C’est ainsi que Pippo Delbono nous transmet sa vision de l’amour avec ses crises, ses douleurs, ses peurs et ses angoisses. A la fin, épuisé, il s’allonge au pied de l’arbre en fleurs pour voyager vers un autre monde.
La Presse — Au Théâtre des régions à la Cité de la culture, plein comme un œuf, et dans le cadre de la 26e édition des JTC, Pippo Delbono, avec sa béquille et son costume blanc immaculé, traverse la salle lentement pour aller s’installer à son pupitre. Le public silencieux attend la suite des événements. Il vient découvrir « Amore » dont il a beaucoup entendu de bien. La scène s’éclaire lentement.
Des poèmes, de la musique et du chant sont au rendez-vous de ce spectacle à la fois théâtral et musical. Une chanteuse apparaît sur la scène. Sa voix brise le silence. Les dés sont jetés. On est face à des complaintes mélancoliques sur les thèmes de l’amour, de la vie et de la mort. Les poèmes lus, simples et beaux, rendent compte de l’état d’âme de Pippo Delbono, artiste vieillissant qui pose un regard acéré sur le monde qui l’entoure.
Sa déprime, il la sublime dans des poèmes enflammés sur la notion d’amour. Il n’y a pas mieux que le fado portugais pour représenter l’état de cet homme, blessé au plus profond de son âme et qui se console de la perte de sens du monde en s’offrant un chant bouleversant dans un décor minimaliste avec un seul élément : un arbre sec dont les branches sont dénudés, trônant sur le côté droit de la scène. Mais c’est la lumière qui trace les contours de ce spectacle original.
Dans un monde sombre où les effets climatiques font des ravages, Pippo Delbono invoque l’amour. L’amour fougueux, l’amour déçu, toute une panoplie de poèmes puisés dans le fado portugais mais aussi le chant d’Angola et des Cap-vert. Un hymne qui commence dans un décor rouge flamboyant où une cantatrice chante a cappella un air poignant.
Puis suivent des poèmes scandés au micro par le timbre chaud de l’artiste. Des poèmes de Carlos Drummond De Andrade, Jacques Prévert, Rainer Maria Rilke, Florbela Espanca qui sont autant de salves sur l’amour qui consume et abîme.
En voici un exemple : « Que peut une créature sinon, entre créatures, aimer ? Aimer et oublier, aimer et mal aimer ? Aimer ce que la mer entraîne sur la plage, ce qu’elle ensevelit, et ce qui, dans la brise marine, est sel, besoin d’amour, pur tourment ? Aimer l’inhospitalier, l’âpre, un vase sans fleur, un sol de fer, un oiseau de proie. Tel notre destin : amour sans limite. Aimer notre manque d’amour ».
Ces poèmes complètent le chant et la musique interprétés par des artistes virtuoses dont la jeune Angolaise Aline Frazao qui entonne selon elle « la seule chanson d’amour de son pays blessé » : « Belina » Oh, Belina/Nous ne savions plus rien de toi/Ni que tes ennemis/ Avaient autant de méchanceté dans le cœur…
Cette double vision sur l’amour est racontée de façon épurée et presque immobile. Cependant, quelques danses illuminent la scène dont les lumières projettent les ombres des protagonistes ce qui rend le spectacle visuellement spectaculaire : l’arbre démultiplié, les cheveux d’une actrice qui flotte comme une oriflamme.
C’est ainsi que Pippo Delbono nous transmet sa vision de l’amour avec ses crises, ses douleurs, ses peurs et ses angoisses. A la fin, épuisé, il s’allonge au pied de l’arbre en fleurs pour voyager vers un autre monde. Le public, à la fois ému et séduit, lui envoie à lui et à ses chanteurs, musiciens et comédiens une salve d’applaudissements.
