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Economie

Tribune – Quand la fiscalité exclut au lieu d’inclure : Le cas du régime forfaitaire

  • 14 septembre 17:30
  • 4 min de lecture
Tribune – Quand la fiscalité exclut au lieu d’inclure : Le cas du régime forfaitaire

La fiscalité devrait être un outil de justice et d’inclusion, permettant de financer l’éducation, la santé, la protection sociale et l’ensemble des droits économiques et sociaux garantis par la Constitution. Elle répond aussi aux revendications de la révolution tunisienne, du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011. Pourtant, l’exemple du régime forfaitaire, conçu pour les petits commerçants et artisans, montre comment des choix fiscaux mal calibrés peuvent fragiliser les plus vulnérables et entraver leur accès aux droits.

Un régime simplifié devenu bouc émissaire

Depuis plusieurs années, le régime forfaitaire (il ne s’agit pas du régime dédié aux professions libérales) est stigmatisé par le ministère des Finances, certaines organisations professionnelles et une partie des médias. Présenté comme un foyer d’évasion fiscale, il a été attaqué sans données fiables ni évaluation sérieuse. Quelques abus isolés ont été généralisés, servant de justification à une campagne contre les petits contribuables, au lieu d’ouvrir une réflexion sur l’efficacité globale du système fiscal et de son contrôle.

Des activités précaires sacrifiées

Sous cette pression, le ministère a retiré du régime forfaitaire des activités entières, dont certaines très fragiles comme le jardinage ou la photographie. Plutôt que d’accompagner ces métiers précaires, on les a exposés à des obligations fiscales et comptables insurmontables.

Pis encore, le plafond de chiffre d’affaires, inchangé depuis 2012, n’a jamais été révisé pour tenir compte de l’inflation. Les contribuables déclassés du forfaitaire n’ont même pas été informés de ce changement vu que le cadre juridique de cette réforme n’impose aucune obligation de notification à l’administration fiscale.

Pour ceux qui sont restés, le régime forfaitaire a perdu sa vocation initiale. La loi de finances 2018 a limité son bénéfice à six ans seulement, le rendant contractuel et temporaire. Le renouvellement n’est possible que sur présentation de justificatifs que la loi ne définit pas, plongeant les contribuables dans une incertitude permanente.

Une injustice structurelle renforcée par l’inaction

Ces évolutions traduisent la facilité avec laquelle de nouvelles dispositions fiscales sont introduites, sans évaluation préalable ni contestation sérieuse de leur impact, notamment par :

Les syndicats patronaux et organisations professionnelles qui se sont concentrés sur la défense des grandes entreprises, délaissant les TPE et artisans.

Les experts et structures professionnelles, pourtant présents dans le débat public, qui ont joué un rôle passif, laissant prospérer une perception biaisée du régime forfaitaire.

Résultat : les petits contribuables ont été stigmatisés et marginalisés, renforçant une injustice structurelle entre acteurs économiques.

L’effet contradictoire : nourrir l’informel en prétendant le combattre

Le paradoxe est flagrant : l’administration fiscale prétend lutter contre le secteur informel, mais elle a construit sa légitimité sur la stigmatisation des petits commerçants et artisans.

En alourdissant les obligations et en excluant certaines activités précaires du forfaitaire, elle a découragé la formalisation et poussé une partie des petits acteurs économiques vers la clandestinité. Ainsi, au lieu de consolider la base fiscale, cette politique a produit l’effet inverse : renforcer l’informel et priver des milliers de travailleurs de droits sociaux fondamentaux.

Pour une réforme équitable et inclusive

Une réforme s’impose, fondée notamment sur les idées suivantes :

Une véritable évaluation du régime forfaitaire, basée sur des données et non sur des perceptions.

La révision du plafond de chiffre d’affaires, figé depuis plus de dix ans.

La proportionnalité des obligations : simplifier les procédures pour les petits acteurs et cibler les contrôles sur les véritables abus.

La mobilisation des corps intermédiaires, afin de défendre aussi les intérêts des plus fragiles et non uniquement ceux des entreprises structurées.

La Tunisie n’a pas besoin d’une fiscalité qui marginalise les plus faibles au nom d’une lutte mal conçue contre l’informel, mais plutôt d’un système qui inclut, qui protège et qui respecte la capacité contributive de chacun. C’est à ce prix que l’impôt pourra redevenir un levier de justice sociale et un moteur de développement économique au service de l’accomplissement citoyen.

 

N.B. : L’opinion émise dans cette tribune n’engage que son auteur. Elle est l’expression d’un point de vue personnel.

Auteur

La Presse