Masse salariale et risques budgétaires: L’Etat dos au mur !

L’économiste Ezzedine Saïdane révèle que la masse salariale a bondi à 61.9% du budget de l’Etat. «C’est inacceptable. Les salaires dévorent la plus grande partie du budget de l’Etat et c’est dangereux. Aucun pays dans le monde n’a enregistré un tel taux», se désole-t-il.

Le constat est sans appel, la Tunisie n’est plus en mesure de répondre à sa masse salariale dans cette conjoncture financière délicate et tant que son économie ne connaît pas ses meilleurs jours.

Tous les économistes avertissent depuis plusieurs années contre les conséquences d’une telle masse salariale devenue un fardeau pour l’Etat tunisien. Si des recrutements massifs dans la fonction publique avaient été opérés depuis la révolution au nom de la préservation de la paix sociale, mais aussi en raison de certains calculs politiques et de pratiques de complaisance, aujourd’hui nous commençons à payer le prix cher de ces décisions irrationnelles.

Le cas de la Société nationale des chemins de fer tunisiens (Sncft) est révélateur. La compagnie n’est pas parvenue à payer les salaires de ses employés pour le mois de novembre, «un précédent dangereux», selon le secrétaire général de l’Ugtt, Noureddine Taboubi.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? A qui la faute et comment peut-on remédier à la situation dans l’immédiat, d’autant plus que la masse salariale entrave actuellement les négociations avec les bailleurs de fonds, dont notamment le Fonds monétaire international (FMI) ?

Les appels et avertissements lancés par les économistes sont restés malheureusement sans réponse. Parmi eux, l’économiste Ezzedine Saïdane ne fait, depuis plusieurs années, que tirer la sonnette d’alarme quant aux risques de l’augmentation de la masse salariale en Tunisie. Selon ses dires, les conséquences seront désastreuses sur l’économie nationale et sur les finances publiques. 

Récemment, l’économiste révèle que la masse salariale a bondi à 61.9% du budget de l’Etat, selon certaines estimations. «C’est inacceptable. Aucun pays dans le monde n’a enregistré un tel taux», se désole-t-il.

Au fait, selon ses explications, les salaires absorbent la plus grande part du budget de l’Etat qui doit également couvrir les dépenses courantes, la Caisse de compensation, les importations nécessaires, le développement et l’investissement, les dettes et le service des dettes, d’où la crise que connaît le pays. L’expert s’est interrogé sur les sources du reste des dépenses, dans la mesure où l’Etat est également appelé surtout à répondre aux dépenses courantes à même de maintenir l’équilibre des rouages de l’Etat et des besoins de la population. «Les salaires dévorent la plus grande partie du budget de l’Etat et c’est dangereux. C’est ce qui cause cette profonde crise», insiste-t-il.

Masse salariale en hausse

En tout cas, selon la loi de finances pour l’année en cours, la masse salariale dans le budget de l’Etat a connu une hausse de 5,7%, passant à 20,118 milliards de dinars (MD) contre 19,03 MD actualisés pour l’année 2020. Ces dépenses représentent 16,6% du PIB et 49% des dépenses du budget de l’État (contre 48,5% selon le projet des finances pour l’année 2020 et 44% actualisés pour l’année 2020).

La hausse des dépenses des salaires de 1088 millions de dinars est répartie entre 720 MD destinés à couvrir l’impact financier annuel du programme d’augmentation salariale, 268 MD pour les recrutements programmés en 2021 et 100 MD à titre d’ajustement des augmentations spécifiques accordées aux militaires et des accords sectoriels.

Donc, en dépit des circonstances difficiles que connaît le pays, la masse salariale poursuit son augmentation qualifiée de dangereuse par les différents spécialistes en la matière. Il suffit de rappeler que la masse salariale est passée de 8,5 milliards de dinars en 2010 à 14,3 milliards de dinars en 2016 et à plus de 20 milliards actuellement.

Explications et risques

Comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce qui a fait exploser le plus les comptes de l’Etat ? La réponse est claire. Ce sont notamment les recrutements massifs depuis 2011, les augmentations salariales successives et les promotions généralisées, outre les plans sociaux effectués aléatoirement et parfois au détriment des besoins réels de la fonction publique.

Il n’en demeure pas moins que la situation des entreprises publiques, devenues budgétivores, a également enfoncé le clou. Toutes les entreprises publiques ou presque font face à une aggravation de leurs état financiers marqués par leurs masses salariales insoutenables à cause des recrutements aléatoires et aux décisions arbitraires au détriment de leurs équilibres financiers.

En effet, la masse salariale a carrément explosé après la révolution à cause des recrutements jugés abusifs et non étudiés dans la fonction publique. Seulement durant les trois premières années après la révolution, quelque 67 mille demandeurs d’emploi, dont plus de neuf mille blessés de la révolution ont été recrutés, selon des chiffres officiels. Avant la révolution, en 2010, l’Etat embauchait 404 mille salariés dans la fonction publique. Ce chiffre a presque doublé en l’espace de moins de 9 ans. Ce sont les ministères de l’Education, de l’Intérieur et de la Santé et d’autres établissements publics qui ont connu le plus grand nombre de ces recrutements parfois liés à des soupçons de corruption.

Pour trouver une issue à cette situation, il est devenu impératif d’entamer un plan national de restructuration des entreprises publiques. L’objectif étant de rééquilibrer financièrement ces structures en optimisant leur rentabilité et leur efficacité. Une opération qui passe obligatoirement par une réorganisation de la masse salariale de manière à éviter surtout l’emploi fictif qui gangrène certains établissements publics.

En tout cas, le gouvernement Bouden avait annoncé son intention d’entamer une restructuration effective de ces établissements en adoptant une approche «participative et transparente». Si pour certains, la thérapie des entreprises publiques passe certainement par leur privatisation et le changement de leur modèle de gestion, pour l’Ugtt, cette option pose problème dans la mesure où elle porte atteinte aux droits des travailleurs.

Même en cas de cession des entreprises publiques, il n’y aura pas d’acheteurs, estime dans ce sens l’autre économiste Moez Joudi. Lui qui rappelle que des dizaines d’entreprises publiques connaissent aujourd’hui d’énormes difficultés financières, met en garde contre l’effondrement du secteur public, comme un « château de cartes ».  Pour lui, acquérir une entreprise publique dans cette situation est une aventure, expliquant cette situation par la mauvaise gouvernance.

Le FMI catégorique

Au fait, même si dernièrement les deux parties avaient annoncé un retour à la table des négociations, actuellement les pourparlers entre le FMI et le gouvernement tunisien piétinent. La situation de la masse salariale explique, entre autres, ces négociations entravées. Car, depuis plusieurs années, l’institution financière en question avertit, sans cesse, contre l’explosion de la masse salariale dans un pays qui ne crée ni richesse ni emploi. Pour le FMI, il est inconcevable d’exploiter les lignes de crédit et les fonds octroyés dans la gestion de la masse salariale, ni dans les dépenses courantes de consommation.

D’ailleurs, la Tunisie s’était engagée à plusieurs reprises auprès du FMI à maîtriser cette masse salariale et à mettre fin à ces recrutements jugés abusifs. C’est la condition qu’a posée cette institution financière pour renouveler ses programmes d’appui à la Tunisie. Or, depuis, la Tunisie n’a pas réalisé de grandes avancées et se contente de quelques plans sociaux sectoriels. Aucune stratégie nationale pour résoudre ce dilemme n’a été mise en place.

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