Entretien avec le président de l’Établissement Fidaa, Ahmed Jaafar – Fidaa : Quand l’État redonne dignité et espoir aux victimes et aux familles des martyrs
Depuis sa création, l’établissement Fidaa, et non la fondation comme insiste à nous le faire savoir son président, accompagne les victimes d’actes terroristes et les ayants droit des martyrs et blessés de la révolution.
À travers des mesures sociales, économiques et éducatives, il vise à restaurer la dignité des bénéficiaires tout en favorisant leur autonomie financière.
Son président, Ahmed Jaafar, détaille à La Presse, dans cet entretien, les initiatives concrètes mises en œuvre pour transformer la vie de ces familles.
La Presse — Fidaa a été créé par le décret- loi n°20 du 9 avril 2022 sur recommandation du Président de la République, puis renforcée par la loi n°1 du 9 janvier 2025. Pouvez-vous rappeler sa mission, ses objectifs prioritaires et les catégories précises de bénéficiaires qu’il vise ?
Après des années de tiraillements politiques, de dispersion des structures concernées et d’attentes grandissantes de la part des bénéficiaires, le dossier a enfin trouvé un nouveau souffle. La nomination, en juin 2023, du chef de cet établissement marque le début d’une approche renouvelée, fondée sur une volonté de structuration et de reconnaissance.
Un travail considérable a depuis été mené pour créer un cadre institutionnel solide garantissant la restitution ce qui est dû aux ayants droit.
Il convient de rappeler à ce propos qu’il s’agit d’un établissement public à caractère administratif, rattaché à la Présidence de la République. Une confusion avait d’ailleurs accompagné sa création, certains croyant à tort qu’il s’agissait d’une association. Or, la vision du Chef de l’État était claire : traiter ce dossier avec neutralité et dans l’esprit du service public.
La volonté politique du Chef de l’État s’est traduite par une détermination ferme à résoudre ce dossier, une démarche qu’il avait d’ailleurs annoncée et proposée dès 2013.
La mission de l’établissement est à la fois noble et essentielle. Elle consiste à assurer la prévoyance, l’assistance et la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme parmi les militaires, les agents des forces de sécurité intérieure et des douanes, ainsi que des ayants droit des martyrs et des blessés de la révolution.
Elle s’étend à plusieurs domaines sanitaires, sociaux, matériels et éducatifs, tout en œuvrant à la préservation et à la valorisation de la mémoire des martyrs à travers des programmes et manifestations commémoratives organisées en coordination avec les institutions concernées.
Quelles sont les différentes catégories de bénéficiaires prises en charge par l’établissement Fidaa ?
«Fidaa» prend en charge deux grandes catégories de bénéficiaires. La première regroupe les victimes d’actes de terrorisme parmi les militaires, les agents des forces de sécurité intérieure et les douaniers. Elle comprend actuellement les ayants droit de 153 martyrs et 680 blessés.
Un important travail de coordination avec les différentes institutions concernées a permis la création d’une base de données complète et actualisée pour cette catégorie.
La seconde concerne les ayants droit des martyrs et blessés de la révolution, dont la liste officielle, publiée au Journal officiel de la République tunisienne, recense 129 martyrs et 634 blessés. Cette liste, toutefois, n’est pas définitive. Elle peut être révisée sur décision du Tribunal administratif.
Un travail de fond a été mené par l’établissement pour constituer une base de données fiable retraçant la situation familiale, sociale et administrative de chaque bénéficiaire. L’objectif affiché du chef de l’établissement et de son équipe fondatrice est clair, à savoir rétablir la confiance dans les institutions publiques en adoptant une approche pragmatique, transparente et équitable dans le traitement des dossiers et l’octroi des droits.
Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement de la ligne de crédit spéciale mise en place par «Fidaa» et son rôle pour favoriser l’insertion économique et l’autonomie financière des bénéficiaires ?
Après une première période d’application du décret-loi, la pratique a rapidement révélé ses limites et mis en évidence la nécessité d’une approche plus innovante, capable de répondre aux attentes des bénéficiaires et de favoriser leur intégration professionnelle.
C’est dans cet esprit qu’a été lancée une ligne de crédit spéciale, née du constat que certains blessés de la révolution, en raison de leur taux d’incapacité, ne percevaient que des pensions mensuelles inférieures au Smig. Ce programme, initié par l’établissement «Fidaa», vise à dépasser la logique de la simple assistance pour offrir aux bénéficiaires les moyens juridiques et financiers leur permettant d’investir, de créer et de gagner en autonomie économique.
