En marge du Africa Investment Forum (AIF) 2025 organisé à Rabat, dirigeants financiers internationaux, banques multilatérales et fonds souverains ont lancé un message unanime : l’Afrique ne comblera son déficit infrastructurel ni ne libérera son potentiel économique sans une mobilisation accrue, structurée et durable du secteur privé.
Les participants ont insisté sur la nécessité d’améliorer la préparation des projets, de renforcer l’intégration des marchés et de mettre en place des mécanismes de réduction du risque capables d’attirer les capitaux institutionnels mondiaux.
Le Maroc mise sur le Fonds Mohammed VI
Le Maroc a particulièrement mis en avant le rôle du Fonds Mohammed VI pour l’Investissement dans la transformation du modèle économique national. Le fonds, qui a déjà mobilisé 14,5 milliards de dirhams et affiche un multiplicateur supérieur à quatre, ambitionne de lever 30 milliards de dirhams additionnels à partir de son capital initial. “Notre rôle est de créer un effet d’entraînement durable et de positionner les entreprises marocaines comme acteurs clés dans les chaînes de valeur régionales”, a expliqué un représentant du Fonds, rappelant que l’objectif est de rééquilibrer l’investissement en faisant du privé la source principale de financement.
Le Qatar Development Bank a pour sa part réaffirmé son engagement historique auprès des PME, de leur création jusqu’à leur expansion internationale. “Nous accompagnons les entreprises tout au long du J-curve, en leur fournissant des prêts d’installation, des fonds de roulement et un appui à l’export”, a déclaré son représentant. Le QDB explore désormais des partenariats plus opérationnels avec des PME africaines dans l’industrie, les services et les technologies, afin d’accélérer leur présence sur les marchés régionaux et mondiaux.
La présence chinoise a également été mise en lumière à travers le Silk Road Fund, qui a déjà investi plus de 2 milliards de dollars sur le continent. Le fonds mise sur des relations directes et de long terme avec les gouvernements et les banques de développement. “Les projets les plus durables reposent sur trois piliers : des partenaires locaux fiables, une vision à long terme, et un marché suffisamment profond pour garantir des sorties réussies”, a affirmé l’un de ses dirigeants.
J.P. Morgan a de son côté rappelé que les infrastructures africaines restent largement sous-financées. La banque a souligné que le secteur privé demeure en retrait faute de mécanismes de dérisquage adéquats. “Sans mécanismes de dérisquage pilotés par les MDBs, il restera impossible d’attirer massivement les capitaux privés dans les infrastructures africaines”, a averti son représentant, appelant à un recours plus systématique au blended finance pour mobiliser l’épargne institutionnelle internationale.
Changer d’échelle
Face au déficit persistant de projets bancables, plusieurs intervenants ont insisté sur le rôle des technologies de rupture pour accélérer la préparation et renforcer la transparence. L’intelligence artificielle pour la modélisation financière, les drones et l’imagerie avancée pour les études d’impact, ainsi que les outils de monitoring numérique ont été cités comme des leviers concrets pour améliorer la gouvernance et réduire les délais de maturation des projets.
L’Africa Trade & Development Insurance (ATD) a rappelé pour sa part avoir fourni 88 milliards de dollars d’assurances politiques et de crédit au cours des vingt-cinq dernières années. “Nous jouons un rôle d’arbitre neutre entre investisseurs et gouvernements africains, pour réduire les risques perçus et faciliter le closing des projets”, a indiqué son porte-parole, estimant que la réduction du risque politique reste déterminante pour attirer des flux privés significatifs.
Les experts réunis à Rabat s’accordent sur un besoin d’au moins 200 milliards de dollars par an pour combler le déficit infrastructurel du continent. Le manque de projets prêts à l’investissement, l’instabilité macroéconomique dans certains pays et la fragmentation des marchés ont été identifiés comme les obstacles majeurs. “Sans un marché africain plus intégré, aucune économie ne pourra atteindre l’échelle nécessaire”, a résumé un banquier senior, appelant à une action coordonnée.
Les recommandations formulées au terme des discussions appellent à changer d’échelle. Les participants préconisent d’accélérer la préparation des projets grâce à des Project Preparation Facilities renforcées, d’harmoniser les réglementations régionales pour réduire les coûts et fluidifier les échanges, et de stabiliser les environnements macroéconomiques par des politiques monétaires et budgétaires plus prévisibles. Ils ont également insisté sur la nécessité de soutenir davantage les PME locales ainsi que les champions africains capables de s’étendre au niveau régional.
Un consensus s’est dégagé en faveur de la constitution d’une coalition stratégique panafricaine réunissant États, institutions financières et investisseurs privés, afin de structurer des projets solides, de mutualiser les risques et de bâtir un marché intégré à l’échelle du continent.
Les Market Days 2025, qui se poursuivent jusqu’au 28 novembre, offrent une plateforme clé pour rapprocher investisseurs et porteurs de projets dans les secteurs de l’énergie, de l’industrie, de l’agroalimentaire, de la digitalisation et des infrastructures.
L’édition 2025 de l’AIF, placée sous le thème “Réduire les écarts : mobiliser le capital privé pour libérer tout le potentiel de l’Afrique”, entend catalyser cette dynamique et accélérer la transformation économique du continent.