Longtemps considéré comme un espace de contraintes, le désert tunisien recèle pourtant des atouts stratégiques majeurs. Énergie solaire, agriculture de précision, écotourisme et valorisation territoriale pourraient en faire, à l’image de certaines expériences internationales, un véritable levier de croissance durable, à condition d’une vision publique planifiée et cohérente.
La Presse — L’année 2025 s’en va, 2026 est à deux pas. Nous Tunisiens avons à lever les yeux vers l’horizon, si nous voulons être à la hauteur des jugements de l’histoire.
Que voit-on ? Un immense potentiel endormi : le désert. Le sud tunisien, souvent perçu comme un fardeau, une zone d’exode et de contraintes hydriques, pourrait, si l’on s’inspirait des grandes réussites mondiales, devenir le moteur d’une nouvelle prospérité.
Un pays pauvre en ressources conventionnelles doit faire preuve d’imagination stratégique. Il doit aussi s’inspirer des expériences d’autrui.
La Chine, qui a réussi à verdir des pans entiers de ses terres arides, notamment à travers le projet titanesque de la ceinture de protection verte des «Trois Nords», nous offre un miroir d’action plus pertinent que les modèles occidentaux classiques.
Le temps d’un récent séjour en Chine, on a compris une chose essentielle : au lieu d’être une fatalité écologique, le désert peut devenir une frontière économique à repousser.
Le géant asiatique a mobilisé des ressources gigantesques et une planification rigoureuse pour ses projets de lutte contre la désertification.
Transformer la contrainte en capital
L’expérience chinoise repose sur trois piliers que la Tunisie doit s’approprier.
Figure en premier lieu la planification centralisée et de longue durée.
Ici, les projets ne sont pas des coups d’éclat éphémères, mais des plans décennaux impliquant tous les niveaux de l’État.
Il y a, en second lieu, la technologie et les innovations adaptées, où l’on utilise de manière intensive de la micro-irrigation, et des variétés végétales résistantes à la sécheresse.
S’ensuit, enfin, l’articulation entre écologie et richesse où la reforestation est liée à l’exploitation économique (fruits secs, pharmacopée, énergies).
Il est temps d’institutionnaliser un programme national stratégique, ambitieux pour ainsi faire du Sud un pôle de développement.
D’autant que le Sud tunisien bénéficie d’un ensoleillement optimal.
C’est le plus grand atout compétitif du pays. La solution consiste à déployer d’immenses fermes solaires à concentration (CSP) et photovoltaïques (PV) dans les gouvernorats du Sud (Tozeur, Kébili, Tataouine).
L’objectif n’est plus seulement d’assurer l’autonomie, mais de faire de la Tunisie un exportateur majeur d’électricité verte vers l’Europe via l’Italie et Malte.
La production d’électricité verte, stable et massive, peut aussi alimenter des usines de dessalement d’eau de mer pour l’usage agricole, fermant ainsi la boucle du développement.
L’Agro-désertique de haute technologie
Le mythe d’une agriculture gourmande en eau doit être brisé. L’agriculture du désert est celle de la précision.
Il suffit pour cela de promouvoir l’investissement dans les serres géo-climatiques et les cultures sous abris hydriques contrôlés.
On doit se concentrer sur des produits à haute valeur ajoutée et faible consommation d’eau : dattes de qualité supérieure avec traçabilité, plantes aromatiques et médicinales (PAM), et élevage de niche.
L’opportunité économique consiste à créer des zones franches agro-technologiques dans le Sud, attirant les capitaux et le savoir-faire international spécialisé dans l’agriculture en milieu aride.
Le désert tunisien est une richesse culturelle et paysagère unique, bien au-delà de Djerba.
Dans cette optique, il faut mettre en place un plan de développement de l’écotourisme du silence.
Cette forme de tourisme durable est fondée sur la rareté du calme, de l’immensité et de l’absence de nuisance, qui sont devenus des valeurs recherchées à l’échelle mondiale.
Cela passe par la réhabilitation des Ksours, la protection des oasis contre l’urbanisation anarchique, et la création de circuits de tourisme scientifique et d’aventure respectueux de l’environnement.
Il faut pour cela impliquer les populations locales comme gestionnaires des réserves naturelles et guides, assurant ainsi la création de richesses in situ.
Un modèle à suivre
En Chine, la province de Qinghai, autrefois dominée par des paysages arides et des terres désertiques, incarne aujourd’hui l’une des réussites les plus marquantes de la Chine dans la gestion des environnements hostiles.
Grâce à une série d’initiatives stratégiques, la région a su transformer ses vastes déserts en véritable moteur économique, tout en améliorant les conditions de vie de ses habitants.
La transformation du désert de Qinghai repose sur plusieurs piliers.
D’abord, une planification à long terme avec des programmes coordonnés de lutte contre la désertification.
Ensuite, l’innovation technologique, avec irrigation de précision et semences résistantes à la sécheresse, a permis de rendre l’agriculture viable.
La combinaison écologie-économie a associé reforestation et cultures à forte valeur ajoutée, tandis que l’exploitation du potentiel solaire a créé de l’énergie verte et soutenu le dessalement de l’eau.
Enfin, la diversification économique via l’industrie locale et le tourisme écologique, soutenue par une volonté politique forte et un financement stable, a permis de transformer un territoire autrefois hostile en un moteur de développement durable.
La Tunisie ne peut plus se contenter d’administrer la pénurie.
Elle doit, comme la Chine l’a fait avec ses terres hostiles, transformer un handicap géographique en capital stratégique.
Le désert tunisien est une page blanche sur laquelle tout reste à écrire.
Cela exige de la part de l’État une vision planifiée, une gouvernance technique irréprochable, et le courage d’investir massivement là où la nature semble hostile.
C’est là que réside la véritable capacité à maîtriser son territoire et à transformer ses contraintes en opportunités. Le temps de l’hésitation semble arrivé à ses limites, celui de l’action structurée devient une nécessité.