A cet effet, un programme d’insertion économique vient d’être lancé au profit des victimes d’attentats terroristes (militaires, agents des forces de sécurité intérieure et douaniers), ainsi qu’aux ayants droit parmi les martyrs et blessés de la révolution. Ce programme s’inscrit dans le cadre de la loi de Finances 2025 et bénéficie d’une enveloppe totale de 2 millions de dinars.
Ce financement permettra l’octroi de prêts à des conditions préférentielles, d’un montant maximal de 200.000 dinars, sur une période de huit ans, dont deux années de grâce, sans exigence d’autofinancement ni intérêts bancaires.
Quels types de projets peuvent bénéficier de ce financement et comment l’établissement assure-t-il un accompagnement régional pour leur mise en œuvre ?
La Banque tunisienne de solidarité (BTS) assurera la gestion de ces fonds selon un mécanisme spécifique, adapté aux besoins des deux catégories de bénéficiaires de l’établissement «Fidaa». Les crédits peuvent atteindre 150.000 dinars, et jusqu’à 200.000 dinars pour les bénéficiaires titulaires d’un diplôme universitaire. Les projets peuvent concerner tous les secteurs économiques, avec un accompagnement technique et administratif assuré par les différentes structures régionales d’appui à l’investissement.
Les bénéficiaires éligibles à ce programme ont été définis par une convention tripartite signée entre les différentes parties prenantes. Il s’agit des ayants droit des martyrs de la révolution et du terrorisme, ainsi que des blessés de la révolution qui ne sont ni agents publics ni salariés du secteur privé, et des blessés d’actes de terrorisme à la retraite. L’éligibilité doit être justifiée par un document officiel délivré par l’établissement «Fidaa».
Le nombre exact de bénéficiaires potentiels reste à préciser, avec la possibilité d’inclure, à titre exceptionnel, un membre de la famille du martyr ou du blessé.
Quels sont les critères pour accéder à cette ligne de crédit et comment les demandes sont-elles évaluées ?
Pour accéder à ce financement, les personnes concernées doivent déposer leur demande auprès du bureau de l’emploi ou du centre d’affaires du gouvernorat où elles souhaitent lancer leur projet. Le dossier est ensuite étudié par un comité régional sous l’égide du directeur régional de l’emploi composé de coordinateur de «Fidaa», d’un représentant de la Banque tunisienne de solidarité (BTS), d’un membre du ministère des Affaires sociales et, le cas échéant, d’autres intervenants jugés utiles.
L’évaluation repose sur des critères précis, tenant compte de la situation sanitaire et sociale du demandeur ainsi que de la viabilité économique du projet. L’ensemble des procédures a été détaillé dans une note organisationnelle afin de garantir transparence et équité dans le traitement des dossiers. Enfin, il convient de rappeler que l’action de l’établissement Fidaa ne se limite pas à cette ligne de financement puisque d’autres programmes d’aide, d’accompagnement et de soutien sont également mis en œuvre au profit des bénéficiaires.
Comment Fidaa gère-t-il l’octroi des pensions et quels sont les montants et catégories concernées par ces aides financières ?
Oui, en effet, il y a les bourses scolaires et universitaires et priorité et gratuité de logement scolaire et universitaire. En vertu des articles 12 et 29 du décret n° 20 de 2022 relatif à l’établissement «Fidaa», des bourses scolaires et universitaires sont accordées chaque mois aux enfants des martyrs et des blessés des actes terroristes qui présentent un handicap physique permanent égal ou supérieur à 15 %, ainsi qu’aux enfants des martyrs et des blessés de la révolution. Le montant de ces bourses a été fixé par une décision du chef de l’établissement «Fidaa» et varie entre 880 d à 3300 d selon le niveau d’études.
Soucieuse de mieux répondre aux besoins des bénéficiaires, l’établissement «Fidaa» a veillé, pour cette année scolaire, à verser les bourses dès la rentrée afin de permettre aux élèves et étudiants de démarrer l’année dans de bonnes conditions. Le budget alloué à ce programme s’élève à un million de dinars, pour environ mille bénéficiaires entre élèves et étudiants.
