Boycott des enseignes étrangères : Regain d’intérêt pour les épiceries traditionnelles et fines
Plus que jamais, pour les produits d’alimentation générale ou d’hygiène pour la maison ou corporelle, les Tunisiens recherchent la proximité. Et si on revenait davantage aux sources de l’achat traditionnel et classique, au moins sur cette ligne de produits ?
La Presse — Une scène de rue décrit à elle seule l’affluence considérable des ménages tunisiens dans les épiceries fines avant le Mouled, afin de s’approvisionner en fruits secs et en délices sucrées. Le tout dans une ambiance bon enfant et un carnaval symphonique de musique locale. Cette scène s’est déroulée au quartier de Ksar Saïd, limitrophe du Bardo à Tunis, où femmes et enfants se rendaient avec grande joie pour s’approvisionner en produits pour la circonstance, liée à la fête religieuse.
Le Tunisien est peu regardant du nom ou du prestige de l’enseigne, seul compte pour lui le produit final et l’objet de son désir. Le concept du «bon produit, au bon prix», comme disent les experts, reste la règle de consommation numéro 1. Pour le consommateur tunisien la relation de proximité avec son épicerie, son épicerie fine domine dans beaucoup de quartiers. W. Gharbi, un sexagénaire, a raconté sur les réseaux sociaux comment il n’a pas changé ses habitudes depuis des lustres : «J’achète mes provisions chez l’épicier du quartier âm Dhaou, ou bien âm Ali en payant en espèces, sans carte de crédit qui me permet de dépenser l’argent que je n’ai pas…
On ferait ainsi vivre une famille pour qui l’épicier du quartier se lève à 5h du matin et veille jusqu’à 22h, pour que l’on puisse être approvisionnés à toute heure. Et si on fait un peu attention, on remarquera que les prix pratiqués par l’épicier sont moins élevés que ceux des hypermarchés et enseignes. Sans oublier qu’on trouve les traditionnels produits locaux du style tabouna, œufs frais adham arbi, la harissa faite maison…
Personnellement, je recours à cette méthode depuis des années, et mon épicier est devenu mon ami depuis lors». Ce citoyen bien avisé de la formule consumériste idoine pour le Tunisien modeste ou moyen n’en démord pas et estime qu’on peut le transposer aux vendeurs de fruits et légumes, ce qui sauverait les petits métiers.
En attendant, les épiceries fines sont devenues la panacée et plus d’un Tunisien s’y approvisionne, au moins une fois par semaine.
Essor des épiceries fines
Les Tunisiens retrouvent le goût de l’authenticité, grâce à l’essor des épiceries fines locales. Depuis quelques années, un phénomène subtil mais significatif se dessine dans le paysage commercial tunisien. Après une période d’engouement pour les grandes surfaces et les marques étrangères, les Tunisiens semblent redécouvrir le charme et les saveurs des épiceries fines, et plus particulièrement celles de proximité.
Ce retour aux sources est motivé par un désir croissant d’authenticité, de qualité et de soutien à l’économie locale. Un tournant après la frénésie du «tout-étranger». Durant des décennies, l’ouverture économique a vu l’émergence de nombreuses enseignes internationales en Tunisie, qui ont séduit les consommateurs par leur modernité et leur large assortiment de produits importés.
Les grandes surfaces sont devenues le lieu de prédilection des courses hebdomadaires, offrant une commodité que les petites boutiques de quartier ne pouvaient concurrencer. Cependant, ce modèle a progressivement montré ses limites. Les produits standardisés, souvent dénués de saveur locale, et le manque de contact humain ont laissé un vide chez une partie de la population en quête de sens et de produits d’exception.
Le réveil des papilles et la quête de qualité
C’est là que l’épicerie fine locale a trouvé sa nouvelle raison d’être. Elle répond à une demande de plus en plus forte pour des produits de haute qualité, souvent issus de l’agriculture biologique ou de l’artisanat. Les consommateurs tunisiens, plus informés et plus exigeants, recherchent des saveurs authentiques, de l’huile d’olive extravierge, du miel de terroir, des fromages affinés, des confitures artisanales et des épices rares. Ces produits, souvent le fruit d’un savoir-faire ancestral, racontent une histoire et valorisent le patrimoine culinaire du pays.
L’épicerie de proximité : un lien social et un acte militant
Le succès de ces petites échoppes ne se résume pas à la qualité des produits. Il s’agit aussi d’un retour au commerce de proximité, où la relation client est privilégiée. Loin de l’anonymat des supermarchés, les épiciers fins tunisiens sont des passionnés qui connaissent leurs produits et peuvent conseiller leurs clients. L’échange et le partage sont au cœur de l’expérience d’achat.
De plus, l’achat local est de plus en plus perçu comme un acte citoyen. En privilégiant les produits tunisiens, les consommateurs contribuent à soutenir les petits producteurs, à maintenir l’emploi et à dynamiser l’économie locale. C’est une manière de reprendre le contrôle de sa consommation et de redonner du sens à ses courses quotidiennes.
Pour autant, le défi de la durabilité et de la visibilité se pose avec acuité. Malgré cet élan, les épiceries fines tunisiennes font face à de nombreux défis. La concurrence des grandes surfaces reste forte, et la communication sur leur offre de produits de niche est essentielle pour attirer une clientèle plus large. L’intégration du numérique, par la création de sites web ou la présence sur les réseaux sociaux, est devenue un atout indispensable pour toucher une nouvelle génération de consommateurs.
En somme, le regain d’intérêt des Tunisiens pour les épiceries fines locales n’est pas une simple mode passagère. Il est le reflet d’une prise de conscience collective sur l’importance de la qualité, de l’authenticité et du soutien à l’économie locale. Ce mouvement, s’il se confirmait, pourrait redéfinir en profondeur le paysage commercial tunisien, en plaçant le terroir et le savoir-faire au cœur de l’acte d’achat.