La mise en œuvre des caisses enregistreuses et de la facturation électronique, piliers de la réforme fiscale, marque un tournant décisif pour la transparence en Tunisie. Sur les ondes de RTCI, Fayçal Derbel, expert-comptable et fiscaliste, a salué ces avancées tout en lançant un cri d’alarme contre un article du projet de loi de finances 2026 qu’il juge « insensé et dangereux ».
Il a également émis de vives réserves quant à l’extension de la facturation électronique aux professions libérales, estimant cette mesure prématurée.
Fayçal Derbel a indiqué que le processus des caisses enregistreuses est désormais pleinement opérationnel depuis la publication de l’arrêté de la ministre des Finances, le 14 octobre 2025, au Journal officiel. Il a souligné la sophistication de cet outil, qui va bien au-delà d’une simple caisse de supermarché. Le dispositif, strictement réglementé, se compose d’un module de caisse enregistreuse et d’un module de données fiscales, tous deux connectés à la plateforme de l’administration.
Les entreprises concernées, notamment tous les acteurs de la restauration et des débits de boissons, doivent se procurer ces équipements auprès de fournisseurs agréés.
Ces derniers sont tenus à des obligations de maintenance et doivent signaler à l’administration toute manipulation frauduleuse constatée. Ce mécanisme instaure un contrôle interne robuste, avec une traçabilité assurée par des tickets pré-numérotés. Le calendrier de déploiement, qualifié de judicieux, a débuté le 1er novembre pour les personnes morales exploitant des établissements classés touristiques, certains salons de thé et cafés. Il se poursuivra le 1er juillet 2026 pour les autres personnes morales, et le 1er juillet 2027 pour les personnes physiques relevant du régime réel. M. Derbel est catégorique : contester cette obligation équivaut, selon lui, à revendiquer un droit à la fraude. Face à une culture tunisienne peu encline à exiger un reçu, il a lancé un appel à la ministre pour une vaste campagne de sensibilisation et a évoqué l’idée d’une loterie basée sur les tickets pour motiver les citoyens.
S’agissant de la facturation électronique, M. Derbelen a rappelé l’objectif : lutter contre la fraude et l’évasion du chiffre d’affaires. Initialement dépourvue de sanction, la loi de finances 2025 a comblé ce vide juridique en instaurant une amende de 100 à 500 dinars par facture papier, avec un plafond de 50 000 dinars. Il a salué cette évolution, jugeant insensé de prévoir une obligation sans sanction. Cependant, il s’est dit préoccupé par une disposition du projet de loi de finances en cours d’examen, qui étendrait cette obligation aux prestataires de services tels que les avocats, les architectes et les experts-comptables. Il estime cette extension prématurée et inappropriée, arguant que les experts-comptables travaillent déjà avec des entreprises structurées où les marges de fraude sont faibles.
L’expert, également président du Centre Tunisien de Gouvernance, a profité de cette tribune pour lancer un second appel urgent aux députés et à la ministre des Finances, concernant l’article 57 du projet de loi de finances 2026. Cet article vise à supprimer l’obligation de mentionner les références de paiement pour l’achat de biens immeubles ou de matériel de transport, ainsi que l’interdit du paiement en espèces au-delà de 5 000 dinars. M. Derbel, qui avait milité pour cette disposition dans le cadre des accords du GAFI, qualifie cette suppression de recul insensé et dangereux, susceptible d’encourager l’utilisation massive du cash dans une économie où la circulation de billets atteint déjà 26 milliards de dinars – un montant supérieur aux réserves en devises.
Lors du forum sur la gouvernance d’entreprise, trois recommandations principales ont été formulées. Premièrement, la création d’une instance de contrôle des professionnels, sur le modèle du PCAOB américain ou du H3C français, est jugée nécessaire pour pallier l’insuffisance des contrôles actuels. Deuxièmement, une révision du statut du commissaire aux comptes est souhaitée pour atténuer une responsabilité pénale jugée excessive et apporter plus de précision, notamment dans les cas de fraude impossible à détecter dans des agences éloignées. Troisièmement, un meilleur encadrement de la fonction d’administrateur est réclamé, cette profession étant actuellement trop facile d’accès, sans exigence de diplôme, d’expérience ou de limite d’âge.
Fayçal Derbel a rappelé avec force que le paiement des impôts constitue un devoir de citoyenneté fondamental. Il a insisté sur la nécessité pour les Tunisiens d’adopter cette philosophie, soulignant que la Tunisie dépend des impôts et des taxes pour plus de 90 % de ses ressources propres. Un État, a-t-ilrappelé, est fait par ses citoyens.
S.M