Sidi Bouzid, la ville qui respire la fumée
À quelques mètres seulement des établissements universitaires de Sidi Bouzid, la scène frappe par son absurdité : un vaste terrain jonché d’ordures s’étend à perte de vue.
Les sacs en plastique volent au gré du vent, se coincent dans les branches des oliviers, tandis qu’une fumée épaisse s’élève lentement dans le ciel bleu, charriant une odeur suffocante.
C’est ici, aux portes de la ville, que se dresse la décharge anarchique devenue, au fil des années, un véritable fléau pour les habitants.
Sur le chemin menant à la faculté, les étudiants pressent le pas, le nez couvert d’un foulard ou d’un masque de fortune.
« Certains jours, on ne peut même pas assister aux cours », confie Yasmine, étudiante en lettres.
« La fumée entre dans les salles, plusieurs camarades ont fait des malaises à cause de l’odeur et du manque d’air. »
Un peu plus loin, dans le quartier voisin, les habitants racontent le même calvaire.
Le soir, lorsque les déchets sont brûlés, la ville semble enveloppée d’un brouillard toxique.
« Mes enfants toussent sans arrêt, et on n’ose plus ouvrir les fenêtres », déplore Souad, mère de trois enfants.
Le responsable de la municipalité de Sidi Bouzid, Mohamed Salah Khsikhoussi, reconnaît l’ampleur du problème.
« Le site, utilisé depuis les années 1980, s’est étendu de 5 à près de 50 hectares », explique-t-il, la mine grave.
« Aujourd’hui, il touche non seulement notre commune, mais aussi celle de Souk Jedid. Sa proximité avec une école primaire et le campus universitaire en fait une véritable bombe sanitaire. »
Les solutions tardent à venir
Au service régional de l’environnement, le constat est tout aussi alarmant.
Jelouli Brahmi, son représentant, parle d’une « catastrophe écologique à ciel ouvert ».
« Ce dépotoir n’est que la partie visible du problème », souligne-t-il.
« La région compte dix-sept décharges sauvages et aucune décharge contrôlée. Tant que nous n’aurons pas un centre de traitement et de recyclage, nous ne ferons que déplacer la pollution d’un point à un autre. »
Mais les solutions tardent à venir. Depuis plus d’une décennie, chaque tentative d’implanter un centre de traitement se heurte à l’opposition des habitants.
Personne ne veut d’un tel site à proximité de chez lui. Résultat : les déchets continuent de s’entasser, de brûler, d’étouffer peu à peu la ville et ses habitants.
À la tombée du jour, le vent tourne et pousse la fumée vers le centre-ville.
Sur les trottoirs, des passants lèvent les yeux vers le ciel obscurci. Un enfant tousse. Une odeur âcre s’infiltre dans les ruelles.
À Sidi Bouzid, la vie continue malgré tout, au rythme des camions-bennes et du feu qui ne s’éteint jamais vraiment.