En plus de ces aides financières, «Fidaa», en coordination avec les ministères et structures concernés, garantit l’accès gratuit aux foyers universitaires tout au long du parcours d’études, ainsi que l’accès au logement scolaire.
Par ailleurs, conformément aux articles 10 (nouveau) et 28 (nouveau) du décret n°20 de l’année 2022 relatif à l’établissement «Fidaa», les ayants droit des martyrs de la révolution et des actes terroristes, ainsi que les blessés présentant un handicap physique permanent égal ou supérieur à 50 %, bénéficient d’une priorité d’accès au programme spécial de logements sociaux, à condition de ne pas être déjà propriétaires.
À ce jour, 203 bénéficiaires ont reçu les clés de leur logement dans les gouvernorats de Tunis, Ben Arous, Sidi Bouzid, Le Kef, Zaghouan et Sousse. Ce résultat n’aurait pas été possible sans la modification du décret-loi intervenue en janvier 2025. Les travaux de nouveaux logements dans les gouvernorats de l’Ariana, La Manouba, Monastir et Kairouan sont en phase finale. J’ajoute que le nombre total des bénéficiaires pourrait s’élever à 550 dans tout le territoire national.
Pour les bénéficiaires résidant dans les autres gouvernorats ou il n’y a pas des projets en cours du programme spécial de logements sociaux, l’établissement poursuit ses efforts afin de trouver les solutions les plus adaptées à chaque situation.
Qu’en est-il de l’octroi des pensions financières mensuelles ?
Après des années d’attente, de promesses et de textes restés sans application concrète, l’établissement a fait de ce dossier une priorité absolue. Dès le début de ses activités, Fidaa a accordé une attention particulière à la dignité des familles des martyrs et des blessés de la révolution, notamment à travers des aides financières directes.
Depuis décembre 2023, une pension mensuelle équivalente à trois fois le SMIG (soit 1 440 dinars) est versée aux ayants droit des martyrs de la révolution. À ce jour, 120 familles sur 129 bénéficient effectivement de cette pension. Pour les blessés de la révolution, le texte dans sa version initiale prévoit l’octroi d’une pension mensuelle aux personnes ne disposant d’aucun emploi. À ce jour, 150 blessés bénéficient de cette aide, dont le montant varie entre 448 et 1 700 dinars par mois, en fonction du taux d’incapacité physique qui a couvert tous les taux d’incapacité après la révision du décret-loi.
Un travail considérable a été accompli par la commission médicale spécialisée de «Fidaa», qui a procédé à l’examen et à l’évaluation des taux d’incapacité des blessés afin de garantir une répartition équitable et conforme à la situation de chacun.
À la suite de la modification du décret-loi en 2025, et conformément à l’article 18 ter du décret n°20 de l’année 2022 relatif à l’établissement «Fidaa», une nouvelle mesure a été instaurée en faveur des parents de 42 familles de martyrs mariés.
Ceux-ci bénéficient désormais, à parts égales, d’une pension mensuelle équivalente au SMIG applicable au régime de 40 heures par semaine dans les secteurs non agricoles. En cas de décès de l’un des parents, la part du défunt revient automatiquement au parent survivant.
Le budget annuel global consacré aux pensions financières s’élève à 3,3 millions de dinars.
Pouvez-vous détailler les mesures de gratuité de transport et de prise en charge du pèlerinage pour les bénéficiaires et leurs familles ?
Les pupilles de la patrie et les ayants droit des martyrs de la révolution ainsi que les blessés des actes de terrorisme et de la révolution bénéficient de la gratuité du transport public terrestre sur l’ensemble du territoire tunisien. Cette mesure découle des conventions signées par l’établissement Fidaa avec les structures concernées.
La gratuité s’applique également à l’accompagnant d’un blessé d’acte de terrorisme mis à la retraite, lorsque la nature de la blessure nécessite une assistance permanente, sur avis de la commission médicale spécialisée de Fidaa. À ce jour, environ 1 000 bénéficiaires ont reçu leurs cartes de transport gratuites, délivrées par l’établissement.
D’autre part et en application des articles 15 ter et 27 ter du Décret n°20 de 2022 relatif à l’établissement Fidaa, celui-ci prend en charge les frais de pèlerinage du conjoint survivant du martyr ainsi que de ses parents. Cette prise en charge s’étend également aux blessés de la révolution et des actes de terrorisme présentant un taux d’incapacité physique égal ou supérieur à 50 %, ou à l’un de leurs parents, une fois les ayants droit des martyrs servis.
