Rétrospective – Le secteur agricole en 2025 : De la relance des récoltes à la refonte des filières
Après plusieurs années marquées par la sécheresse et l’incertitude, l’année 2025 aura fait figure de point d’inflexion pour l’agriculture tunisienne. Rebond des productions, mobilisation des investissements et renforcement de l’encadrement des marchés ont redonné de la visibilité à un secteur stratégique, tout en mettant en lumière des déséquilibres persistants.
Entre performances et défis structurels, ce bilan agricole esquisse les contours des choix à opérer pour une transformation durable à l’horizon 2035.
La Presse — La politique de développement du secteur agricole est conçue à travers une démarche structurante et intégrée, basée sur une construction cohérente, avec les autres politiques sectorielles.
Une récolte céréalière prometteuse
Le bilan de l’année 2025 pour le secteur agricole fait ressortir, en premier lieu, une saison céréalière exceptionnelle, marquée par des conditions climatiques favorables et des efforts concertés pour maximiser la production.
Selon les indicateurs du ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, la récolte devrait atteindre environ 1,45 million de tonnes, soit près du triple de la production enregistrée en 2024, qui était de 500.000 tonnes.
Cette amélioration est attribuée à des précipitations abondantes entre janvier et mars 2025, après plusieurs années de sécheresse.
Pour garantir une gestion efficace de cette récolte, le gouvernement a adopté plusieurs mesures dont la modernisation des infrastructures de stockage, avec une capacité totale estimée à 7,63 millions de quintaux, et l’ajout de capacités supplémentaires de 548.000 quintaux dans les zones de production.
La récolte 2025 devrait contribuer à réduire la dépendance aux importations de céréales, notamment d’orge et de blé dur.
Actuellement, la Tunisie importe environ 22 millions de quintaux de céréales par an. Les autorités espèrent que cette récolte exceptionnelle permettra de diminuer les importations de 10 % pour le blé et de 40 % pour l’orge, renforçant ainsi l’autosuffisance alimentaire.
Surproduction massive de l’huile d’olive
En ce qui concerne la filière oléicole, la Tunisie à fait face en 2025 à une situation inédite : une surproduction massive qui menace la stabilité économique de toute la filière. Selon les statistiques, la récolte pour la saison 2024–2025 a atteint 340 000 tonnes d’huile d’olive, un chiffre supérieur à la moyenne des dix dernières années.
Mais les prévisions pour la campagne 2025–2026 sont encore plus spectaculaires : jusqu’à 500.000 tonnes pourraient être produites.
Cette abondance, bien qu’elle témoigne de la résilience du secteur agricole tunisien, engendre des déséquilibres majeurs. Les prix à l’exportation ont chuté de près de 30 %, tandis que les coûts de production continuent d’augmenter, notamment en raison de la hausse des prix de l’énergie, des emballages et du transport. L’une des pistes envisagées pour absorber la surproduction est l’intensification des exportations.
La Tunisie a déjà démontré sa capacité à conquérir de nouveaux marchés. En juin 2025, elle a fourni 24,5 % de l’huile d’olive importée par les États-Unis, soit 16 158 tonnes, contre seulement 5 917 tonnes durant la campagne précédente.
Cette progression de plus de 170 % montre que le potentiel est réel, mais encore sous-exploité. À fin août 2025, sur les 252.700 tonnes exportées depuis le début de la campagne, seulement 14,7 % étaient conditionnées, contre 13,2 % l’année précédente.
Pour les experts du secteur, il ne s’agit plus seulement de produire, mais de transformer, valoriser et diversifier les débouchés. Cela passe par l’amélioration des infrastructures de stockage, la modernisation des huileries, la formation des producteurs à la qualité et à la traçabilité, ainsi que par une diplomatie économique plus agressive pour ouvrir de nouveaux marchés.
La filière oléicole tunisienne mérite un accompagnement stratégique, une gouvernance agile et des investissements ciblés pour faire de l’huile d’olive un fleuron national, reconnu et valorisé à l’échelle mondiale.
Encadrer la distribution
Au cours de l’année 2025, le gouvernement a adopté une série de mesures urgentes pour encadrer la distribution des produits agricoles. Ces mesures visent à garantir l’approvisionnement régulier des marchés, protéger le pouvoir d’achat des citoyens et soutenir les producteurs locaux dans un contexte de forte volatilité.
Le gouvernement a également décidé d’intensifier les contrôles sur les entrepôts, les routes et les points de distribution. Une coordination nationale entre les services du ministère du Commerce, les brigades économiques et les forces de sécurité a été mise en place pour détecter les pratiques de rétention de stocks, de vente hors circuit et de manipulation des prix.
Cette mesure vise à assurer la traçabilité des produits et à prévenir les détournements vers les marchés parallèles.
Pour faciliter l’écoulement de la production locale, le ministère du Commerce a annoncé un soutien ciblé aux petits agriculteurs, notamment par la mobilisation des marchés de gros.
