Portée par une multitude de festivals régionaux, de créations marquantes et d’initiatives fondées sur l’engagement humain, la scène théâtrale a confirmé sa capacité à résister, à se renouveler et à maintenir un dialogue actif avec la société.
La Presse — L’année théâtrale 2025 en Tunisie s’est déployée dans un paysage contrasté, où les contraintes structurelles n’ont pas étouffé l’élan créatif. Bien au contraire. Portée par une multitude de festivals régionaux, de créations marquantes et d’initiatives fondées sur l’engagement humain, la scène théâtrale a confirmé sa capacité à résister, à se renouveler et à maintenir un dialogue actif avec la société.
Des festivals ancrés dans leurs territoires
En 2025, les festivals de théâtre ont continué de pulluler sur l’ensemble du territoire, dessinant une cartographie culturelle décentralisée, souvent fragile mais profondément vivante. À Siliana, le Circuit du théâtre pour enfants s’est affirmé comme une expérience structurante, élargissant l’accès au spectacle vivant dans la ville et ses alentours. La même région a accueilli Théâtre et citoyenneté, un rendez-vous qui interroge le rôle du théâtre comme outil de sensibilisation et d’expression civique.
Au Kef, les 24 heures de théâtre ont renouvelé leur pari audacieux : investir le temps comme matière scénique et provoquer la rencontre entre artistes, publics et formes diverses. À Médenine, le Festival du théâtre expérimental a poursuivi, tant bien que mal, son rôle de laboratoire, accueillant des propositions en rupture avec les codes traditionnels, souvent portées par de jeunes créateurs en quête d’écritures nouvelles.
Le Festival Khelifa-Stambouli de Monastir a maintenu son cap, fidèle à son esprit de transmission et d’ouverture, tandis que le Festival 4/4 de Jendouba a tenu bon malgré des difficultés financières et organisationnelles persistantes. Une édition qui a mis en lumière la ténacité de ses initiateurs, rappelant que la culture, en région, repose avant tout sur la détermination de celles et ceux qui la portent mais ne peut pas tenir sans financement.
À Mahdia, Manarat a consolidé sa vocation méditerranéenne et interdisciplinaire, pendant que le Festival international de la marionnette poursuivait son travail singulier autour de l’imaginaire visuel et du dialogue intergénérationnel. À Nabeul, le Festival du théâtre pour enfants de Néapolis a continué de former les jeunes regards et de préparer les publics de demain.
Au sommet de ces rendez-vous, les Journées théâtrales de Carthage (JTC) sont restées le point culminant de l’année. Gardiennes précieuses de leurs acquis, elles tentent de préserver leur rayonnement africain et arabe, tout en se protégeant de l’effritement qui menace de nombreux grands événements culturels dans la région.
L’engagement, moteur principal des initiatives
Qu’elles soient publiques ou privées, ces manifestations reposent sur un socle commun : l’engagement personnel et souvent bénévole de leurs organisateurs. Directeurs artistiques, équipes techniques et artistes s’investissent avec la conviction que le théâtre demeure un espace essentiel de réflexion collective, capable de rayonner au-delà des centres urbains et de renforcer le lien social dans les régions.
Création : des œuvres marquantes et une scène foisonnante
Sur le plan de la création, 2025 aura été une année d’abondance et de diversité, confirmant la vitalité du théâtre tunisien, toutes générations confondues. Plusieurs œuvres se sont distinguées, tant par leur réception critique que par leur impact auprès du public.
Parmi elles, Jacaranda Call Center de Nizar Saïdi s’est imposée comme une pièce emblématique de l’année. À travers un dispositif scénique maîtrisé et une écriture incisive, le spectacle explore les dérives du monde du travail, la précarité et la déshumanisation, tout en laissant affleurer une ironie mordante. Une création qui capte l’air du temps et interroge frontalement les nouvelles formes d’aliénation.
Avec Les Fugueuses, Wafa Tabboubi a proposé une œuvre sensible et engagée, donnant voix à des trajectoires féminines en rupture. La pièce, saluée pour la justesse de son interprétation et la finesse de sa dramaturgie, aborde la fuite non comme une désertion, mais comme un acte de survie et de reconquête de soi.
Moment fort de l’année, «Rêve, une comédie noire», la toute dernière création de Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar, s’est présentée comme une œuvre lucide et troublante.
Fidèle à l’univers du duo emblématique du théâtre tunisien, la pièce navigue entre grotesque et tragique, disséquant les désillusions contemporaines et les fractures sociales avec une ironie sombre et une rigueur esthétique toujours intacte.
Ces œuvres, parmi d’autres, témoignent d’un théâtre tunisien capable de conjuguer engagement, exigence artistique et résonance sociale.
Espaces de création et de formation : une pépinière durable
L’année 2025 a également confirmé l’importance des espaces de création et de formation, devenus de véritables pépinières pour les jeunes artistes. Ces lieux, souvent indépendants, ont prouvé leur efficacité, non seulement en termes de transmission et d’accompagnement, mais aussi de rentabilité et d’autonomie relative. Ateliers, résidences et formations continues y nourrissent une dynamique durable, contribuant à structurer le secteur en dehors des seuls temps forts festivaliers.
Diversifier les formes, élargir les publics
Parallèlement, les rendez-vous de stand-up dans les petites scènes ont gagné en visibilité, offrant des espaces d’expression directe, parfois corrosive, et révélant de nouveaux talents. Une diversification bienvenue dans un paysage où le rire reste encore trop rare sur les scènes théâtrales institutionnelles. Les comédies musicales, quant à elles, avancent timidement. Quelques tentatives émergent, freinées par des contraintes de production lourdes, mais laissent entrevoir un champ encore largement à explorer.
Un théâtre vigilant et nécessaire
En 2025, le théâtre tunisien a poursuivi son chemin avec lucidité. Vigilant face aux risques d’essoufflement, mais porté par une créativité persistante et un engagement humain profond, il continue d’occuper une place essentielle dans le paysage culturel. Un théâtre ancré dans ses territoires, attentif à son époque et résolument vivant.