Pour la saison du pèlerinage 2025, et pour la première fois depuis sa création, l’établissement «Fidaa» a financé le voyage de 20 bénéficiaires, avec un accompagnement spécifique pour un montant total de 450 000 dinars.
Pouvez-vous nous expliquer comment l’établissement «Fidaa» a mis en place ce système de critères objectifs pour l’octroi des crédits d’investissement et en quoi cette approche contribue-t-elle à favoriser l’autonomie financière et l’initiative des bénéficiaires ?
Pour garantir une gestion transparente et équitable des crédits d’investissement, un système de critères objectifs a été instauré. Ces critères, adaptés aux spécificités de chaque catégorie de bénéficiaires, reposent sur un mécanisme de notation (scoring) permettant une sélection juste et mesurable.
La répartition du score est fixée à 50 % pour la BTS et 50 % pour l’établissement «Fidaa». L’évaluation de la BTS porte sur la rentabilité, la faisabilité et la durabilité du projet (30 %), sur la nature du projet, qu’il s’agisse d’une création ou d’une extension (10 %), et sur l’expérience du porteur dans le domaine concerné (10 %).
Du côté de l’établissement «Fidaa», le score se base sur la qualité du bénéficiaire selon des critères spécifiques à chaque catégorie. Pour les blessés de la révolution, 30 % du score sont attribués en fonction du taux d’incapacité physique, en privilégiant ceux qui présentent les taux les plus faibles et qui perçoivent les pensions les plus modestes. Le reste du score dépend de la situation sociale et familiale. Pour les blessés d’actes terroristes, la même logique s’applique, en favorisant les personnes dont le taux d’incapacité est inférieur à 50 %, ce seuil étant déjà pris en compte dans le programme de logement social.
Pour les familles de martyrs de la révolution, l’évaluation tient compte de la situation familiale, du nombre d’enfants à charge et du niveau d’instruction, avec une bonification pour les diplômés universitaires. Quant aux pupilles de la nation, les critères sont similaires à ceux des ayants droit de martyrs, avec en plus la prise en considération du montant d’indemnisation perçu conformément aux lois de Finances de 2013 ou 2019, en donnant la priorité à ceux qui ont reçu les montants les plus faibles.
En coordination avec la BTS et les différentes structures concernées, plusieurs procédures ont été assouplies, notamment celles relatives aux domaines d’investissement, aux diplômes de qualification professionnelle et à la situation d’endettement antérieure auprès de la BTS.
Cette approche de financement a suscité un fort engagement de la part des bénéficiaires, animés par la volonté de créer leurs propres projets et de gagner en autonomie financière. Elle a également permis de rompre avec la logique d’assistanat, en instaurant une dynamique régionale fondée sur l’initiative, la confiance et l’espoir d’une Tunisie plus équitable et entreprenante.
Comment «Fidaa» garantit-il l’équité dans l’attribution des crédits et quelles sont les perspectives pour élargir le programme en 2026 ?
La commission centrale de la BTS entamera ses travaux dans les prochains jours afin d’examiner les dossiers selon des critères objectifs et transparents. Après la prolongation du délai de dépôt des candidatures jusqu’à la fin du mois de septembre, le nombre total de demandes de certificats d’authenticité délivrés par l’établissement «Fidaa» s’élève à 322, dont 203 émanant de victimes d’actes terroristes et 119 de victimes de la révolution.
Pour garantir l’équité dans l’octroi des crédits, la sélection se fera sur la base d’une répartition proportionnelle, tenant compte du quota de chaque catégorie de bénéficiaires ainsi que de la distribution géographique des projets.
L’ambition de l’établissement est de satisfaire l’ensemble des candidats répondant aux critères de qualité du projet et de légitimité du bénéficiaire. Dans cette optique, des concertations sont en cours avec les différentes parties prenantes afin d’obtenir une prolongation du programme et une augmentation du budget alloué pour l’année 2026.
L’établissement «Fidaa» intervient dans les domaines financier, économique, social et culturel afin de répondre aux besoins variés de ses bénéficiaires. Pour renforcer son efficacité, il mise sur le développement de ses ressources humaines et de ses capacités logistiques.
