à Sidi Bou Saïd, assemblant une riche constellation de créateurs autour d’une saison vécue comme métaphore esthétique, suivie de l’exposition personnelle «Double je» de Mondher Shalby, où il explore sa relation intime avec son enfance comme un miroir toujours actif.
Selma Feriani Gallery a présenté les gravures de Gouider Triki (Gravures) et les œuvres disparates du Marocain M’barek Bouhchichi (The Black Seeds), tandis que la galerie Saladin a accueilli l’exposition «Anima» de l’artiste peintre argentin Matias Factorovicch, révélant un monde de symboles où se confondent l’humain, la nature et la quête intérieure.
On n’oublie pas l’immense exposition «Tétanos» de l’artiste tunisienne Aïcha Snoussi, présentée au centre d’art contemporain 32 Bis à Tunis (rue Ben Ghedhahem) depuis le 31 octobre 2025 et qui se poursuit jusqu’au 13 février 2026. L’artiste y propose une installation immersive répartie sur les trois étages du 32 Bis, où chaque œuvre agit comme un indice à décrypter, questionnant la manière dont nous percevons et appréhendons le monde, l’histoire et les traces du temps.
Certaines de ces structures privées continuent de renforcer les liens entre la scène tunisienne et les plateformes artistiques internationales, notamment à travers des expositions hors les murs ou des participations à des foires d’art contemporaines en Europe et au Moyen-Orient. Là aussi, l’année 2025 témoigne de l’ouverture des pratiques tunisiennes.
Dream City et espaces immersifs
L’automne a également été marqué par Dream City, qui s’est tenu du 3 au 19 octobre 2025 dans la Médina et le centre-ville de Tunis. À l’occasion de sa 10e édition, le festival a rassemblé 56 artistes venus de 22 pays, dont plusieurs créateurs tunisiens, autour du thème «Fragments d’un monde inachevé : Réflexions en temps d’effondrement lent». Le festival a transformé la ville en une scène immersive : rues, placettes, ruelles et bâtiments historiques sont devenus supports d’installations, performances, expositions visuelles et plateformes de dialogue entre cultures et publics.
Une scène vivante, mais confrontée aux défis
Cette cartographie des expositions 2025 montre à quel point la scène plastique tunisienne est en mouvement, portée par une diversité de voix et d’approches, tout en restant confrontée à des défis structurels, dont la question du statut de l’artiste reste au centre des débats. Depuis des années, les créateurs tunisiens évoluent dans un vide juridique, sans cadre clair qui reconnaisse leurs droits sociaux, économiques et professionnels. Cette absence de statut légal se traduit par une précarité quotidienne : couverture sociale insuffisante, absence de retraite digne et gestion des aides souvent arbitraire et déconnectée de la réalité du terrain.
Des galeries indépendantes aux institutions historiques, l’année a été rythmée par une multiplicité de propositions, témoignant d’une vitalité résolument contemporaine. Plus qu’une succession d’événements, cette effervescence relève d’une vraie dynamique collective : elle traduit la volonté d’artistes et de structures de penser, produire et partager des images qui résonnent avec les transformations sociales, politiques et esthétiques de notre époque.
Hommages
Mais 2025 n’a pas été uniquement une année de célébrations. Elle a également été marquée par le départ d’une figure emblématique de la peinture tunisienne, Hamadi Ben Saad, qui s’est éteint le 25 juillet à l’âge de 77 ans. Son départ laisse un vide immense, mais son œuvre continue de résonner. Elle témoigne d’une vie entière consacrée à l’expérimentation, à la recherche et à l’amour des formes et des couleurs. Sa pratique du recyclage, son usage virtuose de la matière et son audace chromatique demeurent des repères pour les générations futures.
La scène artistique a aussi perdu Karim Sghaier, disparu le 15 septembre. Fondateur visionnaire de la Galerie Elbirou, il a profondément marqué la vie culturelle de Sousse et au-delà. Passionné et engagé, il a ouvert des chemins, créé des ponts et soutenu sans relâche artistes et initiatives, avec une générosité exceptionnelle et une humanité éclatante.