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Huile d’olive, dattes et crabe bleu : comment l’agroalimentaire tunisien réinvente sa production ?

  • 21 décembre 20:41
  • 5 min de lecture
Huile d’olive, dattes et crabe bleu : comment l’agroalimentaire tunisien réinvente sa production ?

Le secteur agroalimentaire , pilier économique du pays porté par l’exportation d’huile d’olive et de dattes, doit désormais relever un défi majeur : concilier production durable et rentabilité dans un contexte de stress hydrique croissant et de coûts de production élevés. Ines Essid, Maître de conférences en technologie alimentaire à l’INAT, dresse un état des lieux réaliste des obstacles et des pistes de transition vers le zéro déchet.

Invitée dimanche 21 décembre 2025 sur les ondes de RTCI, Ines Essid, qui dirige également le département des industries agroalimentaires de l’Institut National Agronomique de Tunisie, a rappelé l’importance stratégique du secteur pour l’économie nationale. L’huile d’olive demeure le premier produit d’exportation, générant chaque année des devises considérables, suivie par les dattes et certains produits transformés de la pêche.

Le secteur fait face à plusieurs obstacles structurels. Le stress hydrique représente la première menace, impactant directement la production agricole et, par ricochet, la disponibilité des matières premières pour la transformation. « L’agroalimentaire, c’est de la fourche à la fourchette. S’il y a un problème dans le secteur agricole, le secteur agroalimentaire sera touché directement », souligne l’experte.

Les pertes et gaspillages constituent un autre défi majeur. Paradoxalement, une production exceptionnelle peut générer des difficultés. Cette année, l’abondance de la récolte d’olives a posé des problèmes de transformation et de stockage. Dans le secteur laitier, la situation s’avère particulièrement préoccupante : les éleveurs, confrontés au coût prohibitif de l’alimentation pour bétail importée et à la hausse de l’euro face au dinar, désertent progressivement la filière, devenue peu rentable.

Vers une production plus responsable
La transition vers la durabilité implique une transformation profonde des modes de production. Il ne s’agit plus simplement de transformer et produire, mais d’assurer une production respectueuse de l’environnement, adaptée au changement climatique et moins énergivore. Ines Essid illustre ce changement de paradigme par un exemple parlant : « Nous sommes devenus de grands consommateurs de double concentré de tomates, alors que nos ancêtres consommaient des tomates séchées naturellement au soleil. Le séchage naturel ne coûte rien et préserve mieux la valeur nutritionnelle. »
La valorisation des produits du terroir s’inscrit dans cette dynamique. Le concours organisé tous les deux ans par l’APIA et le ministère de l’Agriculture témoigne d’un engouement croissant : de 200 produits présentés en 2017, le nombre est passé à 500 en 2025. Cette évolution reflète l’intérêt grandissant des agriculteurs et des femmes rurales pour ces productions traditionnelles, encouragé par une prise de conscience accrue des consommateurs tunisiens quant aux effets néfastes des produits ultra-transformés.

Le zéro déchet : un objectif atteignable mais non généralisé
Certaines industries tunisiennes prouvent qu’une approche zéro déchet est réalisable. Des entreprises parviennent à valoriser la quasi-totalité de leurs coproduits : plumes et sang dans le secteur avicole, carapaces de crustacés pour l’extraction de chitine et chitosane utilisées dans les cosmétiques et les biofilms, pulpes de tomates intégrées à l’alimentation animale. L’invasion du crabe bleu, initialement perçue comme une menace, s’est transformée en opportunité économique grâce à la valorisation complète du produit et de ses dérivés.

Les sous-produits de distillerie du nord-ouest, issus de la production d’eau de géranium et autres essences, font désormais l’objet d’études prometteuses démontrant leur potentiel pour améliorer la productivité animale. Cependant, ces exemples restent l’apanage des grandes industries certifiées ISO 22000 et ISO 14000, qui disposent des moyens nécessaires pour investir dans le traitement des déchets.

La question des emballages cristallise les contradictions du secteur. Plus d’un tiers des emballages plastiques polluant les océans proviennent de l’industrie alimentaire. « Notre planète suffoque, il faut arrêter le massacre », alerte Ines Essid, qui reconnaît avoir elle-même enseigné les avantages du plastique au début de sa carrière, avant la prise de conscience environnementale.

Les emballages biodégradables et intelligents représentent l’avenir, mais leur adoption se heurte à des réalités économiques. Le coût d’une barquette biodégradable peut être supérieur de 40 à 60% à celui d’un emballage plastique classique. Les emballages intelligents, dotés d’indicateurs de pH par exemple, permettraient pourtant de réduire significativement le gaspillage en informant le consommateur de l’état réel du produit.

Pour Ines Essid, la solution réside dans l’intervention de l’État. « Il faut imposer des lois, il faut changer les lois », insiste-t-elle. Les industriels sont conscients des enjeux environnementaux, tout comme les consommateurs qui recherchent de plus en plus une alimentation saine. Mais tant que l’État autorisera les emballages plastiques et n’imposera pas de normes contraignantes, la transition demeurera limitée.

Auteur

S. M.