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Culture

Journées théâtrales de carthage – « Chute libre » de l’égyptien Mohamed Faraj Al-Khachab : Une approche immersive

  • 25 novembre 19:15
  • 4 min de lecture
Journées théâtrales de carthage – « Chute libre » de l’égyptien Mohamed Faraj Al-Khachab : Une approche immersive

En plaçant une partie du public sur le même plateau que les comédiens, il a transformé les spectateurs en véritables partenaires scéniques, en les impliquant dans le verdict et en les intégrant de ce fait au dispositif dramatique. Plus qu’esthétique, cette implication du public était narrative, presque éthique, puisqu’elle les confrontait directement aux enjeux de l’œuvre.

La Presse — Un large public s’est déplacé, le 23 novembre au Ciné-Théâtre Le Rio à Tunis, pour découvrir la pièce égyptienne «Chute libre», sélectionnée avec 11 autres œuvres en compétition officielle à la 26e édition des Journées théâtrales de Carthage (JTC). Malgré un retard d’une heure sur l’horaire initial prévu à 15h00 ( un décalage dû, semble-t-il, à des raisons techniques ), les spectateurs sont restés nombreux.

Certains ont toutefois dû quitter la salle avant la fin afin de pouvoir assister aux représentations programmées à 17h00. Produite par le syndicat des artistes dramatiques égyptiens, la pièce a été mise en scène et adaptée du texte « L’Héritage du vent » des Américains Jerome Lawrence et Robert E. Lee, par Mohamed Faraj Al-Khachab. 

Sur une scène scénographiée par Ahmed Alaâ Ali et transformée en une salle d’audience — avec l’implication d’une partie du public auquel on a demandé de faire office de jurés installés de part et d’autre du plateau —, les comédien.n.e.s  Amrou Othman, Mustapha Asker, Hani Tombari, Ahmed Abou Zid, Hassan Khaled, Souzi Chikh, Baha Tombari, Saïd Kabil, Ismail Ahmed et Adem Ouahdane ont donné corps à cette lecture égyptienne (en langue arabe classique) du texte des deux Américains.

«Chute libre» (dont le titre original est Souqout horr) est revenue, durant 95 minutes, sur le sort du professeur Bertrand Kitts, jugé pour avoir enseigné la théorie de l’évolution, narguant ainsi les normes religieuses et sociales en vigueur… Le procès se transforme en un affrontement intense entre la liberté de pensée et le pouvoir des croyances et des traditions. Le professeur fait face à la pression de la société et du procureur. Il n’est soutenu que par un avocat talentueux qui défend le droit à la pensée et au débat scientifique. 

L’œuvre originale «L’Héritage du vent» est un drame judiciaire intemporel qui explore le cœur de la conscience américaine, remettant en question le combat entre le fondamentalisme et la liberté de pensée. Située dans une petite ville du sud des Etats-Unis, la pièce dramatise le célèbre procès Scopes de 1925, où un enseignant de lycée est poursuivi pour avoir enseigné la théorie de l’évolution de Darwin, défiant une loi de l’Etat qui impose l’enseignement du créationnisme.

Avec des personnages brillamment conçus qui incarnent les idéologies opposées, cette narration puissante va au-delà du simple récit historique ; c’est une exploration poignante de la liberté intellectuelle, du progrès social et de la lutte incessante pour la vérité à l’ombre du dogme. Mohamed Faraj Al-Khachab est parvenu à rendre palpable le cœur du conflit : d’un côté, ceux qui demeurent inflexiblement attachés aux enseignements religieux et aux normes traditionnelles ; de l’autre, les défenseurs de la liberté de pensée, du questionnement scientifique et de l’autonomie intellectuelle.

Pour traduire cette tension sur scène, il a choisi une approche immersive qui brouille volontairement les frontières entre fiction et réalité. En plaçant une partie du public sur le même plateau que les comédiens, il a transformé les spectateurs en véritables partenaires scéniques, en les impliquant dans le verdict et en les intégrant de ce fait au dispositif dramatique. Plus qu’esthétique, cette implication du public était narrative, presque éthique, puisqu’elle les confrontait directement aux enjeux de l’œuvre.

Le même procédé a été utilisé pour plusieurs protagonistes jouant les témoins. Surgissant depuis la salle, ils brouillaient les repères habituels et abolissaient les frontières entre scène et audience. Ce parti pris a abouti à une circulation vivante entre les espaces, une porosité qui a renforcé l’intensité du procès fictif et a installé une véritable promiscuité, au sens théâtral du terme, entre le public et les comédiens.

Auteur

Meysem MARROUKI