Association tunisienne pour la gouvernance fiscale : « Améliorer la transparence de la loi de finances en Tunisie… »
La loi de finances tunisienne reste marquée par une faible transparence et une participation citoyenne limitée, ce qui compromet le contrôle parlementaire et la confiance publique. Un « policy brief » de l’Association tunisienne pour la gouvernance fiscale (Atgf), réalisé dans le cadre du programme « Savoirs Eco Tunisie », analyse les lacunes du processus budgétaire et propose des pistes pour renforcer l’ouverture, la redevabilité et l’efficacité des politiques publiques.
La Presse — La loi de finances occupe un rôle stratégique dans la gouvernance économique tunisienne, définissant l’usage des ressources publiques et les orientations fiscales du pays.
Pourtant, la Tunisie a connu en 2023 un recul significatif en matière de transparence, se classant 104e sur 125 pays selon l’« Open Budget Index ».
Ce constat traduit la difficulté pour le public d’accéder aux informations financières et la fermeture du processus décisionnel, suscitant une demande croissante de la société civile, des entreprises et des citoyens pour un débat budgétaire plus inclusif et compréhensible.
C’est dans ce contexte que l’Association tunisienne pour la gouvernance fiscale (Atgf) a produit un « policy brief » intitulé « Améliorer la transparence de la loi de finances en Tunisie : défis, bonnes pratiques et recommandations pour une gestion budgétaire responsable et participative ».
Un document élaboré par Sofiene Ben Abid, expert-comptable et président de l’Atgf, Skander Sellami, conseiller fiscal et chef de projet, et Dorsaf Ouali, avocate et membre de l’association, dans le cadre du programme de mentorat conduit par la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi), au sein du projet « Savoirs Eco Tunisie », financé par l’Union européenne et mis en œuvre par « Expertise France ».
L’objectif principal est de renforcer la gouvernance fiscale en Tunisie en favorisant la transparence, la redevabilité et la participation citoyenne.
Un contrôle parlementaire limité et contraint
Le travail souligne que la phase préparatoire de la loi de finances reste fortement centralisée au ministère des Finances, avec une circulaire annuelle du chef du gouvernement imposant les orientations budgétaires à tous les ministères. Le Conseil national de la fiscalité, pourtant conçu comme un espace de concertation, reste marginalisé et dominé par des représentants administratifs, excluant les associations, les jeunes entrepreneurs et les ménages modestes. L
es réunions se limitent souvent à des présentations orales du projet de loi, sans documents ni analyses techniques, empêchant un véritable débat.
Cette fermeture s’écarte des pratiques internationales, qui recommandent une concertation publique dès la phase préparatoire pour renforcer la légitimité des décisions fiscales.
Ce « policy brief » met aussi en lumière les difficultés rencontrées par le Parlement pour exercer un contrôle efficace. La légitimité des ressources publiques repose sur la mobilisation et l’utilisation justifiées des crédits, mais la sous-exécution récurrente des budgets, révélée par les rapports de la Cour des comptes, soulève des questions sur la pression fiscale exercée sur les contribuables. Le rôle du Parlement reste limité par des délais stricts, des moyens insuffisants et un accès partiel aux informations budgétaires.
La Commission des finances de l’ARP souffre d’un manque d’expertise technique et de données fiables, et aucune évaluation préalable de l’impact social ou économique des mesures fiscales n’est réalisée.
Résultat : les débats parlementaires restent souvent superficiels, sans vision d’ensemble ni analyse des effets redistributifs des mesures adoptées.
Une opacité budgétaire
La mise en œuvre de la loi de finances mobilise plusieurs institutions, mais l’opacité persiste. Ni les citoyens ni les entreprises ne disposent d’outils fiables pour suivre l’application concrète des mesures fiscales ou la répartition des dépenses.
Les plateformes existantes, telles que celle du Partenariat pour un gouvernement ouvert, n’ont pas été actualisées depuis plusieurs années.
De plus, certaines mesures votées sont appliquées partiellement ou avec retard, sans justification publique, ce qui renforce la défiance du public et fragilise l’efficacité des politiques.
Pour améliorer la transparence et renforcer la confiance, le « policy brief » insiste sur la nécessité de repenser la gouvernance de la loi de finances de manière plus fluide et participative.
Il est suggéré d’élargir les instances de concertation pour inclure les représentants de la société civile et d’accompagner la publication des documents budgétaires par des formats accessibles et vulgarisés, comme des infographies ou des vidéos explicatives.
La participation citoyenne pourrait être stimulée grâce à des plateformes en ligne permettant aux citoyens de commenter les projets de loi et de signaler des anomalies, tandis que les évaluations d’impact social et économique devraient devenir systématiques avant toute réforme fiscale.
Le rôle du Parlement et de la Cour des comptes doit également être renforcé, en leur garantissant un accès complet aux données budgétaires et en les associant dès la phase préparatoire.
La publication régulière des écarts entre prévisions et exécution budgétaire, accompagnée d’explications sur les sous-exécutions et les ajustements réalisés, permettrait de responsabiliser les ministères et de rendre l’action publique plus compréhensible.
Ces mesures contribueraient à instaurer une véritable culture de transparence, où la pression fiscale serait liée à l’efficacité concrète des dépenses et des investissements publics.
Le « policy brief » de l’Atgf rappelle que la loi de finances doit devenir un outil de gouvernance économique et sociale, capable de renforcer la légitimité fiscale et la confiance publique.
Pour cela, il est indispensable de rompre avec la logique technocratique fermée et d’instaurer un pilotage budgétaire ouvert, fondé sur la transparence, la redevabilité et la participation citoyenne.
La Tunisie, confrontée à des défis budgétaires, sociaux et économiques majeurs, gagnerait à intégrer ces recommandations pour transformer son processus budgétaire en un véritable instrument démocratique et efficace, garantissant un usage responsable des ressources publiques.