gradient blue
gradient blue
A la une Société

Traitement médiatique du suicide : A but instructif et préventif

  • 8 novembre 19:20
  • 5 min de lecture
Traitement médiatique du suicide : A but instructif et préventif

Le traitement médiatique du suicide a fait l’objet, jeudi dernier, d’une journée de sensibilisation, organisée conjointement par le ministère de la Santé et le bureau de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Tunisie, et destinée aux journalistes et représentants des médias. L’objectif étant de renforcer le rôle des médias en tant que facteur de lutte contre le suicide et vecteur d’une information utile car édifiante. Les recommandations unanimes des spécialistes de la santé psychologique et mentale, d’une part, et des journalistes, d’autre part, seraient les grandes lignes d’un guide sur le meilleur traitement médiatique du suicide en Tunisie. 

La Presse — Ce projet permettra, en effet, de consolider les acquis nationaux en matière de lutte contre le suicide. Ce dernier intrigue toujours les politiques internationales de la santé avec 700 mille suicidés par an, soit 9 pour 100 mille habitants à travers le monde. «Le suicide est la quatrième cause de décès chez les jeunes de 15 à 29 ans.

En Tunisie, et dans la région Mena, le taux est nettement moindre car ne dépassant pas les 4 pour 100 mille habitants. Néanmoins, dans les autres pays, notamment au Canada, des efforts ont été déployés pour réduire le taux de suicide et enregistrer une régression de près de 50% ; ce qui n’est pas encore le cas dans notre région», indique Dr Fatma Charfi, pédopsychiatre. Pourtant, des réalisations notables ont été établies pour lutter efficacement contre le phénomène et en améliorer les statistiques.

« Parce qu’il faut rappeler que le suicide est un décès évitable. Et afin de l’éviter, des actions de prévention sont à mener et des précaution sont à prendre dont la vulgarisation de l’information, la sensibilisation et l’appui décentralisé aux personnes en détresse psychologique », ajoute Dr Charfi.  

Si le rôle des spécialistes consiste à venir en aide aux personnes vulnérables au suicide via les cellules d’écoute, l’orientation vers les solutions salutaires que mettent à leur disposition les structures adaptées, celui des médias est tout aussi de taille. Mieux encore : le traitement médiatique est susceptible de faire pencher la balance vers une bonne limitation de l’accès au pilier suicidaire. Tout se joue, en fait, entre l’éthique journalistique, celle médicale et la conscience ! 

Opter pour l’effet Werther ou l’effet Papageno ?

C’est que, pour médiatiser une information portant sur un sujet aussi délicat, il faudrait avant toute chose anticiper sur les éventuelles retombées dudit traitement : serait-il utile d’opter pour un ton dramatique et sensationnel ? Etaler les détails du fait et divulguer toutes les données que l’on a sous la main servirait-il la cause pour laquelle il convient de lutter ? En un mot : le buzz et le souci de vendre l’information et d’en tirer profit valent-ils la peine de risquer d’inciter, indirectement, au suicide ?

Il faut admettre que le risque existe et il est même confirmé. « En décembre 2014, une enfant âgée de douze an s’était suicidée à El Alaâ, à Kairouan. Le traitement médiatique s’appuyait sur le dramatique et le sensationnel, les détails, la focalisation sur deux causes bien déterminées, sans oublier la description de la méthode ; autant de maladresses qui avaient fini par déclencher le pire…

Une étude menée par la suite sur le suicide à Kairouan avait révélé un boom alarmant : le taux de suicide à Kairouan avait quintuplé de 2012 à 2016. Il s’agit, explique Dr Charfi, de l’effet Werther ou l’effet du suicide par imitation. En revanche, un traitement médiatique responsable, axé sur l’information et l’orientation du public vers des issues salutaires serait en mesure d’opérer l’effet Papageno et de renforcer les efforts nationaux de lutte contre le phénomène ». 

L’OMS recommande…

Compte tenu de l’important rôle des médias dans la trajectoire de la courbe du suicide, l’OMS avance une série de recommandations adressées aux journalistes et aux responsables des médias. Ces recommandations s’inscrivent dans le cadre d’un guide qui a été élaboré en 2023. « Les professionnels des médias doivent se rendre à l’évidence de l’impact du traitement médiatique du suicide sur le comportement du public et de la population vulnérable au suicide en particulier.

Pour ce, un journaliste doit savoir qu’il n’est pas logique de justifier l’acte suicidaire par une cause bien déterminée. Une personne vulnérable au suicide endure, généralement, un cumul de causes multiples », indique Mme Olfa Saïdi, représentante de l’OMS, bureau de Tunisie. Elle insiste sur l’impératif, pour les professionnels des médias, de recourir aux professionnels de la santé mentale et ce, afin d’être mieux avisés sur l’angle à partir duquel il convient de traiter le problème.

Eviter les détails, ne pas focaliser l’intérêt sur le suicide des célébrités, ne pas glorifier l’acte en usant d’un discours dramatique et sensationnel, constituent des principes à respecter dans l’optique de ne pas succomber au piège de l’effet Werther.

« Et afin que le traitement médiatique ait un impact positif, il doit nécessairement miser sur la sensibilisation, sur des informations avancées par des spécialistes, notamment sur les signes avant-coureurs et les structures d’appui, les moyens de prévention mais aussi en mettant en exergue les parcours positifs des personnes qui ont survécu aux tentatives de suicide et qui ont réussi leur vie », ajoute-t-elle. 

Auteur

Dorra BEN SALEM