Débats budgétaires : Les pathologies du système sanitaire scannées par les députés
Les élus de l’Assemblée des représentants du peuple et du Conseil national des régions et des districts ont passé au crible les insuffisances du système sanitaire tunisien, empêchant une couverture générale du pays et un accès décent aux soins de santé à travers les régions, lors d’une séance plénière conjointe, tenue hier à l’hémicycle du Bardo, dans le cadre des débats budgétaires pour l’année 2026.
La Presse — Tragédie à l’hôpital régional de Jendouba, où une femme enceinte admise aux urgences a perdu la vie avant d’accoucher, laissant une petite fille orpheline dès la naissance et un sentiment d’amertume dans la région qui n’a pas encore oublié la mort tragique, il y a quelques années, d’un médecin dans un ascenseur en panne, dans le même hôpital, qualifié d’ores et déjà «d’abattoir», tellement la phobie d’y accéder a marqué les habitants qui n’ont pas, du reste, trop d’options pour aller se soigner ailleurs, faute de moyens.
Il s’agit là d’une illustration dressée par le député Alaa Maghzaoui lors du débat général sur «la mission de la santé», admettant pourtant que «nous sommes en 2025, dans le pays des miracles de la santé». Laquelle illustration est un échantillon d’un éventail de «pathologies», accumulées au fil des ans, en l’occurrence lors de «la sombre décennie», selon certains représentants régionaux, le secteur étant pourtant l’une des fiertés des Tunisiens des décennies durant, mais qui a subi de nombreuses dégradations ces dernières années.
Manque d’effectifs médicaux et paramédicaux, manque d’équipements et d’infrastructures, mais également manque de médicaments et de moyens. Ce sont les principaux points relevés par les intervenants, louant «un travail d’envergure» réalisé par le département de la Santé sous la direction de l’actuel ministre, Moustapha Ferjani, présent, attentif, aux débats de ce mercredi.
«Le budget du ministère est pratiquement le même d’une année à l’autre, mais nous remarquons la différence d’un ministre à l’autre», a par exemple fait remarquer le député Mohamed Ben Réjeb. Même constat de l’élu Néji Ben Kilani, qui a apprécié «un saut qualitatif dans la stratégie du ministère pour redessiner la cartographie sanitaire, sans multiplier les ressources», appelant à augmenter significativement le budget de ce ministère, du moment où il s’agit «d’un pilier de l’Etat social et solidaire».
Il a apprécié, au passage, la mise en place de «l’hôpital numérique» qui relie plus de 30 établissements hospitaliers, permettant des interventions à distance, notamment pour analyser les résultats des systèmes d’imagerie, installés dans plusieurs régions, mais sans cadre médical compétent sur place pour pouvoir lire et analyser les résultats.
Cette solution avait été montée lors de la crise du Covid, lorsque les déplacements étaient quasiment impossibles, mais qui a été maintenue, voire soutenue, dans la mesure où elle permettait de résoudre la carence en médecins spécialisés dans les régions et éviter à beaucoup de patients de se déplacer des dizaines, voire des centaines de kilomètres pour un scanner, une IRM ou des analyses.
Selon les rapports des commissions ayant examiné le budget de la Santé, cette tendance vers la digitalisation doit se poursuivre, s’accélérer et s’élargir, pour toucher, entre autres, les rendez-vous qui peuvent aller jusqu’à plusieurs mois dans certaines spécialités, comme la radiothérapie. Un phénomène très répandu dans la médecine spécialisée.
Aujourd’hui, en effet, beaucoup de Tunisiens, font plusieurs dizaines de kilomètres pour accéder aux soins, d’autres, même s’ils arrivent à trouver un médecin, ne trouvent pas de médicaments dans la pharmacie de l’hôpital. Certains patients, comme les titulaires du «carnet blanc» renoncent au traitement…
Il en résulte des encombrements dans les grands hôpitaux et les CHU, qui sont appelés souvent à travailler au-delà de leurs capacités et à accueillir beaucoup plus que le nombre prévu lors de leur création. Plusieurs députés ont appelé à opérer des élargissements des institutions hospitalières, à en construire de nouvelles unités et à rapprocher les soins de santé aux régions éloignées.
Les débats ont permis également de soulever la question de la migration des compétences et d’établir une stratégie pour les retenir et les intéresser à travailler dans les «régions de l’intérieur».
Dans un esprit constructif, un député, Messaoud Grira, a appelé à mettre en place «une première ligne de défense», en coordination avec d’autres ministères impliqués dans la fabrication de la nourriture, afin, par exemple de réduire la salinité de certaines conserves qui permettrait à terme de réduire les maladies d’hypertension et de diabète, s’agissant de la qualité de la farine utilisée dans la grande consommation. Grira a également proposé de faire de la santé une source d’entrée de devises, au regard des visiteurs qui viennent se soigner en Tunisie, mais qui finissent par choisir d’autres destinations aux services de soins plus rapides et efficaces.
Le ministère, conscient de toutes ces insuffisances et du degré de souffrance des citoyens, a prévu en 2026 des recrutements à hauteur de 4.000 emplois et la régularisation de 4.400 cadres ainsi que l’ouverture de 100 postes, notamment dans les services d’urgences.
D’après les chiffres communiqués lors des débats en commission, le budget du ministère de la Santé s’élève à 4.350 millions de dinars, contre 4.000 MD en 2025, soit une hausse de 8,8%.
Pas moins de 2.861MD seront alloués aux rémunérations, alors que l’enveloppe destinée aux investissements s’élève à 780 MD, dont la construction de nouveaux hôpitaux, l’élargissement d’autres et l’acquisition de nouveaux équipements.
Le ministère projette, par ailleurs, de poursuivre, en 2026, la promotion du tourisme sanitaire, afin de faire du secteur un vecteur de développement économique, à même d’offrir de nouvelles perspectives d’emploi pour les cadres médicaux très sollicités à l’étranger.