Ces derniers joueront un rôle central dans la stabilisation des prix et la régulation des flux de marchandises. Les autorités ont également prévu un programme d’importation ciblé, avec des prix encadrés, pour pallier les éventuelles pénuries sur certains produits stratégiques.
Progression des investissements agricoles
Au cours des neuf premiers mois de 2025, l’investissement agricole privé en Tunisie a enregistré une progression notable, confirmant la vitalité du secteur et son rôle stratégique dans l’économie nationale. Selon les données de l’Apia, 4.248 opérations d’investissement ont été déclarées, pour un montant global de 819,6 millions de dinars.
Cette performance traduit non seulement la confiance des promoteurs dans l’agriculture tunisienne, mais aussi l’importance croissante des filières agroalimentaires dans la création de valeur et la sécurité alimentaire. Les projets agricoles validés ont bénéficié de 71,7 millions de dinars de subventions, soit près de 24 % de la valeur totale des investissements.
Les jeunes promoteurs ont bénéficié de 325 projets approuvés pour une valeur de 34,6 millions de dinars, traduisant une volonté de renouveler les générations et d’encourager l’entrepreneuriat agricole.
Le financement bancaire accompagne cette dynamique avec un ratio de crédit en progression à 34,5 % contre 24 % en 2024. Les prêts concernent près de la moitié des projets validés, notamment dans l’aquaculture et les services.
Les crédits fonciers ont permis l’intégration de 232 hectares supplémentaires dans le cycle économique, renforçant l’exploitation des terres disponibles et contribuant à une meilleure valorisation du patrimoine foncier. Cette évolution reflète l’importance du partenariat entre l’État, les banques et les promoteurs pour assurer une croissance durable.
Mesures phares
Des mesures phares figurent dans la loi de finances 2025 qui consiste en la mise en place d’une ligne de financement de 7 millions de dinars spécifiquement dédiée aux PME agricoles, afin de renforcer leur capacité d’investissement et leur compétitivité.
Dans une logique d’innovation territoriale, un crédit d’exploitation de 10 millions de dinars est fixé pour les start-up rurales, encourageant ainsi l’émergence de nouveaux modèles agricoles fondés sur la technologie, la durabilité et la valeur ajoutée locale.
Les éleveurs ne sont pas en reste : une subvention de 1.000 dinars par naissance de génisse est instaurée pour stimuler la reproduction bovine et soutenir les filières animales.
Par ailleurs, l’État a prévu une exonération des taxes à l’importation sur les jeunes bovins jusqu’en 2028, une mesure qui vise à faciliter le renouvellement du cheptel et à réduire les coûts d’approvisionnement pour les exploitants.
Enfin, face aux aléas climatiques et sanitaires de plus en plus fréquents, un fonds d’indemnisation de 10 millions de dinars est mis en place pour couvrir les pertes liées aux catastrophes agricoles, renforçant ainsi la résilience des petits producteurs.
Ces mesures traduisent une volonté politique affirmée de stimuler l’investissement dans les filières animales et végétales, tout en consolidant la sécurité alimentaire et la durabilité du modèle agricole tunisien.
Des enjeux majeurs redéfinissent ainsi les priorités du pays dont la résilience territoriale face aux aléas climatiques, une nécessité impérieuse dans un contexte marqué par la variabilité des saisons, la raréfaction des ressources hydriques et la fragilisation des écosystèmes agricoles.
À cela s’ajoute la quête de souveraineté alimentaire, devenue centrale dans un environnement géopolitique instable, où les chaînes d’approvisionnement mondiales sont régulièrement perturbées.
Vers un avenir durable et innovant d’ici 2035
La Tunisie amorce un tournant stratégique pour son agriculture avec l’élaboration d’un plan de développement à l’horizon 2035. Ce projet vise à renforcer la résilience du secteur face aux défis climatiques et économiques.
Le plan agricole 2035 repose sur plusieurs axes structurants, notamment l’amélioration de la production et de la productivité tout en garantissant la qualité des produits agricoles.
Il est focalisé également sur l’utilisation durable des ressources naturelles et l’adaptation aux changements climatiques. La sécurité alimentaire et hydrique est au cœur de cette stratégie.
La Tunisie prévoit des investissements massifs pour mobiliser les ressources hydriques conventionnelles et non conventionnelles, moderniser les modes de production et intégrer les nouvelles technologies.
L’un des objectifs majeurs du plan est de soutenir les petits agriculteurs en leur offrant des outils modernes et des financements adaptés.
Le gouvernement prévoit la mise en place de programmes de formation et d’accompagnement pour améliorer les rendements et garantir une meilleure gestion des exploitations agricoles.
Par ailleurs, la numérisation du secteur agricole sera renforcée avec la création de plateformes dédiées à la gestion des cultures, la traçabilité des produits et à l’optimisation des ressources.
À l’heure où les enjeux climatiques, alimentaires et sociaux convergent, le soutien bancaire à l’agriculture devient un indicateur stratégique de la transformation économique du pays.
Pour les acteurs du secteur, cette dynamique ouvre des perspectives nouvelles : structuration des filières, montée en gamme des productions, et renforcement du rôle des territoires agricoles dans la relance économique.