Malgré un positionnement solide à l’export et des performances en progression sur le long terme, la filière oléicole tunisienne continue de traverser des cycles de tensions récurrents.
Volatilité des prix, fragilité du marché intérieur, attentes contradictoires des acteurs et nécessité d’un arbitrage public plus fin : décryptage d’un secteur stratégique qui peine encore à trouver son point d’équilibre.
La Presse — Chaque saison oléicole apporte son lot de doléances, parfois contradictoires, malgré l’existence d’un cap unique fixé sur le marché extérieur il y a belle lurette, vu les atouts multiples du secteur, l’exiguïté du marché intérieur et l’énorme potentiel à l’export.
Productions en dents de scie, prix très volatiles d’une saison à l’autre, défis solides au niveau du marketing, mais aussi dépendance aux aléas du climat et aux caprices de la main-d’œuvre.
Ce sont en somme les principales préoccupations qui ressurgissent en alternance, selon les variables interagissant dans le secteur et le contexte de la récolte chaque saison, de quoi se poser une question fondamentale : pourquoi un secteur, aussi stratégique soit-il, ne trouve toujours pas son équilibre et sa stabilité, malgré un discours conscient et une croissance haussière au fil des années et des décennies ?
Jusqu’au début des années 2000, l’huile d’olive tunisienne était écoulée en vrac aussi bien sur le marché local qu’à l’export. Les Tunisiens se procuraient leurs besoins annuels et constituaient leurs propres stocks à domicile selon les traditions ancestrales, alors que la majeure partie de la production est exportée, également en vrac, principalement vers l’Espagne et l’Italie.
L’huile d’olive tunisienne est alors mélangée à d’autres huiles avant d’être valorisée et écoulée sur les marchés étrangers, sans aucune mention de leur provenance, en flagrante violation des règles d’origine…
Conscientes du manque à gagner qui en découle et des atouts sanitaires et économiques que représente cette richesse, les autorités tunisiennes ont créé en 2006 un fonds spécial pour promouvoir l’exportation de l’huile d’olive conditionnée (Foprohoc), question d’augmenter la valeur ajoutée et de générer des sources supplémentaires d’entrée de devises.
Parallèlement, des encouragements de divers ordres ont été entrepris pour booster l’investissement dans le secteur, aussi bien en plantant de nouveaux arbres qu’en innovant en matière d’emballage et de marketing.
Cet élan a permis tant bien que mal d’améliorer la performance du secteur et d’attirer de nouveaux investissements.
Aujourd’hui, le secteur continue d’améliorer ses chiffres à l’export, y compris l’huile d’olive conditionnée qui représente entre 16 et 20 % des exportations, selon les saisons. C’est encore timide et en deçà des ambitions, mais en deux décennies, l’évolution est palpable.
En témoignent les chiffres des deux premiers mois de la récolte en cours: 408,6 millions de dinars à l’export, contre 281,2 MD, il y a une année. Cela a l’allure d’une percée pour une saison qui est à peine à mi-chemin !
Des professionnels qui se plaignent
Si telle est la situation côté jardin, l’enthousiasme n’est pas au même niveau côté cour. L’abondance de la production annoncée depuis l’été dernier a entraîné une baisse des prix sur le marché local, suscitant moult inquiétudes, surtout chez les nouveaux investisseurs encore engagés dans des crédits bancaires.
En effet, après un pic extraordinaire enregistré il y a deux ans, lorsque les prix ont frôlé les 30 dinars le litre, l’huile d’olive devenant une denrée rare dans un pays réputé pour être le troisième, voire deuxième producteur mondial, un repli circonstanciel a été enregistré l’année dernière et s’est accentué, cette année, pour retrouver des niveaux d’avant la crise Covid et du dernier cycle de sécheresse catastrophique au cours de 5 années consécutives.
Entre-temps, de nouveaux investisseurs se sont engagés, attirés par les niveaux reluisants des prix de 2023, mais sans attendre que la tendance haussière se confirme.
Aujourd’hui, ces opérateurs souffrent le martyre et en appellent à une intervention conséquente de l’Etat pour sauver les meubles…
Côté consommateur, dont la souffrance et l’amertume étaient à leur apogée lorsqu’il faisait la queue pour obtenir de temps à autre une bouteille unique d’un litre de l’Office de l’huile, à 16 dinars quand même, se sent légèrement mieux, avec des quantités qui s’annoncent abondantes, vendues actuellement entre 10 et 16 dinars.
