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Economie

Success story – Le parcours du Dr Oumeima Laifa, médecin, chercheuse internationale et experte en innovation : « … De la compréhension du corps humain… à celle du corps d’une nation »

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  • 23 novembre 19:00
  • 7 min de lecture
Success story – Le parcours du Dr Oumeima Laifa, médecin, chercheuse internationale et experte en innovation : « … De la compréhension du corps  humain… à celle du corps d’une nation »

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle redessine les modèles de développement et les équilibres géopolitiques.  Une voix tunisienne se distingue sur la scène afro-méditerranéenne : celle du Dr Oumeïma Laïfa. Médecin, chercheuse internationale et experte en innovation, elle incarne une nouvelle génération de talents capables de transformer la technologie en levier de souveraineté, de modernisation et de prospérité.

Son parcours, à la croisée de la science, de l’industrie et de la stratégie, éclaire une question essentielle : comment l’Afrique et la Méditerranée peuvent-elles utiliser l’IA pour bâtir un avenir plus résilient, plus performant et plus inclusif ?

La Presse — Dr Oumeïma Laïfa, médecin de formation, chercheuse internationale en intelligence artificielle et stratège en innovation, incarne cette génération de tunisiennes qui bousculent les frontières disciplinaires pour penser l’avenir autrement. De la biologie humaine aux dynamiques des nations, son parcours raconte une même quête : comprendre, anticiper et transformer.

Si son histoire inspire aujourd’hui l’Afrique et la Méditerranée, c’est parce qu’elle défend une conviction forte : l’IA n’est pas seulement une technologie, mais une stratégie pour réorganiser la société. A ceux qui l’interrogent sur un éventuel changement de carrière, elle répond : «Je n’ai pas changé de voie. Je l’ai élargie : de la compréhension du corps humain… à la compréhension du corps d’une nation».

Elle évolue avec et par l’IA

Sa vision s’inscrit dans l’ADN intellectuel de la Tunisie, terre de savoirs transversaux. D’Ibn Al-Jazzar, médecin et théoricien des systèmes de santé, à Ibn Khaldoun, qui analysait les sociétés comme des organismes vivants, l’héritage tunisien valorise la pensée plurielle. Oumeïma Laïfa s’y inscrit naturellement : apprendre, ajuster, progresser comme un réseau de neurones. La médecine lui apporte la précision, la recherche, la méthode, mais très tôt elle ressent le besoin d’analyser les systèmes plutôt que les seules spécialités.

Dès 2013, dans le cadre de ses travaux de recherche, elle utilise les premiers systèmes d’aide au diagnostic capables d’analyser et de pré-interpréter des images radiologiques. A une époque où l’on ne parle pas encore véritablement d’«intelligence artificielle », elle comprend que l’ère des spécialistes isolés touche à sa fin. L’avenir appartient à celles et ceux qui maîtrisent les intersections : santé, technologie, science, stratégie, industrie et analyse.

Elle applique à l’IA la rigueur médicale : diagnostiquer avant d’agir, tester avant de généraliser, protéger avant d’optimiser. En Afrique, elle observe que le véritable défi n’est pas le manque de données, mais l’absence de diagnostic stratégique. Une technologie mal choisie peut fragiliser une institution entière. D’où son principe : toute transformation IA commence par un diagnostic stratégique rigoureux.

L’excellence est une méthode

De la Sorbonne, elle retient la pensée longue ; d’A*Star Singapour (Agency for Science, Technology and Research), la logique industrielle ; du « Crick Institute » de Londres, l’audace d’innover ; et de King’s College, l’art de transformer la donnée en décision. Ces expériences forgent trois piliers : l’excellence est une méthode, la rigueur un devoir et la science n’a de sens que si elle améliore la société. Aujourd’hui, elle mobilise cette vision pour promouvoir une IA utile, souveraine et adaptée aux réalités africaines.

Au Crick Institute, elle démontre qu’un modèle d’IA peut anticiper une rechute de cancer avant son apparition. En 2013, elle prouve qu’un modèle hybride IA–expertise humaine peut prédire avec précision même avec peu de données. L’IA devient alors pour elle un microscope algorithmique capable de détecter l’invisible. Elle étend aujourd’hui cette logique aux Etats africains : anticiper les risques, prévenir les crises, optimiser les stratégies, transformer les écosystèmes. Gouverner avec l’IA, selon elle, c’est passer de subir à prévoir.

Oumeïma Laïfa le répète : la question n’est pas de savoir si l’IA remplacera le diagnostic, mais dans quelles conditions une société acceptera de déléguer une décision clinique à une machine. Aujourd’hui, aucune nation ne l’autorise totalement. Elle défend donc un modèle hybride : l’humain pour la responsabilité et la nuance ; l’IA pour la détection précoce et la puissance de calcul. Une trajectoire essentielle, à ses yeux, pour moderniser le système de santé tunisien.

La Tunisie a des atouts réels : densité d’ingénieurs, écosystème startup dynamique, capacités de calcul solides, exportations TIC en croissance et une jeunesse connectée à plusieurs continents. Le pays peut devenir un laboratoire afro-méditerranéen de l’IA appliquée, à condition de bâtir trois piliers : compute mutualisé, open data sectoriel et achats publics innovants. Le frein n’est pas le talent, estime-t-elle, mais le terrain d’application : la Tunisie produit trop de prototypes et pas assez de solutions déployées à grande échelle.

Le leadership hybride en marche

Elle affirme que la Tunisie n’a pas vocation à imiter les Etats-Unis, la Chine ou l’Europe. Son avantage repose sur l’agilité, la frugalité intelligente et la créativité. Le pays peut devenir une référence dans l’IA appliquée à la santé, à l’éducation augmentée, à l’agriculture intelligente, à la fintech régulée, à l’industrie 4.0 et aux systèmes hybrides humain–IA.

L’objectif n’est pas de rivaliser, mais d’exister avec un modèle propre. Nous entrons, selon elle, dans une ère de leadership hybride humain et technologique. Les femmes tunisiennes possèdent des qualités essentielles pour piloter ces transformations: finesse analytique, intelligence relationnelle, sens du collectif, capacité d’arbitrage. Elles n’ont pas à entrer dans la technologie : elles doivent la diriger. L’IA n’est pas une menace pour l’emploi, mais pour l’immobilisme. Elle élimine le travail inutile, pas l’emploi.

Elle rappelle que l’IA crée déjà de nouveaux métiers « AI-Ops », « orchestrateurs IA », « curateurs de données », gestionnaires de modèles et renforce des professions existantes : « AI designer », « AI architecte », « créateur de solutions intelligentes ». Pour la première fois, l’Afrique peut devenir productrice de compétences plutôt que simple consommatrice.

Sa conviction est claire : la Tunisie gagnera non par la taille de ses infrastructures, mais par la qualité de ses systèmes. Elle doit concentrer ses efforts sur trois secteurs clés : la santé, pour freiner la fuite des talents ; l’éducation, pour reconnecter l’école à sa jeunesse ; et l’industrie-énergie, pour reconstruire la productivité nationale.

Pour Dr Oumeïma Laïfa, l’avenir de l’IA ne réside pas dans des machines plus intelligentes, mais dans une société plus intelligente. L’IA doit libérer du temps, réduire la charge mentale, améliorer la décision publique, moderniser l’économie et redonner confiance dans l’avenir. C’est avec cette vision scientifique, stratégique et profondément humaine qu’elle s’impose comme l’une des voix les plus inspirantes de l’IA en Afrique et en Méditerranée.

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Auteur

Sabrine AHMED