Retour sur les JTC – «La toge des insensés» (Côte d’Ivoire) : Dans l’élan vivant du théâtre populaire ivoirien
Elles dénoncent la doxa, ses injonctions et ses injustices, et transforment leur confession en manifeste. Un manifeste où s’affirme clairement le refus de se plier aux diktats des sociétés patriarcales et où se dresse la revendication d’une liberté intime, sociale et sexuelle trop longtemps différée.
La Presse — Rym (Annick C. Keipo), Olivera (Evelyne Ily) et Tina (Eve Guehi) sont trois amies que la vie a dispersées après le lycée. Vingt-deux ans plus tard, elles se retrouvent dans une alcôve, décidées à faire le point sur leurs parcours sociaux, sentimentaux et intimes. Mais la peur de se livrer engendre des faux-semblants, qui finissent par céder sous le poids d’aveux déstabilisants : aucune d’elles n’est véritablement épanouie dans son mariage, ni dans sa vie sexuelle.
Dans un échange résolument féminin, parfois ouvertement féministe, elles tentent de revendiquer leur droit à la liberté sexuelle, tout en rejetant, non sans lucidité, la responsabilité de leurs frustrations sur la société et sur le système patriarcal qui façonne leurs existences.
Avec une mise en scène rythmée et vive, Vagba Obou Desales, invité par la 26ème édition des Journées théâtrales de Carthage (du 22 au 29 novembre 2025), a entraîné le public dans les retrouvailles explosives des trois femmes au cœur de «La Toge des insensés», œuvre retenue en compétition officielle.
Porté par trois comédiennes ivoiriennes engagées: Eve Guehi, également autrice du texte, Evelyne Ily et Annick Christelle, ce travail redonne à voir un théâtre populaire ivoirien vibrant, presque nostalgique, renouant avec l’énergie de la Belle Epoque des années 1980. Il s’agit d’ailleurs de la première œuvre écrite par Eve Guehi, qui revendique haut et fort la volonté de réconcilier le public avec la scène.
Le propos oscille avec précision entre gravité et légèreté, humour et densité, pour aborder l’émancipation sexuelle féminine tout en renvoyant au spectateur le reflet parfois brutal de nos comportements.
Rym, épouse d’un guide religieux ; Olivera, cadre BCBG ; et Tina, maîtresse d’un ministre : trois femmes que tout semble opposer, mais qui, réunies, se délestent peu à peu des convenances et laissent affleurer des vérités crues et des désirs trop longtemps refoulés.
Ainsi se construit cette satire sans concession, qui épingle nos hypocrisies sociales. A la fois légère, incisive et plutôt drôle, la pièce assume un ton direct pour évoquer les pulsions cachées, les frustrations intimes et les contradictions de ces femmes.
D’autres thèmes profondément ancrés dans nos sociétés africaines comme le poids du regard social, la pression du mariage, les commérages et la peur du jugement, viennent nourrir le « réquisitoire » des trois protagonistes.
Car, au milieu de la pièce, les confidentes lubriques endossent les rôles du juge ou du magistrat. Le ton bascule et la comédie débridée se mue en plaidoyer grave et lucide. Elles dénoncent la doxa, ses injonctions et ses injustices, et transforment leur confession en manifeste. Un manifeste où s’affirme clairement le refus de se plier aux diktats des sociétés patriarcales et où se dresse la revendication d’une liberté intime, sociale et sexuelle trop longtemps différée.
Un propos qui a trouvé un véritable écho auprès du public présent au Ciné-Théâtre Le Rio, lequel a longuement applaudi la pièce.
