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Tunisie – France : Quand l’impact des projets se mesure à leurs bénéficiaires

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  • 19 décembre 17:30
  • 6 min de lecture
Tunisie – France : Quand l’impact des projets se mesure à leurs bénéficiaires

Les projets d’appui à l’entrepreneuriat se succèdent, portés par des partenaires internationaux et des institutions publiques et internationales.

Utiles, structurants, souvent innovants, ils peinent néanmoins à toucher massivement les jeunes, alors même que la pression sociale et la migration clandestine ne faiblissent pas.

Au-delà des intentions, c’est désormais l’impact réel et mesurable qui interpelle.

La Presse — Le projet « Watani », destiné à stimuler l’entrepreneuriat, renforcer l’innovation et promouvoir l’inclusion économique en Tunisie en s’appuyant sur les compétences et les dynamiques de la diaspora tunisienne, a été officiellement lancé lundi 15 décembre à Tunis.

Le lancement du projet s’est concrétisé par la signature d’une convention entre la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l’Agence française de développement (AFD) et l’agence de coopération technique française Expertise France, à l’occasion de la célébration des dix ans de cette dernière en Tunisie.

Doté d’une enveloppe de 5 millions d’euros, le projet « Watani » est financé par l’AFD et mis en œuvre par Expertise France, avec l’appui structurant de la CDC, acteur central du développement économique et inclusif en Tunisie.

Diaspora, innovation et ancrage territorial au cœur du dispositif

« Ce projet incarne notre volonté commune de faire de l’entrepreneuriat un levier de développement inclusif et durable, en mobilisant notamment les compétences et les ressources de la diaspora tunisienne », a déclaré le directeur général d’Expertise France, Jérémie Pellet.

Selon lui, le partenariat permettra à 500 entrepreneurs, majoritairement des jeunes et des femmes, de bénéficier d’un accompagnement personnalisé pour la création ou le développement de leurs entreprises.

Le projet prévoit également la régionalisation de « The Dot », centre dédié aux start-up et à la promotion du numérique, ainsi que la création d’une plateforme innovante de mobilisation de l’épargne de la diaspora au service de l’investissement productif.

Un comité de pilotage, présidé par la CDC et regroupant des acteurs nationaux clés, assurera la cohérence du projet avec les priorités économiques du pays.

De son côté, la directrice générale de la CDC, Nejia Gharbi, a souligné que le projet « Watani » s’inscrit pleinement dans la stratégie de mobilisation de l’apport de la diaspora tunisienne, aussi bien à travers des instruments d’épargne dédiés à l’investissement que par l’accompagnement des Tunisiens de retour ou la collaboration avec l’écosystème entrepreneurial local.

Selon les signataires, « Watani » ambitionne de structurer un environnement propice à la création d’opportunités durables et à l’ancrage territorial de l’innovation, en renforçant les structures d’appui, en facilitant l’accès aux ressources et en reconnectant les talents.

Des initiatives utiles, mais un impact encore limité

Le projet s’inscrit dans un contexte où la Tunisie a su bâtir, au cours de la dernière décennie, un tissu entrepreneurial dynamique, porté par la mobilisation conjointe d’acteurs publics, privés et de la société civile.

Plusieurs partenaires européens – notamment l’Italie, l’Allemagne ou encore l’Union européenne – conduisent d’ailleurs des initiatives similaires dans le pays.

Cependant, malgré leur pertinence et leur qualité, ces projets restent quantitativement limités au regard des défis socioéconomiques que traverse la Tunisie.

Le nombre de bénéficiaires demeure restreint, les critères de sélection sont souvent exigeants, et l’impact réel sur les territoires les plus fragilisés reste marginal.

Dans le même temps, le phénomène de la migration clandestine se poursuit à un rythme alarmant, touchant particulièrement les jeunes, prêts à risquer leur vie en quête de nouvelles perspectives.

Quand l’échelle fait la différence

À l’international, plusieurs pays en voie de développement ont démontré que des programmes d’entrepreneuriat et d’inclusion économique pouvaient produire un impact réel et mesurable lorsqu’ils sont pensés à grande échelle.

Au Maroc, le programme national « Intelaka », lancé en 2020, a permis de financer des dizaines de milliers de très petites entreprises et d’autoentrepreneurs, en s’appuyant sur un mécanisme de garantie publique, des crédits à taux préférentiels et un déploiement territorial étendu, notamment dans le monde rural.

Au Rwanda, le Business Development Fund (BDF) a joué un rôle structurant dans l’accès au financement pour les PME et les jeunes entrepreneurs, touchant plusieurs centaines de milliers de bénéficiaires grâce à une approche combinant garanties, subventions et accompagnement, intégrée aux politiques nationales de développement et d’emploi.

Ces expériences montrent qu’au-delà de l’innovation et de la qualité des dispositifs, l’échelle, la simplicité d’accès et l’ancrage territorial constituent des leviers déterminants pour transformer l’entrepreneuriat en véritable outil de stabilisation sociale et de rétention des talents locaux.

Au-delà des projets pilotes, repenser la portée de l’action

Force est de constater que, aussi vertueuses soient-elles, ces initiatives ressemblent encore trop souvent à une goutte d’eau dans l’océan du malaise social et économique.

Elles profitent principalement à une minorité, déjà bien connectée à l’écosystème entrepreneurial, et laissent de côté une vaste majorité de jeunes locaux, en particulier dans les régions intérieures, où l’accès aux opportunités reste très limité et les perspectives de développement personnel ou professionnel sont rares.

Dès lors, l’enjeu dépasse largement la simple multiplication de projets pilotes.

Il s’agit désormais de concevoir des programmes massifs, véritablement inclusifs et profondément territorialisés, capables de toucher un large public, de créer des emplois concrets et durables, et de donner aux jeunes l’envie et les moyens de construire leur avenir chez eux.

Aussi innovants et structurants soient-ils, donc, ces projets de coopération internationale, s’ils ne sont pas amplifiés et reliés aux initiatives locales, resteront incapables de répondre à l’urgence sociale et ne pourront offrir une véritable alternative à l’exil massif des jeunes.

 

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Auteur

Hella Lahbib