« De Chenini à Douiret » : sur les traces d’un miracle de survie et d’un vestige du déclin
Il est des livres qui ne se contentent pas de raconter : ils réveillent la mémoire, rallument une braise, ouvrent une porte sur un monde qui se dérobe. « De Chenini à Douiret. Au cœur de la Tunisie Berbère » de la chercheuse et historienne Cyrine Ben Ghachem en est un exemple.
Né d’un travail de plus de dix ans de recherches, de documentation et de rencontres sur terrain, cet ouvrage, paru en 2025 aux Editions Nirvana, est l’aboutissement d’un voyage où l’autrice a arpenté les montagnes du Sud, recueillant les traces visibles et invisibles des deux villages les plus emblématiques du monde des ksours : Que cachent les flancs rocailleux du Dahar ? Quels secrets murmurent les ruelles troglodytiques de Chenini ? Et que reste-t-il de Douiret, ce village fantôme où résonnent encore les pas de ceux qui l’ont bâti ?.
Préfacé par le professeur émérite en histoire et patrimoine à l’Université de Manouba, Abdelhamid Larguèche, ce livre est bien plus qu’une étude : c’est un retour sensible, une traversée de 192 pages où dialoguent texte et images, invitant à marcher, à écouter, à regarder autrement. Richement illustré de photographies en noir et blanc et en couleurs, le livre dresse des portraits, décrit des lieux, revient sur des métiers et conduit vers des espaces d’histoire et de mémoire où l’homme tente de se réconcilier avec la terre, où le passé cherche sa place dans le présent.
Dans cet ouvrage qui explore deux sites aux destins contrastés, Chenini, un village résilient symbole d’un miracle de survie accroché aux flancs du Dahar, et Douiret, village en déclin, vestige d’un lieu en péril où chaque ruine semble encore murmurer une histoire, l’auteure propose une lecture en trois parties.
La première remonte le fil des origines : récits fondateurs, rôle dans le commerce caravanier, et cette berbérité complexe, parfois brandie comme un étendard, parfois étouffée par une modernité uniformisante sans oublier la langue berbère, aujourd’hui menacée d’effacement, et qui apparaît comme un souffle fragile dont dépend toute une mémoire.
La deuxième partie s’attarde sur la culture vivante : contes, mythes, traditions, artisanat, savoir-faire hydrauliques, et les rôles complémentaires des hommes et des femmes dans la transmission des pratiques et des récits où le lecteur découvre aussi comment les habitants réinventent leur rapport aux ruines, transformant l’abandon en acte de résistance symbolique.
Enfin, la troisième partie explore l’organisation matérielle des villages : urbanisme en crête, architecture adaptée à la roche et au vent, intelligence d’un habitat façonné par les contraintes naturelles etc.
« Le patrimoine ne vit pas seulement dans les pierres, mais dans ceux qui l’habitent, le traversent et le racontent »
Pour Cyrine Ben Ghachem, l’architecture est une écriture de pierre. Les ksour, les jessour, les monuments religieux et les espaces privés ne sont pas de simples vestiges : ils forment un langage, une manière d’habiter le monde, une pensée de la sobriété et de l’harmonie.
A travers ces trois volets, le livre dépasse la dimension patrimoniale. Il rappelle que Chenini et Douiret ne sont pas des ruines figées, mais des lieux de vie, des espaces où l’imaginaire se mêle au réel et où chaque pierre pose une question : comment transmettre ce qui ne tient pas seulement dans la matière, mais dans les voix, les gestes et les présences ?
La question essentielle, selon l’autrice, n’est pas seulement de savoir comment conserver ces villages, mais comment leur redonner vie pour que leur mémoire continue de nourrir le présent et d’inspirer l’avenir car écrit elle « le patrimoine ne vit pas seulement dans les pierres, les ksours ou les paysages, mais dans ceux qui l’habitent, le traversent et le racontent ».
Ainsi, les véritables gardiens sont « les anciens qui transmettent au coin des maisons troglodytes les récits et les chants qui nous relient aux origines ; les femmes dont les gestes quotidiens donnent vie aux savoir-faire ; et les enfants qui, en courant dans les ruelles des ksours, rappellent que ces villages ne sont pas des musées silencieux mais des espaces vivants et respirants ».
Le livre sera présenté par les Editions Nirvana lors d’une séance de dédicace le samedi 22 novembre 2025 à partir de 17h00, à Fahrenheit 451-Carthage Dermech, en présence de l’auteure et du professeur Abdelhamid Larguèche.
Docteure en sciences du patrimoine, spécialiste du patrimoine culturel et berbériste, Cyrine Ben Ghachem est chercheuse au Laboratoire du patrimoine de l’Université de la Manouba. Elle consacre ses travaux au Sud-Est tunisien -Chenini, Douiret, Guermessa, Tataouine- et utilise la photographie comme outil de documentation. Elle est également l’autrice d’expositions marquantes, dont « Le Sacré en Tunisie ».