La question qui se pose, du coup, est la suivante: quel serait le prix optimal qui serait rentable pour le producteur et plus ou moins abordable pour le consommateur, avec une régulation raisonnable de la part de l’Etat?
L’Etat y travaille, alors que des voix s’élèvent pour réorienter les subventions appliquées à l’huile végétale importée, au profit de l’huile d’olive tunisienne… Les professionnels réclament un prix minimum de 16 dinars le litre pour rentrer dans leurs frais !
Repères chiffrés
Et en attendant que la question soit tranchée de façon durable, il convient de rappeler certains repères, on ne peut plus révélateurs de la complexité de l’équation.
Selon les chiffres communiqués récemment par le Centre de promotion des exportations (Cepex), à l’occasion d’une interview exclusive à La Presse (mercredi 17 décembre 2025), le Tunisien consomme en moyenne 4 litres d’huile d’olive par an, le Grec 8, l’Italien 12 et l’Espagnol près de 20.
Est-ce à dire que le Tunisien n’aime pas l’huile d’olive!
Interrogez le premier Tunisien qui vous croise dans la rue et il vous dira que les prix sont hors de portée… Ce même Tunisien qui, il n’y a pas longtemps, consommait l’huile d’olive au quotidien et constituait son stock pendant la saison de cueillette, se contente aujourd’hui d’un ou deux litres emballés quand ils sont disponibles dans une grande surface.
Sinon, comment expliquer les longues files d’attente observées pendant les années de vaches maigres à même les portes d’entrée des points de distribution ?
Déduisez-en, par ailleurs, que le marché tunisien qui compte quelque 11 millions d’habitants, même à pouvoir d’achat équivalent à celui en Europe, ne saurait absorber une production massive d’huile d’olive : 300 mille tonnes et plus, selon les saisons.
Pour les professionnels ayant investi beaucoup d’argent dans le secteur, la marge bénéficiaire du marché local ne saurait donc permettre un bon retour sur investissement…
Encore faut-il rappeler que lorsque la stratégie avait été mise en place, il y a plus de deux décennies, c’était le marché à l’export qui était visé et surtout l’huile d’olive conditionnée, dont le prix oscille entre 5 et 20 euros et même plus, selon la qualité, la saison et l’offre et la demande.
Le Cepex et les professionnels y travaillent dans cette direction, avec un doublement prévu des actions promotionnelles en 2026, d’autant plus que l’huile d’olive tunisienne commence à susciter l’intérêt en dehors des marchés traditionnels, en l’occurrence l’Espagne et l’Italie, pour ouvrir de nouveaux horizons en Asie, en Amérique latine et en Afrique subsaharienne, avec une contribution fréquente du corps diplomatique.
Pour autant, il y a lieu aujourd’hui de booster la force de frappe au-delà des quotas européens, avec une meilleure organisation de la filière, une répartition des rôles plus efficace et une complémentarité entre le public et le privé, entre le marché intérieur et extérieur qui ne sont pas au même niveau, côté pouvoir d’achat, et ne se comportent pas de la même manière.
Par ailleurs, si jusqu’à présent la question des prix a dominé les débats s’agissant de l’huile d’olive, le propos devrait franchir un palier supérieur avec l’instauration d’une communication institutionnelle plus poussée, tout en maintenant l’aspect événementiel sur le terrain, dans les médias et sur tout support susceptible de toucher de nouveaux consommateurs.
Il y a lieu de produire davantage de séquences vidéo évoquant les vertus de l’huile d’olive, son utilisation, ses variétés, comment le consommer, comment distinguer ses différentes qualités.
Lesquelles séquences devraient être diffusées partout, sur des écrans géants, dans les avions, à travers les médias, etc.
Et puis pourquoi ne pas consacrer une proportion de la récolte sous forme de cadeaux lors des événements internationaux, à l’occasion des visites de délégations officielles, etc.
La Coupe d’Afrique des nations et la Coupe du monde représentent des opportunités uniques pour une telle communication.