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Affaire des prêts sans garantie : Un signal judiciaire fort contre la prédation des fonds publics

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  • 22 décembre 17:15
  • 5 min de lecture
Affaire des prêts sans garantie : Un signal judiciaire fort contre la prédation des fonds publics

La justice a tranché l’affaire des prêts bancaires sans garantie, révélant des pratiques qui ont fragilisé les banques publiques et les finances de l’État.

Ce dossier illustre la volonté de rompre avec l’impunité et d’imposer la reddition des comptes depuis le 25 juillet.

La Presse — Le verdict rendu par la chambre criminelle spécialisée dans les affaires de corruption financière du tribunal de première instance de Tunis le 18 décembre dernier s’inscrit clairement dans la dynamique de reddition des comptes enclenchée en Tunisie depuis le 25 juillet. En prononçant de lourdes peines de prison et des sanctions financières dans l’affaire des prêts bancaires accordés sans garantie, la justice envoie un énième signal de fermeté à l’égard des pratiques ayant fragilisé nos institutions publiques stratégiques durant la décennie noire.

Des réseaux d’influence et une gouvernance défaillante

Cette affaire met en lumière les dérives structurelles du secteur bancaire public qui a été miné par des décisions de crédit opaques, souvent dictées par des réseaux d’influence. L’octroi de prêts dépassant 15 millions de dinars à un homme d’affaires sans garanties réelles révèle un système où la confusion entre pouvoir, argent et responsabilités publiques a conduit à une dilapidation massive des fonds de l’État.

La condamnation récente de l’ancien PDG d’une banque publique marque une rupture avec l’impunité qui a longtemps dominé. Les rapports de contrôle et ceux de la Cour des comptes font état de pertes importantes, d’un faible recouvrement des créances et d’une dégradation progressive des indicateurs financiers. Ces constats révèlent une mauvaise gouvernance désormais placée sous le contrôle de la justice.

Au-delà des responsabilités personnelles, l’affaire révèle des circuits de décision impliquant plusieurs cadres bancaires, certains condamnés et d’autres non poursuivis, mais qui témoignent d’un dysfonctionnement grave. Les mesures préventives prises dès le début (interdictions de voyage, gel des avoirs et refus des mises en liberté) traduisent une justice qui exerce pleinement son rôle, en appliquant la loi avec rigueur et sans complaisance dans le traitement des affaires de corruption financière.

Le volet lié au blanchiment d’argent confère à cette affaire une dimension supplémentaire. Les investigations ont établi que les fonds obtenus ont été réorientés vers des circuits suspects, ce qui renforce l’idée que la corruption financière ne se limite pas à une mauvaise gestion, mais s’inscrit dans des mécanismes organisés de prédation des ressources publiques.

Dans ce contexte, la participation de la banque publique en tant que partie civile marque un tournant important. L’institution revendique désormais son droit à être indemnisée et à récupérer les fonds détournés. Les amendes, qui dépassent 13 millions de dinars, constituent une première avancée, même si la restitution complète des sommes en jeu reste un enjeu majeur.

Plus largement, ce jugement s’inscrit dans une série de dossiers judiciaires emblématiques traités depuis le 25 juillet, traduisant une volonté affichée de réhabiliter l’autorité de l’État, de rétablir la confiance dans les institutions et d’assainir la vie économique. Si ces décisions sont saluées par une partie de l’opinion publique, elles soulèvent toutefois la question de la pérennité de la lutte contre la corruption et de sa capacité à se traduire en réformes structurelles durables, notamment en matière de gouvernance bancaire, de contrôle et de transparence, malgré les avancées déjà enregistrées.

Les fonds publics ne sont plus hors de contrôle

À cet égard, les indicateurs internationaux offrent un signal encourageant. La Tunisie figure parmi les pays africains les moins exposés aux risques de blanchiment d’argent, selon le Basel Anti-Money Laundering Index 2025 publié par le Basel Institute on Governance. Avec un score de 4,75 sur 10, le pays se classe quatrième en Afrique sur 48 États évalués, et occupe le 119e rang mondial sur 177 pays et territoires.

Ce positionnement place la Tunisie parmi les pays les plus sûrs du continent en matière de prévention des crimes financiers et reflète une certaine résilience de son système financier face aux risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, dans un contexte régional marqué par de fortes vulnérabilités.

Au-delà de ce dossier, cette affaire met en lumière les enjeux majeurs de la phase actuelle. Il est question d’inscrire dans la durabilité la lutte contre la corruption et en faire un véritable levier de réforme. Si la justice affirme son autorité par des décisions fermes et conformes à la loi, la consolidation de ces avancées passe inéluctablement par des réformes structurelles profondes, notamment en matière de gouvernance bancaire, de contrôle interne et de transparence.

Les indicateurs internationaux, dont le classement favorable de la Tunisie en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, confirment que des progrès ont été réalisés. Toutefois, leur pérennité dépend de la capacité de l’État à ancrer durablement la reddition des comptes, à protéger les ressources publiques et à renforcer les mécanismes de prévention au sein des institutions.

Cette affaire rappelle en effet que la lutte anticorruption ne relève pas uniquement de l’action judiciaire, mais engage également la responsabilité des structures de gouvernance, longtemps critiquées pour leurs failles. Comités de crédit, organes d’audit interne et conseils d’administration sont désormais appelés à jouer pleinement leur rôle afin d’éviter la répétition de telles dérives.

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Auteur

Samir DRIDI